Archive pour le 03.2012

Antonio Tabucchi, écrivain et cinéphile

lundi 26 mars 2012

En disparaissant hier, à l’âge de 68 ans, Antonio Tabucchi laisse un vide immense. Il était un grand écrivain, un grand écrivain contemporain qui rendait compte à sa manière, c’est-à-dire sur le mode poétique et fictionnel, de l’état du monde. De notre monde. Il écrivait et son écriture avait valeur d’engagement. C’est en étant pleinement un écrivain contemporain qu’il s’engageait. Les passions et les querelles du monde ne lui étaient pas étrangères, il les prenait à bras le corps, ne voyant jamais les choses de haut mais vivant dans une perpétuelle confrontation intellectuelle, spirituelle et politique, avec les événements et le bruit du monde. Un grand écrivain, oui, à n’en pas douter. Dont l’œuvre littéraire, cohérente et intime (Nocturne indien, Requiem, Pereira prétend, Tristano meurt, Le temps vieillit…), continuera de vivre et de toucher de nombreux lecteurs à travers le monde.

Antonio Tabucchi était italien, né à Pise en 1943. Mais il avait élu domicile à Lisbonne où il rencontra sa femme, Marie-Josée de Lancastre, sa complice. Tabucchi vivait aussi à Paris, en Inde et ailleurs. Il voyageait et partageait son temps entre plusieurs villes, plusieurs pays, et plusieurs langues. C’était un homme multiple et pourtant cohérent, intègre. C’était un écrivain voyageur, qui écrivait en italien sa langue natale, parlait couramment portugais, français, anglais. Il avait ce don des langues, ce don d’être ici et ailleurs, de passer d’une langue à l’autre. Et d’y être à la fois le même et un autre. Il était Antonio Tabucchi, homme cultivé et charmant, mais aussi le double ou l’ombre de celui qu’il admirait et dont il avait fait le héros de son œuvre, Fernando Pessoa. Sa culture était immense, jamais cuistre, toujours élégante et offerte en partage à l’interlocuteur. Parler avec lui était un vrai plaisir démocratique. Car il savait écouter, vous écouter. Nous nous sommes croisés il y a quelque temps dans un aéroport, il rentrait chez lui, venant d’un pays lointain où il était allé faire des conférences, je me rendais à l’étranger pour le développement d’un projet.

J’aimerais dire qu’il fut aussi, et profondément, un cinéphile et un ami du cinéma. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, Nocturne indien par Alain Corneau, Requiem par Alain Tanner, entre autres. Le cinéma faisait partie de la culture profonde d’Antonio Tabucchi. Ce dernier était venu à plusieurs reprises à la Cinémathèque, répondant à notre invitation. Je garde en mémoire ce moment inoubliable d’un dialogue avec Manoel de Oliveira, le 3 juillet 2008. Moment d’une grande douceur et d’une grande délicatesse intellectuelle, où transparaissait chez Tabucchi l’intelligence poétique et l’admiration juvénile pour le maître, le vieux Manoel, natif de Porto. Leur dialogue avait commencé après la projection enchanteresse du premier film de Manoel de Oliveira, Douro, Faina Fluvial réalisé en 1931. Le passé, ce temps du cinéma muet que Manoel de Oliveira portait sur ses épaules de jeune cinéaste, le passé disai-je devenait du présent, par la magie des mots. Moment magique, que l’on peut retrouver sur internet, en allant sur le site de la Cinémathèque française. L’autre moment, plus récent, ce fut lors de la rétrospective consacrée à Alain Tanner, avec la présentation de Requiem. Au-delà de l’adaptation du roman de Tabucchi, le cinéma de Tanner est lié à cet écrivain et à son monde : même amour du Portugal – l’admirable Dans la ville blanche -, même recherche d’un lieu idéal (ce qu’on appelle l’utopie), et même présence parmi nous des fantômes.

Antonio Tabucchi était un être précieux.

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Hommage à Pierre Schoendoerffer

mercredi 14 mars 2012

Dimanche après-midi, je suis allé rendre visite à Pierre Schoendoerffer à l’hôpital militaire de Percy à Clamart. Pat sa femme m’a accueilli très gentiment, elle était calme, pleine de sang froid. Il y avait là ses deux fils, Frédéric et Ludovic, sa fille Amélie, ses petits-enfants et des proches. Chacun à tour de rôle allait dans la salle où Pierre était hospitalisé. Puis est arrivée Florence Darel, son actrice de Là-Haut, le dernier film réalisé par Pierre Schoendoerffer en 2003. Florence lui parlait de près, prenant tendrement sa main et caressant son visage. Pierre était sous perfusion, dans l’impossibilité de parler. Mais il s’exprimait avec les yeux et saluait notre présence. Seul son regard transmettait ses sentiments. Pendant ce temps, à la télévision, le meeting de Sarkozy à Villepinte…

Pierre Schoendoerffer était maigre, mais il a toujours été maigre, d’une minceur militaire. Je me souviens qu’à Los Angeles, il y a un an, nous étions toute une bande à nous promener dans les rues de Venice. Nous avions aperçu un magasin de Levi’s, et Pat me disait que Pierre allait devoir se choisir un pantalon taille garçonnet. Il était impeccable dans son jean’s noir, et sur la veste en jean noire le petit liseré rouge et vertical portant la marque Levi’s remplaçait en quelque sorte presque avantageusement la Légion d’Honneur. Qu’il porte le jean’s ou le blazer, Pierre avait l’allure d’un gentleman.

