Archive pour le 05.2009

Les Cinémathèques se réunissent à Buenos Aires

jeudi 28 mai 2009

En voyage j’emporte toujours avec moi un livre qui me sert de compagnon. En partant pour Buenos Aires, j’ai choisi le livre de Enrique Vila-Matas, Journal volubile (paru chez Christian Bourgois), à propos duquel Pedro Almodóvar dit : « J’adore Dietario voluble. C’est un livre inclassable. » Inclassable, en effet. Vila-Matas écrit son journal de manière très libre, sautant du coq à l’âne avec beaucoup de fantaisie. Il évoque ses pérégrinations dans des villes, ses lectures, les rencontres avec des amis ; le cinéma y est souvent présent, toujours de manière cocasse.

A propos de Buenos Aires, Vila-Matas écrit ceci : « Je suis allé à Buenos Aires dans l’idée de disparaître quelques jours et j’ai fini par être hospitalisé au Vall d’Hebron à Barcelone. Je n’ai plus très envie d’essayer de nouveau de m’évaporer dans un hôtel argentin. Ce qui est curieux, c’est qu’à Buenos Aires, je m’étais même glorifié d’avoir repris des forces dans mon hôtel de la Recoleta et de n’avoir à aucun moment mis les pieds dans les rues de la ville, à l’exception des deux heures d’une intervention publique à la Foire du Livre. Le public avait souri quand je lui avais dit que j’étais devenu une ombre, comme le personnage de l’un de mes livres, je n’avais pas bougé de l’hôtel depuis mon arrivée dans cette ville. Mais ce n’était, en fait, que de la littérature dans le genre du voyage autour de ma chambre, désir de cacher un secret intime : même marcher dans les corridors de cet hôtel me fatiguait.

Et je ne savais pas encore le pire : je souffrais d’une insuffisance rénale et je m’acheminais vers un coma irréversible. Mais je n’en savais rien à ce moment-là, je ne l’ai su que quelques jours plus tard, je ne l’ai su qu’à mon retour à Barcelone où je me suis comporté comme un somnambule à l’aéroport del Prat (un flux urique empoisonné montait déjà jusqu’à mon cerveau et j’étais incapable de le remarquer) et j’ai répondu très étrangement à ceux qui me demandaient pourquoi j’arrivais sans valise :

– J’ai laissé mes larmes dans le marbre.

Quatre jours entiers tapi à l’intérieur de cet hôtel argentin, jouant à me cacher et voyant toujours de ma fenêtre (presque comme une prémonition de ce qui allait m’arriver) un seul paysage funèbre : des tombes du cimetière voisin de la Recoleta, des monuments funéraires à la gloire de certaines éminences de la patrie argentine. Fleurs sur le mausolée d’Eva Perón. Une vue obsédante, maladive, mortelle. Beau voyage ! »

Je suis moi aussi dans un hôtel à Buenos Aires, et j’écris ces quelques lignes dans ma chambre. Arrivé dimanche, à peine rentré de Cannes. S’est ouvert lundi matin le 65è Congrès de la F.I.A.F. (Fédération Internationale des Archives de Films). C’est la raison de mon voyage, le premier dans cette ville que je découvre très superficiellement mais dont je n’ai que de très bons échos. La quasi totalité des cinémathèques du monde entier sont ici représentées, venant de tous les continents excepté l’Afrique, incroyablement sous-représentée. Les tables rondes se succèdent à peu près toutes les heures autour du thème choisi pour ce symposium : « Les Cinémathèques à la recherche de leurs nouveaux publics ». Les prises de parole sont diverses, d’une très grande disparité, en fonction de la nature même des archives ici représentées.

