Archive pour le 02.2011

Certaines nouvelles :France-Mexique, le dernier Oliveira…

mardi 22 février 2011

Le programme de mars à mai 2011 de la Cinémathèque française vient de sortir, affichant sur sa couverture le visage menaçant et ironique de Jack Nicholson dans Shining. Stanley Kubrick est au cœur de ce programme, avec l’ouverture prochaine (le 23 mars) d’une grande exposition qui lui est consacrée.

Mais il n’y a pas que Kubrick. Il y a aussi une ambitieuse programmation dédiée au cinéma mexicain, que la Cinémathèque a conçue dans le cadre de l’Année du Mexique en France, en partenariat avec la Cineteca nacional de Mexico. En premier lieu, un grand nombre de mélodrames mexicains ; en second lieu, un hommage à Roberto Gavaldón, cinéaste des passions dont l’œuvre foisonnante et riche mérite d’être découverte en France.

Cette double programmation, prévue du 13 avril au 30 mai 2011, est aujourd’hui menacée d’annulation, du fait de la violente polémique diplomatique entre la France et le Mexique à propos de l’affaire Florence Cassez. En fait, c’est toute l’Année du Mexique en France qui est en passe d’être purement et simplement annulée. J’ignore tout du dossier juridique de Florence Cassez, mais je suis absolument certain que sa condamnation par la justice mexicaine à soixante années de prison excède très largement les torts qui peuvent lui être reprochés. Sauf que cette affaire ne date pas d’aujourd’hui, et il était du ressort de la diplomatie française de la régler, ou de faire en sorte qu’un compromis « diplomatique » ait été négocié, évitant au Mexique et à la France de ne pas perdre la face. Le fait que Nicolas Sarkozy, le président de la République, ait effectué un voyage au Mexique en mars 2009, était bien la preuve que le dialogue était alors possible entre les deux pays. Pour quelle étrange raison, deux ans plus tard, ce dialogue est-il violemment rompu, mettant en péril une manifestation d’envergure nationale ayant  mobilisé beaucoup de monde, suscité des espoirs, fait naître des envies et des désirs, des échanges sur le plan culturel et scientifique ? Tout cela est assez mystérieux et ressemble à un énorme gâchis. La diplomatie française ne sort pas glorieuse de cet épisode, inféodant au passage de très nombreuses instances culturelles, ministère de la Cultureet de la Communication inclus, à une stratégie de rupture à mon avis néfaste, dévastatrice, et qui risque fort d’avoir un effet boomerang. Nous ignorons tout pour le moment de ce que sera la suite des événements. Notre double programmation est au point mort, ce qui est bien attristant. Dans toute cette affaire, le cinéma, les arts et les artistes ne sortent pas gagnants. C’est le moment de rappeler à nos diplomates, dans la période surmenée qu’ils traversent en accumulant les bévues, ce bon mot de Jacques Audiberti : « Tout film gagne à être mexicain ». Il faut tout faire pour que cette Année du Mexique en France se déroule comme prévu, car elle est porteuse de valeurs positives pour les deux pays.

Le dernier film de Manoel de Oliveira : à voir

Hier soir, Manoel de Oliveira, vétéran actif du cinéma mondial, était à la Cinémathèque pour présenter son dernier film, L’Étrange affaire Angélica. Bon pied bon œil, il est monté sur scène dire quelques mots en français, l’œil malicieux et ravi de voir une salle comble – il était aux côtés de Michel Piccoli (qui a joué dans quatre films de Oliveira et sera dans le prochain) et de Costa-Gavras. Le public s’est levé pour l’applaudir, Manoel de Oliveira a fait signe des deux mains pour l’inviter à se rassoir. Il a dit quelques mots, puis raconté une anecdote : un fils raconte à son père qu’il a deux nouvelles à lui annoncer, une bonne et une mauvaise. « La première, c’est que j’ai réussi brillamment mes examens. – Ah, c’est bien lui répond le père. Et la mauvaise ? – La mauvaise, c’est que c’est un mensonge ». Oliveira a rendu hommage à Georges Méliès, l’inventeur des trucages : le cinéma est une invention française, conclue-t-il, avant d’aller s’asseoir au premier rang pour revoir son film.