Nous étions à Los Angeles à l’invitation de COL COA, le festival de films français organisé chaque année par le Fonds Culturel Franco Américain à la Director’s Guild, pour présenter La 317è Section, que nous avions restauré avec StudioCanal et l’aide du Fonds Culturel Franco Américain. Pierre était très fier de cette restauration, qu’il avait supervisée avec son ami Raoul Coutard, le directeur de la photographie. Les deux hommes s’étaient connus en Indochine en 1954. Le lien entre eux était indéfectible.

J’ai depuis longtemps une grande admiration pour Pierre Schoendoerffer, dont l’univers m’est pourtant très éloigné. Je n’ai pas fait mon service militaire, ayant été exempté à la fin des années 60 – appartenant à une classe d’âge trop nombreuse, m’avait-on dit. Cela ne m’a pas empêché de voir dans La 317è Section le plus beau film de guerre du cinéma français. On y voit une patrouille en chemin, traversant les lignes ennemies, évitant les embuscades, surmontant les intempéries, l’eau, la boue et la dysenterie, allant vers la défaite. Chaque geste, chaque détail sonne juste, car le film est l’expression directe, copiée collée, de celle vécue par Pierre Schoendoerffer lui-même lorsqu’il était correspondant de guerre en Indochine. Que la reproduction soit impeccable, soit, cela ferait déjà de La 317è Section un grand film. Mais il y a aussi cette manière de filmer la souffrance des hommes et leur cheminement vers la mort. Filmer la défaite et la chute de l’empire colonial, tel aura été le cœur ou le noyau de l’œuvre de Pierre Schoendoerffer cinéaste, fortement inspiré par Joseph Conrad dont il faillit adapter Typhon – tout était prêt, le tournage était imminent lorsque tout capota, causant la profonde déception de Pierre. Son Diên Biên Phu, réalisé en 1992, est en quelque sorte l’épopée d’une défaite, filmée et racontée dans sa geste.

Il y a quinze jours, j’étais à Roubaix pour un concert de musiques de films de Georges Delerue, mort il y a tout juste 20 ans, natif de Roubaix. Soirée magnifique au Colisée, nous étions plusieurs amis à entourer Colette Delerue. L’Orchestre national de Lille, dirigé ce soir-là par Dirk Brossé, a joué le Concerto de l’Adieu, avec Hrachya Avanesyan au violon. Je crois sincèrement que c’est la plus belle musique de film au monde. L’incarnation même de la grâce. Et c’est pourtant une musique d’accompagnement d’un film de guerre. C’est là tout le paradoxe du cinéma de Pierre Schoendoerffer. Il a filmé la guerre, sa guerre. Et il y a mis des sentiments d’une profondeur extrême, qui fait que chacun, n’importe qui, peut s’y reconnaître, sans pour autant faire allégeance à l’armée ou au militarisme. C’est ce qui fait la grandeur de ses films.

Dimanche, j’ai raconté la soirée de Roubaix à Pierre et je lui ai dit que cette musique de Georges Delerue était incroyable de beauté. Son regard s’est illuminé, il ressemblait à un enfant. À la fois triste et nostalgique, mais profondément ému, comblé. Pierre Schoendoerffer mérite tous les éloges, car il a fait une œuvre.

Ses obsèques seront célébrées lundi 19 mars à 10 heures du matin, dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides. Elles seront suivies d’une cérémonie au cours de laquelle les honneurs militaires lui seront rendus.

En 2007, la Cinémathèque française avait organisé la rétrospective complète des films de Pierre Schoendoerffer. En 2010, nous avions entrepris la restauration de La 317è Section. Pour en savoir plus, je vous invite à ouvrir ces liens:

21 novembre 2007 : discours de Pierre Schoendoerffer pour l’ouverture de sa rétrospective à la Cinémathèque française

21 novembre 2007 : dialogue avec Pierre Schoendoerffer après la projection de la 317ème Section

Tim Burton à La Cinémathèque française (bis)

lundi 5 mars 2012

La Cinémathèque française a souhaité offrir au plus grand nombre la possibilité de rencontrer Tim Burton, à l’occasion d’une signature du catalogue de l’exposition et du livre « L’Art de Tim Burton », qui s’est déroulée dimanche 4 mars à partir de 14 heures. La séance a duré plus de 2h45.

Malheureusement, il n’a pas été possible de prolonger encore cette longue séance. La Cinémathèque française est sincèrement désolée de ne pas avoir pu satisfaire tous ceux qui n’ont pu faire dédicacer leur livre, et les invite à retrouver Tim Burton en direct sur cinematheque.fr et sur arte.tv pour la retransmission ce lundi 5 mars à 15h de sa Master Class.

Tim Burton a tenu à adresser un message d’amitié à tous ses admirateurs.