Mardi matin, devant ouvrir la matinée, j’ai commencé mon intervention par un hommage à un cher ami disparu : João Bénard da Costa, président de la Cinémathèque portugaise. J’ai appris sa mort à Cannes le 22 mai par un texto bouleversé de Dominique Païni, déjà dans le train vers Paris. João Bénard da Costa était un personnage romanesque, je veux dire qu’il sortait d’un roman picaresque ou d’un film de Manoel de Oliveira, son ami. Il a d’ailleurs joué dans plusieurs films du maître portugais, et récemment dans un film court réalisé à la demande de Gilles Jacob dans le cadre d’une commande adressée à une trentaine de cinéastes du monde entier. Le titre : Rencontre unique (2007). Oliveira avait imaginé un film montrant la rencontre (imaginaire) entre le Pape Jean XXIII et Nikita Khrouchtchev. Michel Piccoli interprète Khrouchtchev, tandis que João Bénard da Costa joue le rôle du Pape. Ce film muet et en noir et blanc est hilarant. João Bénard da Costa endossait un autre nom quand il faisait l’acteur : Duarte de Almeida, patronyme aristocratique qui entretenait le mystère, ce qui convenait bien au bonhomme. C’est sous ce nom qu’il apparaît dans plusieurs films de Manoel de Oliveira : Le Passé et le Présent (1972), Amour de perdition (1978), Francisca (1981), Le Soulier de satin (1985), Non ou la veine gloire de commander (1990), La Cassette (1994),  Le Couvent (1995) ou Le Principe d’incertitude (2002). Et dans deux films de Raul Ruiz : Le Territoire (1981) et La Ville des pirates (1984). Cet homme était un prince, une figure altière, toujours élégant, d’une grande culture, parlant un français impeccable. Il évoquait souvent Henri Langlois, qu’il avait connu à Paris et dont il s’inspirait pour diriger depuis près de deux décennies la Cinémathèque portugaise, dont il avait fait un haut lieu de la cinéphilie lusitanienne. Lui rendre hommage ce matin était la moindre des choses. Mon ami Chema Prado, qui dirige la Filmoteca española, me montrait ce matin un quotidien portugais à la une duquel s’affichait une photo magnifique de João. Les deux premières pages du journal lui étaient entièrement consacrées, avec un encadré dans lequel Manoel de Oliveira rendait hommage à son vieil ami. A l’enterrement vendredi dernier à Lisbonne, Manoel de Oliveira avait le visage en larme, me dit Chema, qui avait fait le voyage depuis Madrid. De nombreux cinéastes portugais étaient présents, rendant un dernier salut à un merveilleux compagnon de route.

Mon intervention portait donc sur le thème proposé : les Cinémathèques à la recherche de leurs nouveaux publics. L’expérience de la nôtre, rue de Bercy, permet de dégager quelques tendances. La question des publics est évidemment essentielle, c’est même à mon avis une question politique : le fait que notre Cinémathèque soit fréquentée par des publics nombreux et divers est un fait qui nous protège (et justifie par là même la subvention publique qui nous est allouée chaque année). On le sait : le public n’est plus le même, il a changé. Ce qui a changé c’est que les spectateurs et les cinéphiles ont accès aux films de différentes manières (DVD, chaînes thématiques, téléchargement sur internet) et que la salle de cinéma n’est plus le lieu exclusif de découverte des films. La mission des Cinémathèques consiste à entretenir, par leur sauvegarde et leur restauration, les collections de films anciens (et plus récents), et à les valoriser à travers des programmations originales : hommages, rétrospectives, redécouvertes de genres ou de périodes méconnues du cinéma. Cinéastes, acteurs, scénaristes, directeurs de la photographie, compositeurs de musiques de films, producteurs, font tour à tour l’objet de programmations, comme cela a été ou est le cas rue de Bercy avec Michel Legrand, Pierre Lhomme, Alain Sarde ou Juliette Binoche. Au même moment, une intégrale
consacrée à Cecil B. DeMille qui revient sur un grand classique du cinéma hollywoodien. Il y a aussi nécessité de revisiter l’histoire du cinéma par différentes entrées, en donnant du sens à ces programmations. La programmation est un axe prioritaire autour duquel s’articulent des activités annexes, ou plutôt connexes, mais essentielles. Cycles de conférences sur une œuvre ou un thème, leçons de cinéma, lectures de textes, et jusqu’à l’organisation de concert comme ce fut le cas en février dernier avec Michel Legrand. Transmettre du sens, délivrer une parole sur le cinéma, procéder à des échanges de points de vue avec les spectateurs. Les activités éducatives ont une place de plus en plus importante dans cette offre culturelle : projections de films pour le jeune public, ateliers de formation ou de sensibilisation au cinéma (à l’image et au son), séances spéciales avec animation, visites du musée et des expositions avec un accompagnant. Cette activité de formation et de transmission est essentielle, elle fait appel à des compétences spécifiques, et à des outils spécifiques.