L’Étrange affaire Angélica est un conte qui mêle le réalisme, la fantasmagorie et l’onirisme, le tout avec une simplicité étonnante. Bien sûr les trucages y ont leur place et consistent à faire apparaître et disparaître la figure aimée, comme au temps de Griffith et Murnau. Il s’agit tout simplement de réveiller une morte, la jeune et belle Angélica, l’acte de revenir à la vie étant déclenché par la photographie. Isaac, photographe juif est appelé une nuit à venir faire des photos de la défunte dans une maison bourgeoise filmée comme un tableau de Rembrandt.

Pourquoi le personnage central, Isaac, interprété avec une incroyable élégance par Ricardo Trêpa, le petit-fils du cinéaste, est-il Juif ? Manoel de Oliveira répond dans le dossier de presse : « Le projet a été créé après la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle, si je ne me trompe pas, plus de six millions de Juifs sont morts. C’était une époque où les Juifs ont dû fuir vers l’Espagne et le Portugal pour ensuite prendre un avion pour les Etats-Unis. Isaac, le protagoniste de mon film, était l’un de ces Juifs fuyant les persécutions nazies, qui s’est installé au Portugal en tant que photographe. Mais la guerre a eu lieu il y a longtemps, au siècle dernier, de même que les vignes du Douro sont différentes, les ponts et les maisons sont autres. Certaines choses se maintiennent alors que d’autres ont changé. {…] J’ai modifié le scénario original et j’ai déplacé ce niveau de réflexion politique vers le terrain de la déduction où se confrontent ce qu’Isaac a vécu autrefois et ce qu’il vit aujourd’hui. Ses visions et ses rêves avec Angélica sont, comme il le dit, ce qui l’aide à supporter les pressions et les persécutions. Cela montre qu’Angélica représente une espèce de libération de ses fantasmes ».

La dimension juive dans le film apparaît en filigrane et se situe à un niveau poétique : Isaac est tout simplement disponible, il habite la pension de Madame Clementina, n’a pas d’histoire ou alors son histoire est tragique et collective, et pèse secrètement sur sa conscience. Il est photographe, donc entièrement doué de regard : avec appréhension, il photographie Angélica sur son lit de mort, ce qui fonde la relation personnelle, unique et originale qu’il entretient avec une morte. La photographie est un passeport entre la vie et la mort. Entre le passé et le présent. Isaac photographie aussi les paysans du Douro, qui labourent en chantant de vieilles chansons, retournant une terre aride remplie de cailloux. Oliveira filme le travail rugueux de la terre, en même temps que le travail artistique et solitaire d’Isaac. Les bruits du travail sont nets, forts, comme séparés ou autonomes : ce sont des bruits que l’on fait pour être entendus d’un sourd. Il ne m’a pas échappé que Manoel de Oliveira, du fait de son grand âge, « était dur de la feuille », pour employer une expression souvent usitée. Si bien que dans son film, le travail sur le son a cette particularité d’être net et distinct, audible comme au temps où le cinéma jusque-là muet découvrait le son. Ce qui remonte au début des années trente, époque où le grand cinéaste portugais réalisait son premier film Douro, faina fluvial. Porto, la ville natale de Oliveira est une ville de
ponts. Ce film, magnifique et envoûtant, est un film de pont : entre le passé et le présent, entre le muet et le parlant, entre la vie et la mort. Entre le rêve et la réalité. Il faut absolument aller voir L’Étrange affaire Angélica, qui sort le 16 mars prochain, un film découvert lors du dernier Festival de Cannes (dans « Un Certain regard »). C’est un film touché par la grâce et le mystère, l’enfance et la beauté.