Archive pour le 6.05.2008

Spleen de Mai.

mardi 6 mai 2008

Lundi 5 mai, nous étions quelques-uns à peine, mais émus, à nous retrouver au cimetière du Père-Lachaise pour assister aux funérailles de Jacqueline Ferreri. Elle était depuis une quarantaine d’années la femme de Marco Ferreri. Celle qui l’accompagna sur un grand nombre de films comme productrice ou productrice déléguée. Sa partenaire. Marco et Jacqueline Ferreri formaient un couple, un vrai. L’une et l’autre, aussi dissemblables que possible. Elle, canadienne d’origine, ancienne mannequin rencontrée dans un restaurant à Rome près de la Place d’Espagne dans les années 60. Lui, le Milanais transplanté à Madrid dans les années cinquante pour y vendre des appareils optiques, avant d’y réaliser ses premiers films : El Pisito et El Cochecito. Milan, Madrid, Rome, Paris… Je me demande même si leurs caractères n’étaient pas aux antipodes. Elle très active, organisatrice, régissant tout, faisant tourner la baraque. Lui placide, muet, aphasique, mais goguenard, et l’œil bleu toujours en éveil. Et pourtant, très unis. Amants et aimants. Elle veillait sur lui. Elle le protégeait, elle l’autorisait à faire ses films, ses magnifiques provocations, ses bouffonnades, ses régressions poétiques. Jacqueline est morte le 29 avril à Paris, des suites d’une longue maladie comme on dit. Demain, jeudi, ses cendres seront rapportées à Rome par une de ses meilleures amies, Catherine Siné, qui s’est beaucoup occupée d’elle ces derniers mois alors que le cancer faisait sa sale besogne. Ainsi, Jacqueline rejoindra Marco, enterré à Rome en 1997.

Je me souviens avoir vu Marco Ferreri pour la dernière fois chez lui, rue de l’Abbaye. Il sortait à peine de l’hôpital Américain de Neuilly où il avait choppé un sale virus dans la colonne vertébrale. C’était au tout début de mai 1997. Dix jours plus tard, à Cannes, nous apprîmes sa mort – le 9 mai. Je me souviens avoir pleuré. Ferreri est un des cinéastes que j’ai le plus aimé. J’aime ses films, j’y repense tout le temps, ils m’aident à vivre. Ils sont traversés par quelque chose d’essentiel, un état d’esprit, une spiritualité gaie et mélancolique, un souci magnifique de l’Homme dans tous ses états. Je suis triste et en colère que l’œuvre de Marco Ferreri soit à ce point oubliée, passée sous silence, effacée de nos mémoires. En ce moment, on reparle de Mai 68. On en fait des tonnes, on commémore à tour de bras, pour ne rien dire d’essentiel, sinon faire marcher la grande turbine médiatique. S’il y a une œuvre traversée par l’esprit de Mai c’est bien celle de Ferreri. Le côté jubilatoire de Mai. La remise en question des grands dogmes. Le retour en arrière. La recherche d’une nouvelle harmonie. Le questionnement léger et poétique du Monde. La féminisation généralisée des rapports sexuels. Le questionnement du langage. Etc. Etc. Hier, pendant la brève cérémonie, pendant que nous étions assis devant le cercueil de Jacqueline, la musique inoubliable de La Grande bouffe, signée Philippe Sarde, cette ritournelle adorablement mélancolique et enfantine donnait à la scène un caractère légèrement décalé. Nous étions là, tristes et paumés, et cette musique rendait la scène plus légère, presque drôle. Comme un pied de nez du cinéma de Marco Ferreri.