Aujourd’hui le cinéma s’expose, se confronte à sa propre histoire, et à celle des autres arts. Cette dimension nouvelle, récente, est liée au passage du premier siècle du cinéma. La Cinémathèque a la chance d’avoir un musée conçu à partir de ses riches collections, et l’exposition consacrée à Georges Méliès, inaugurée en avril 2008 au moment même où le précédent congrès de la F.I.A.F. se déroulait dans nos murs, a considérablement « dopé » la fréquentation du musée. Les expositions temporaires conçues par la Cinémathèque ont pour but d’élargir notre public. C’est tout particulièrement le cas actuellement avec l’exposition consacrée à Jacques Tati. Ces expositions sont aussi un moyen original, souvent ludique, de revisiter le patrimoine du cinéma. Cette exposition, comme celle consacrée l’an dernier à Dennis Hopper, et d’autres encore, est un projet transversal incluant outre la visite de l’exposition, une programmation de films, l’édition d’un catalogue, des cycles de conférences (celles qui viennent d’être consacrée à Jacques Tati sont en ligne sur le site de la Cinémathèque) et de rencontres, une lecture d’un scénario inédit de Tati, un concert, des ateliers destinés au jeune public, des visites groupées avec conférenciers. Sans oublier un site internet spécifiquement consacré à Tati. Enfin, la restauration d’un film, Les Vacances de Monsieur Hulot, entreprise avec Les Films de Mon Oncle (Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps), la Fondation Groupama Gan pour le Cinéma et la Fondation Thomson. Le film restauré a été montré il y a dix jours à Cannes, sera programmé début juin à la Cinémathèque, et surtout, sortira en salle le 1er juillet grâce au travail d’un distributeur indépendant, Carlotta.

Ce genre de projet transversal attire un public nouveau à la Cinémathèque, spectateurs et visiteurs de tous âges qui découvrent notre institution, son site, ses activités, sa bibliothèque et ses archives. J’ose dire que l’ancienne cinéphilie se mêle ou se confronte avec une nouvelle manière de découvrir le cinéma, à la fois les œuvres, mais également un parcours, une parole, une certaine manière de mettre en scène le cinéma dans ses développements ou dans ses (re)déploiements symboliques. Enfin, et ce n’est pas négligeable, ce genre d’activité fait naître des synergies nouvelles avec des partenaires médias (presse, radio, télévision, internet), et nous permettent d’accueillir, sur la base d’un projet conçu de manière indépendante, des mécènes (Groupama, Orange, agnès b. et Kodak, dans le cas de l’exposition Tati).

La question d’internet agite beaucoup le monde des archives et des cinémathèques. Nous sommes confrontés au développement d’internet, plateforme mondiale de contenus et d’informations. Ce défi est à relever, sans toutefois y perdre son âme. Nous y travaillons en mettant au point un site unique qui unifiera celui de la Cinémathèque et celui de l’ex BIFI, grâce à un portail commun proposant au visiteur une offre multiple et harmonisée, donc mieux organisée et permettant une meilleure visibilité. Le développement des éditions en ligne à travers des sites spécifiques liés à des événements (Tati, Dennis Hopper, restauration de Lola Montès de Max Ophuls, Méliès, ou le robot de Metropolis), à l’enrichissement de nos collections, à la valorisation de nos archives, mêlant documents, extraits de films, entretiens et commentaires, constitue une manière originale d’apporter une sorte de « valeur ajoutée » spécifique, intégrant la virtualisation et l’accès au plus grand nombre. Sans oublier le développement de nos bases de données (« Ciné-ressources »), la mise en ligne des conférences qui se déroulent à la Cinémathèque, voire le développement d’expositions virtuelles. Les Cinémathèques doivent devenir des médias culturels, des centres de ressources, réels et à distance, mettant en valeur grâce au savoir-faire de leurs équipes les nombreux éléments dont elles disposent : collections de films, archives et documents dit « non film », programmations diverses dont elles sont à l’origine, expositions, conférences et débats, ateliers de formation, accès à leurs archives à travers des bases de données. C’est là un vaste chantier de développement.

