Archive pour le 10.2013

Pasolini Roma

dimanche 27 octobre 2013

L’exposition Pasolini Roma se poursuit jusqu’au 26 janvier prochain à la Cinémathèque française. Elle fait couler beaucoup d’encre. Tant mieux. La rétrospective complète (jusqu’au 6 janvier), la journée d’études organisée lundi 28 octobre, réunissant des intervenants de grande qualité  (Stéphane Bouquet, Georges Didi-Huberman, Alain Bergala, René de Ceccatty, Hervé Joubert-Laurencin, Jordi Balló, Dacia Maraini et Roberto Chiesi, et qui se clôturera par un dialogue avec Ninetto Davoli), les lectures de textes de P.P.P., la parution du catalogue accompagnant l’exposition (chez Skira Flammarion et la Cinémathèque française), la sortie en salles de certains de ses films et leur réédition en DVD (par SNC et Carlotta), tout cela a contribué à remettre le poète et cinéaste au cœur de l’actualité culturelle.

Telle était notre intention lorsque nous avions décidé, il y a plus de deux ans, de concevoir à plusieurs ce projet, avec nos amis du CCCB à Barcelone, du Palazzo delle Esposizioni à Rome (où l’exposition s’installera le 3 mars et jusqu’au 8 juin 2014), et du Martin-Gropius-Bau à Berlin (du 11 septembre 2014 au 5 janvier 2015). Penser ensemble la place de Pasolini dans la vie culturelle et politique italienne, plus précisément son appréhension de la Ville de Rome, depuis son arrivée en 1950, pauvre et misérable avec sa mère, jusqu’à son assassinat le 2 novembre 1975, et de quelle manière sa relation si intime et si particulière avec la ville aura influencé son œuvre en profondeur. Ses rencontres, le redécoupage de la ville qu’il opère en fonction de ses désirs, de ses choix politiques et idéologiques ou de ses thèmes de prédilection.

Il n’y a pas d’exposition sans au moins deux éléments décisifs : un concept organisateur (dans ce cas précis : Pasolini et Rome), doublé d’un accès privilégié à un matériel inédit, que ce soit archives, correspondances, notes, manuscrits, œuvres plastiques (photos et peintures) pouvant être « accrochées » sur des cimaises. Tout était réuni pour que ce projet consacré à Pasolini voie le jour.

J’ai à peu près chaque jour l’occasion et surtout le plaisir de visiter l’exposition Pasolini Roma, jouant le guide pour des hôtes de passage. Lundi dernier c’était Edgar Reitz, l’auteur de Heimat qui, pendant la projection de son film en salle Henri Langlois, souhaitait découvrir l’exposition. Deux jours plus tard, c’était Taylor Hackford, réalisateur (entre autres de Ray) et président de la Director’s Guild of America, accompagné d’une délégation, qui venait la visiter. Le nombre de documents, l’organisation de l’espace, le découpages en salles, avec celle, à mes yeux la plus forte et la plus émouvante, où l’on découvre une vieille Moviola, cette table de montage qui n’a plus cours de nos jours du fait du montage numérique, sur laquelle les juges italiens avaient visionné La ricotta pour accuser P.P.P. d’acte blasphématoire envers l’église. Ce geste de convoquer le cinéma, sous la forme la plus matérielle, une grosse et lourde Moviola, pour en faire une machine de guerre judiciaire à l’encontre d’un artiste rebelle. La Moviola, machine de montage, véritable instrument d’écriture cinématographique, devenant machine d’inquisition à l’encontre du cinéma. Juste à côté, tout un mur pour montrer et décrire la série d’innombrables procès, accusations – pas moins de 33 procès subis dans le cours de sa vie – à l’encontre de P.P.P. On le voit sur des photos de presse, avec à ses côtés ses amis Laura Betti, Elsa Morante et Alberto Moravia. Se rendre au tribunal était devenu une sorte d’activité régulière, un point de passage obligé de sa vie ordinaire. Pier Paolo Pasolini, saint et martyr, aurait pu dire Sartre. Il suffit de montrer, d’exposer les documents, par exemple ce montage d’archive où l’on voit le juge qui accusait Pasolini d’acte de blasphème ne rien céder sur son intention liberticide…  Ne rien regretter, prêt à le refaire.

L’exposition Pasolini Roma nécessite du temps, car elle est dense, riche en documents. On y apprend beaucoup, et l’on en sort avec le désir de poursuivre, de revenir aux films de Pasoloni, à ses ouvrages. Je conseille de lire un livre jubilatoire, de Emanuele Trevi, Quelque chose d’écrit (publié par Actes Sud), où l’écrivain évoque ses années passées dans le Fonds Pier Paolo Pasolini, à l’époque dirigée par Laura Betti. C’est drôle et intelligent, stimulant à lire…

Les expositions ayant pour thème ou objet le cinéma se développent depuis une quinzaine d’années – on se souvient de celle consacrée à Hitchcock, au Centre Pompidou en 2001, conçue par notre ami Dominique Païni -, devenant en quelque sorte un nouveau medium où le cinéma se trouve décortiqué, désossé, démembré, recomposé, désarticulé puis réarticulé en autant d’objets ou de pièces séparés : du scénario à l’extrait de film, en passant par les photos, affiches, costumes ou appareils, et autres manuscrits ayant trait à l’histoire de la production d’un objet virtuel. Exposer pour montrer/monter les objets, quels qu’ils soient, et penser, mettre en relation, recadrer, etc. Il y a là un mouvement en profondeur dans lequel la Cinémathèque occupe une place de premier plan. Cela s’explique par le fait que le bâtiment de Frank Gehry, où nous sommes installés depuis 2005, comprenait à l’origine (rappelons qu’il a été construit pour abriter le Centre culturel américain) un espace préalablement dédié aux expositions temporaires. Mais surtout, par le fait que les collections de la Cinémathèque regorgent de trésors accumulés au fil des années par Henri Langlois, sorte de caverne d’Ali Baba d’où il nous revient d’établir une sorte d’archéologie du cinématographe. Langlois lui-même ne cachait pas son intention de faire de l’exposition le fer de lance de son projet muséographique. En réalité, nous ne faisons qu’accomplir, dans un contexte culturel bien différent, son geste inaugural.

Informations:

Lundi 28 octobre 2013, Salle Henri Langlois (Cinémathèque française) : Journée d’études « Pier Paolo Pasolini, le village et le monde ». A partir de 9h45. Jusqu’à 19h. La journée d’études se terminera à 18 heures par un dialogue avec Ninetto Davoli, animé par Alain Bergala (l’un des commissaires de l’exposition).

A 20h30 : Projection d’un programme de courts et moyens métrages : Repérage en Palestine pour L’Évangile selon saint Matthieu (1964, 52 minutes), suivi de Notes pour un film sur l’Inde (1967, 25 minutes).

A lire : Emanuele Trevi, Quelque chose d’écrit (traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli), Actes Sud.

La rétrospective consacrée à Pasolini se poursuit à la Cinémathèque française jusqu’au 6 janvier 2014.