Archive pour le 29.05.2008

Hommage à Sydney Pollack

jeudi 29 mai 2008

Pollack

C’était en septembre 2006 au Festival de Deauville. Bruno Barde m’avait demandé de prononcer un hommage à Sydney Pollack. Je ne le connaissais pas, mais je connaissais sa réputation d’homme séduisant, très aimable, gentleman. On s’est rencontrés juste avant l’hommage officiel. Le contact fut immédiat, chaleureux. J’étais vraiment épaté que Sydney Pollack vienne à Deauville, depuis la Californie, en pilotant lui-même son avion. Trois jours après Deauville, il était à la Cinémathèque pour présenter son dernier film, un documentaire sur son ami Frank Gehry : Sketches of Frank Gehry. 

Nous avons appris son décès, il y a trois jours, en revenant du Festival de Cannes. Sydney Pollack avait soixante-treize ans.

« Cher Sydney Pollack,

Je suis très honoré, après Lionel Chouchan, de dire ces quelques mots d’accueil, simples mais sincères. Avant d’évoquer votre œuvre cinématographique, j’aimerais vous avouer une chose très personnelle : vous avez une tête très sympathique, à tel point qu’on a envie de vous connaître et d’être votre ami. Il y a quelque chose qui émane de vous, une gentillesse. Une bonté. Une générosité d’âme. Si je dis cela, c’est parce que nous vous connaissons aussi comme acteur. Nous vous avons vu sur l’écran dans des films inoubliables, tels que Eyes Wide Shut de Kubrick, Husbands and Wives de Woody Allen, ou dans Tootsie que vous avez réalisé en 1982. Vous ne jouez pas les salauds ou les personnages ambigus ; vous incarnez souvent des personnages à qui l’on se confie, qui ont une expérience de la vie, qui ne sont pas des ennemis mais des partenaires. Vous êtes un homme de dialogue – est-ce que je me trompe ?

Votre vocation première était de devenir acteur. Jeune homme, vous avez débarqué à New York venant de l’Indiana où vous êtes né, pour étudier l’art dramatique. On n’oublie jamais ses rêves de jeunesse. Le fait que vous aimiez jouer dans les films des autres, je pense au film de votre amie Danièle Thompson (Fauteuils d’orchestre), prouve votre générosité, votre disponibilité. Rares sont ceux qui se montrent disponibles pour les films des autres. C’est aussi parce que vous avez voulu être acteur, et que vous l’êtes parfois, que vous avez une telle aisance avec les acteurs. Vous avez dirigé dans vos films les plus grandes stars, hommes et femmes : Robert Redford, Robert Mitchum, Jane Fonda, Meryl Streep, Dustin Hoffman, Nicole Kidman, Sean Penn, Harrison Ford, Gene Hackman, Tom Cruise, Paul Newman, Sally Field, Kristin Scott-Thomas, Jessica Lange, Faye Dunaway, Marthe Keller, Al Pacino, Barbra Streisand. Tous réunis, cela donnerait le plus beau casting du cinéma mondial !

Avant d’aborder le cinéma, vous aviez été réalisateur pour la télévision, au début des années 60. Vous avez pris votre temps. Une fois que vous avez goûté au cinéma, vous avez enchaîné film sur film à un rythme régulier. Ce qui frappe dans votre carrière, c’est cet éclectisme, cette boulimie, ce goût d’entreprendre, et ce goût du risque. Ainsi, vous avez abordé tous les genres cinématographiques, de la comédie au drame, du film de guerre au western, en passant bien sûr par le film romantique et le polar. Il reste le péplum… N’avez-vous pas un projet de film romain dans vos tiroirs ?Je ne peux évidemment citer tous vos films. Sachez que vous êtes considéré en France, respecté comme un grand metteur en scène pour avoir réalisé des films qui restent dans nos mémoires. Je pense en particulier à The Way We Were, On achève bien les chevaux, Jeremiah Johnson, Yakuza, Trois jours du Condor, Bobby Deerfield, Tootsie, et bien sûr à Out of Africa. Il y a quelque chose de sous-jacent dans vos films, c’est la mort, une certaine mélancolie. Comment définir ce sentiment ? Quelque chose qui se situe au-delà des apparences, dans l’ombre ou la pénombre, derrière le caractère factice de la vie.Vous êtes aussi producteur, de vos films et d’autres réalisés par des cinéastes proches. Vous le faites pour être cohérent avec vous-même, pour assurer jusqu’au bout ce plaisir d’entreprendre. Un indépendant. Voilà la raison pour laquelle nous vous respectons.Ce soir, vous venez présenter un film un peu particulier. Un documentaire. Là encore, le plaisir d’aborder un genre à part. Vous avez filmé votre ami Frank Gehry, le grand architecte américain qui a construit quelques monuments contemporains qui nous fascinent et nous émerveillent. Vous filmez Gehry chez lui, dans son atelier, dans son studio de créateur. Vous dites que Gehry vous a choisi parce que vous ne connaissiez rien à l’architecture. Mais vous ne pensez pas qu’il y a un lien très fort entre l’architecture et le cinéma ? Au cinéma comme en architecture, il faut imaginer, rêver, dessiner, faire des maquettes, avant de passer à la réalisation du rêve. C’est le même processus. Je ne suis pas surpris que Gehry ait voulu ce dialogue avec vous, passionnant, amical. Je travaille tous les jours dans un bâtiment construit par Gehry, la Cinémathèque française. Vous viendrez la découvrir lundi soir à Paris. Je peux vous assurer que c’est un grand plaisir d’aller chaque matin à son travail, en sachant qu’on est dans un bâtiment construit par Frank Gehry. Merci, cher Sydney Pollack. »