Revenons à Buenos Aires. J’ai hâte de revoir Pablo Trapero l’auteur de Mundo Grúa, El Bonaerense et de Leonera, très beau film qui était en compétition l’an dernier à Cannes dans lequel joue sa femme, la merveilleuse Martina Gusman. Nous sommes convenus de nous voir demain ou après-demain. Lundi matin, j’ai lu dans le quotidien Clarín une page pleine consacrée à un fait dont les conséquences peuvent être graves : alors qu’il était sorti dîner avec sa femme et sa mère, à Mar de Las Palmas où il a une maison au bord de la mer, des cambrioleurs se sont introduits chez Pablo Trapero et lui ont dérobé son ordinateur. Dans son ordinateur se trouvait le scénario de son prochain film intitulé Carancho, ainsi que des photos de repérage. Pablo Trapero a lancé un appel public pour qu’on lui restitue son ordinateur, moyennant une prime. J’espère que son appel sera entendu.

P.S. : À propos de Pedro Almodovar, je recommande vivement la lecture de son blog, où le cinéaste raconte la genèse de son dernier film, Los abrazos rotos : c’est réellement passionnant, sincère et très bien écrit. La mise en page est soignée, agrémentée de nombreuses photos. Il est rare qu’un cinéaste tienne son blog, conçu comme un véritable journal de tournage – ce que Truffaut avait magnifiquement fait en 1966 lors du tournage de son film anglais Fahrenheit 451 (journal paru alors dans les Cahiers du cinéma, puis en livre). Dans son blog, Pedro Almodovar revient sur une polémique violente qui l’oppose à un critique du quotidien El Pais. Cela confirme que le cinéaste est bien mieux accepté (et compris) en France que dans son propre pays. A lire absolument en allant sur : www.pedroalmodovar.es  

Palme d’or à Michael Haneke

dimanche 24 mai 2009

A la fin de la projection du film de Michael Haneke, Le Ruban blanc, jeudi dernier à quatorze heures trente, dans l’Auditorium Lumière à Cannes, j’ai dit à l’oreille de Laurence, ma voisine, d’un ton assuré : ce film aura la Palme d’or. Elle ne m’a pas cru et pourtant j’ai eu raison. Question d’expérience. De flair, surtout. Le film de Haneke est splendide, profond, filmé à la bonne distance. Haneke a toujours été un bon dramaturge, mais là il se surpasse et son regard est implacable, sans pour autant se faire juge. Le Ruban blanc est à ce jour son meilleur film. Isabelle Huppert, qui a déjà tourné deux fois avec lui, a su reconnaître le talent et convaincre son jury. Je pensais aussi que cette Palme d’or arriverait au bon moment pour couronner la carrière de Michael Haneke. Déjà récompensé par des prix dans divers festivals, ayant permis à Isabelle Huppert d’obtenir son deuxième prix d’interprétation en 2001 pour son rôle dans La Pianiste, il manquait au cinéaste autrichien la consécration suprême. Celle-ci arrive au bon moment. La force de son film tient aussi à l’universalité du sujet abordé : comment le Mal s’installe et se distille à travers les mailles les plus infimes d’une communauté villageoise allemande, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Haneke traite le sujet par le détail, en s’arrêtant sur les traits les plus infimes et les plus secrets qu’épouse le Mal, toutes classes confondues. Sans jamais trop s’appesantir. Chaque plan est d’une grande beauté plastique, dans un noir et blanc qui déploie toutes ses nuances et fait de chaque image comme une gravure ; le jeu des comédiens, celui des enfants surtout, la belle langue parlée, le principe de narration (la voix off de l’instituteur, lui-même partie prenante dans l’histoire), la maîtrise ou rigueur de la mise en scène, font du film une œuvre qui restera. C’est ce que j’ai ressenti en voyant le film.

Vendredi dernier j’étais invité à l’émission d’Ali Baddou sur France Culture, en compagnie de Michel Ciment, pour évoquer les cinquante ans de la Nouvelle Vague. En fin d’émission, l’animateur nous demanda – nous avions été rejoints par Jean-Michel Frodon, directeur des Cahiers du cinéma, et Alain Kruger, producteur de l’émission Le Cercle – d’établir un pronostic pour la Palme d’or. Les autres citèrent plusieurs films, tous respectables au demeurant, quand je n’en citai qu’un seul, celui de Haneke. Ayant fait partie du jury à Cannes en 1992, j’ai appris (à mes dépens) qu’il ne faut jamais citer plusieurs films à la fois ou s’emballer pour plusieurs, mais plutôt tout miser sur un seul. Et s’y tenir. Pour les raisons que j’ai dites, le film de Michael Haneke me paraissait avoir toutes les qualités pour gagner. Je n’en tire évidemment aucune vanité. A Cannes tout se joue dans un mouchoir. D’autres films pouvaient prétendre à la même récompense, je pense au film de Jacques Audiard, Le Prophète, donné largement favori par la majorité des journalistes et critiques – ce qui n’est pas toujours bon signe. Entre Le Ruban blanc et Le Prophète (Grand prix du Jury), il y a me semble-t-il une nuance, infime, mais qui fait la différence : ces deux films ne touchent pas au même point de sensibilité, ni au même point d’universalité. La dimension féminine est absente du film d’Audiard. On me dira que c’est parce que le film se déroule entièrement ou presque dans une prison d’hommes. C’est vrai. Il n’empêche que cette sensibilité féminine relève aussi d’autre chose, du regard que l’on porte sur les hommes et sur leurs actes. Elle peut aussi s’inscrire de manière quasi imperceptible à travers la mise en scène. Ce n’est pas le cas du film d’Audiard. A discuter.

Nous avions décidé, bien avant le 62è Festival de Cannes, avec Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque, de rendre hommage à Michael Haneke en octobre prochain. Nous projetterons Le Ruban blanc en avant-première le 19 octobre, deux jours avant sa sortie en salle (le film est distribué par Les films du Losange), en présence du cinéaste. Et la rétrospective de son œuvre débutera le 21. Ce sera l’occasion de revoir tous les films de M. Haneke et de dialoguer avec lui. Haneke est un cinéaste très intelligent, précis, qui parle de mise en scène avec une économie de mots, un peu comme ses films. Et surtout, il refuse la psychologie, ne l’admet pas comme une catégorie, disons, explicative. Pour lui le cinéma est d’abord une affaire de mise en scène. Nous sommes très heureux de l’accueillir bientôt à la Cinémathèque.

 

Coppola, Godard et Tati quanti

dimanche 17 mai 2009

Coppola préfère le off

La Quinzaine des Réalisateurs ouvrait sa sélection jeudi 14 mai avec le nouveau film de Francis Ford Coppola, Tetro. C’est une des premières ondes de choc du 62è Festival de Cannes : que fait ce film incroyable, splendide et envoûtant, dans la sélection off ? Pourquoi n’est-il pas en sélection officielle ? La question intriguait les 800 spectateurs qui découvraient le film et qui réservèrent un accueil chaleureux à son auteur. Avant la projection, Coppola monta sur scène, invité par Olivier Père, le délégué de la Quinzaine dont c’est la dernière saison à Cannes. L’an prochain, il dirigera le Festival de Locarno qui se déroule au mois d’août. Les sélectionneurs de festivals, qui sont une poignée dans le monde, sont comme les entraineurs de football, transférables au gré des opportunités. Ainsi, Olivier Père remplace Frédéric Maire à Locarno, lequel Maire prendra la direction de la Cinémathèque de Lausanne (devenant par la même un confrère). On a appris dans les coulisses que Peter Scarlet, qui dirigeait le Festival de Tribeca à New York, vient d’être transféré à Dubaï pour s’occuper du récent festival international financé par les Émirats. Kent Jones, qui travaillait au Lincoln Center et s’occupait de programmation, rejoint la World Film Foundation aux côtés de Martin Scorsese.

Revenons à Coppola. L’homme a 70 ans et n’a plus rien à prouver. Il fait partie du carré d’as des cinéastes ayant obtenu deux palmes d’or (lui pour The Conversation et Apocalypse Now), avec les Frères Dardenne, Emir Kusturica et Bille August. Chercher l’erreur. On raconte que le festival de Cannes aurait proposé à Coppola de mettre son film hors compétition. Et que Coppola aurait refusé, voulant être en compétition. C’est ainsi que le film fut récupéré par la Quinzaine. Coppola ne sera donc pas le premier réalisateur à gagner sa troisième palme. Et son geste de choisir la Quinzaine des Réalisateurs ne manque pas de panache. L’homme est riche grâce à ses vignes de Californie, et du même coup finance ses propres films. Ayant longtemps voulu conquérir son indépendance en se battant contre l’emprise économique des Studios, Coppola a retrouvé une seconde jeunesse en s’en éloignant, tantôt en Roumanie (L’Homme sans âge en 2007), tantôt en Argentine, là où il vient de tourner Tetro en numérique. Le film se déroule à Buenos-Aires, respire sa langue, son architecture, son atmosphère, les paysages (un voyage dans la dernière partie du film en Patagonie), et surtout son univers mental. Tetro reprend sur un mode très original les thèmes ou motifs du cinéma de Coppola : la rivalité entre frères, le pesant mystère familial, le combat contre la figure du père (Klaus-Maria Brandauer), ici montré tel un ogre dévorant ses progénitures. Il n’empêche que le père est artiste, un maestro à la carrière international – on sait que Carmine Coppola, le père de Francis Ford, était musicien…

Sur le plan formel, Tetro est d’une grande beauté plastique, grâce à son noir et blanc absolument pas rétro, ponctué de scènes de mémoire tournées en couleur. Rêves, fantasmes et autres traumatismes surgissent dans des couleurs splendides, avec une référence explicité au film de Michael Powell et Emeric Pressburger The Red Shoes (1948), dont la version restaurée est présentée à Cannes par Martin Scorsese – il s’agit-là d’une pure coïncidence. Coppola, c’est son dada, s’amuse à confronter, ou à faire se mesurer, le cinéma au théâtre (sur le mode parodique et excessif), à l’écriture (sur le mode du palimpseste : Tetro écrit des manuscrits que son frère, dans le souci de découvrir sa propre origine, son propre roman familial, déchiffre clandestinement, jusqu’à se les approprier), et surtout à l’opéra (dont il reprend l’extase et la majesté narrative). En artiste de la Renaissance qu’il a toujours été, Coppola cherche et trouve ici la forme cinématographique la plus belle, la plus harmonieuse, la plus gracieuse, en même temps qu’inquiétante, qui le met au niveau d’un Welles ou d’un Fellini.

Il est rare qu’en voyant un film on se dise à soi-même, dans un murmure intime et incertain, tiraillé par le doute, que les images qui défilent sur l’écran ont en elles une charge émotionnelle inédite, un pouvoir de fascination étrange qui les fait se cogner en vous à autre chose, un monde onirique et irréel, peuplé d’êtres de chair et de sang. Rare d’avoir devant les yeux, un film dont la profondeur vous invite à la réflexion et à l’émotion. Le film de Coppola m’a fait cette impression, porté par des acteurs magnifiques : Vincent Gallo, Maribel Verdù, Alden Ehrenreich et Carmen Maura. 

Un film qui murmure à vos oreilles 

Cette impression qu’un film vous murmure quelque chose d’essentiel à l’oreille, je l’ai ressentie pour la première fois il y plus de quarante ans, lorsque j’ai découvert dans une salle de cinéma à Grenoble Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. J’avais seize ans et tout d’un coup ce film m’a fait chavirer du côté du cinéma sans que je m’y attende vraiment, et sans que je me rende compte de la portée qu’allait avoir ce chavirement. Jusque-là j’allai au cinéma depuis ma prime enfance, et je voyais des films, le tout-venant, les films avec et de Jerry Lewis, des westerns, des péplums, genre à la mode à la fin des années cinquante et au début des années soixante – l’un d’entre eux, je ne sais plus lequel, avec l’acteur Steve Reeves, se tourna à Sousse, ma ville natale en Tunisie, là où j’allai au cinéma régulièrement chaque samedi après-midi avec mes deux soeurs. Et puis en 1965 est arrivé Pierrot le fou. J’en suis sorti chamboulé, bouleversé, hébété : je n’étais plus le même. Dans ma vie de spectateur il y a un avant Pierrot le fou, et un après. Pour la première fois, j’entendis à travers les images et les sons, les couleurs et le bleu de la Méditerranée, les élans amoureux et gracieux de Belmondo et Karina, les jeux de montage de Godard, le plaisir de la citation (aussi bien Elie Faure, Aragon que les Pieds Nickelés), cette histoire d’amour fou qui tourne mal, j’entendis donc la voix silencieuse d’un cinéaste doublé d’un poète qui me disait autre chose que le cinéma d’avant. Que le monde était désordre et violence, que l’amour de Marianne pour Pierrot-Ferdinand dissimulait la trahison, que le bleu du ciel était le même que celui dont Pierrot se peint le visage avant de se faire sauter la gueule. Tout n’était que Beauté. Cet homme invisible et inconnu qui s’appelait Godard me prenait par la main pour m’entrainer dans une zone secrète et mystérieuse où j’avais le sentiment de ne m’être encore jamais rendu. Le Cinéma.

Pierrot le fou restauré 

Plus de quarante ans plus tard, Pierrot le fou avait besoin d’être restauré. Le film avait été tourné sur un format particulier, le Techniscope. Raoul Coutard, le directeur de la photographie disait : « Sur le Techniscope, il y a deux perforations, c’est-à-dire qu’on a une image qui est directement en Cinémascope… Et quand on la tire, on l’agrandit en l’anamorphosant de manière à ce qu’elle se retrouve avec quatre perforations pour la projection. A cette époque-là, on avait des problèmes de définition de la pellicule, avec pas mal de grains… » Les éléments permettant de tirer de nouvelles copies du film étaient grandement détériorés, aussi bien l’interpositif que l’internégatif. Les copies de Pierrot le fou encore disponibles avaient presque toutes viré au rose. Il était donc nécessaire de restaurer le film afin d’établir un nouvel élément de conservation stable à partir du négatif original, permettant le tirage de copies proches du film original. La Cinémathèque française et Studio Canal ont uni leurs efforts pour entreprendre cette restauration, projetée à Cannes samedi dans le cadre de « Cannes Classics », en présence de Anna Karina. Camille Blot-Wellens (Cinémathèque) et Béatrice Valbin-Constant (Studio Canal) ont supervisé cette restauration, avec Scanlab (Groupe LTC), dont le principe a consisté à numériser le négatif en 2K, permettant ainsi de procéder à un travail sur l’image afin de récupérer les couleurs de l’Eastmacolor. Le résultat est rigoureusement saisissant. La projection cannoise a permis à de nombreux spectateurs de découvrir un film qu’ils n’avaient jamais vu jusque-là, et à ceux qui le connaissaient depuis belle lurette de le revoir comme ressuscité, ré-enchanté dans la vivacité de ses couleurs. Cette restauration de Pierrot le fou a reçu le soutien du Fonds Culturel Franco – Américain. Il est prévu que le film ressorte en salle en septembre 2009, ce bain de jouvence étant ce qui peut arriver de mieux à un film restauré.

Les Vacances de monsieur Hulot

Autre restauration montrée à Cannes, celle du film de Jacques Tati, Les Vacances de Monsieur Hulot, entreprise par Les Films de Mon Oncle (Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, les ayants droit du film), la Fondation Groupama Gan pour le Cinéma (Gilles Duval), la Fondation Thomson (Séverine Wemaere) et la Cinémathèque française (Hervé Pichard). Les Vacances… est le deuxième film de Tati, sorti en l953. Par la suite Tati revint à plusieurs reprises sur son film pour le retoucher, modifier l’ordre des séquences, en enlever ou en ajouter. La dernière version date de 1978, où Tati, après avoir découvert le film de Steven Spielberg Les Dents de la mer, tourna un plan qu’il inséra dans son montage, où l’on voit les effets de panique provoqué par le faux requin (Hulot enfermé bien malgré lui dans son canoë) sur les baigneurs de la plage de Saint-Marc-Sur-Mer, l’endroit même où il avait tourné son film vingt-cinq années auparavant. C’est cette ultime version du film qui vient d’être restaurée, et qui a nécessité un gros travail de documentation et de recouvrement des différents éléments épars, le négatif caméra ayant subi les coups de ciseaux liés aux différentes versions voulues par Tati. La restauration numérique a permis de retrouver l’impeccable noir et blanc de la version d’origine, avec toutes les nuances de gris, les contrastes, le piqué de la veste en pied de poule de Hulot, les moindres détails sont redevenus très nets. Travail de précision qui rend le film plus vrai, dans sa matière même. Mais c’est au niveau du son que le film gagne énormément, la restauration permettant de découvrir toutes les nuances sonores imaginées par Tati. Ainsi, au début du film, lorsqu’on entend la voix nasillarde de Tati à travers le haut-parleur de la gare, proférant des messages contradictoires qui affolent les voyageurs en attente d’un train, toute la scène a repris du relief et prend toute sa saveur comique. Les bruits (les pétards de la guimbarde de Hulot), les sons, les ambiances sonores, les rythmiques, les différents degrés sonores imaginés par l’auteur recomposent pour ainsi dire le film et lui donne une nouvelle percussion. Les Vacances de Monsieur Hulot ressortent en salle le 1er juillet (distribution Carlotta).

La Cinémathèque est fière d’avoir présenté ces deux restaurations à Cannes. Nul doute que Pierrot le fou et Les Vacances de Monsieur Hulot vont à nouveau voyager, sur les écrans des festivals ou sur ceux des salles de cinéma.

 

Cannes démarre en 3D

jeudi 14 mai 2009

En direct de Cannes. 62è édition.Le Festival a démarré hier avec une soirée d’ouverture sobre. Mélange defantaisie (merci à Edouard Baer, drôle et élégant, qui a fait passer, mine derien, dans ses vannes et pirouettes quelques messages subliminaux plutôtlucides sur l’état du monde et sur la veste blanche du smoking porté parCharles Aznavour), et de gravité ou de dignité. Il revenait à Isabelle Huppert,as presidente of the jury, très classe et sereine, de dire enquelques belles phrases ce qu’est pour elle la quintessence du cinéma commeArt. Un art fait d’exigence et qui implique l’abandon et le don de soi, lecourage et la peur, le goût de l’enfance… La cérémonie d’ouverture était réussie.

Proposer à un film d’ouvrir leFestival n’est pas toujours un service à lui rendre. Il y a quelques bellescatastrophes dans les annales de Cannes… Il faut en général un film consensuelet susceptible de mettre les festivaliers dans la bonne humeur, avant lemarathon de douze jours et douze nuits qui les attend. Le choix de ThierryFrémaux, le directeur sélectionneur, s’est porté sur un film d’animation en 3D,Up (Là-haut), réalisé par Pete Docter et Bob Peterson pour le StudioPixar, filiale de Disney. Chaque spectateur s’est donc vu remettre une paire delunette rouge, permettant de découvrir un film plaisant mais assezmélancolique, dont les images en relief sont convaincantes, avec la terre vuedu ciel, les reliefs et les arrières plan hyper réalistes, une maison qui vole,des chiens qui jappent ou aboient, et autres animaux chers à Disney.

Up c’est l’histoire d’une vie, celle du jeune Carl dont le héros dans la vie est Charles Muntz, célèbre aventurier. Le début du film résume en une vingtainede minutes la vie de Carl, de 8 à 78 ans. La jeunesse, la rencontre avec safuture femme, leur vie sans enfants, la mort de l’épouse, le veuvage et lasolitude, le bouleversement immobilier atour de la vieille bicoque. Le tempspasse vite. Jusqu’au jour où quelqu’un frappe à la porte du vieux Carl, devenuacariâtre et taciturne. Le gosse se nomme Russell et il se propose d’aider lespersonnes âgées à traverser la rue ou à faire leurs emplettes, ce qui luivaudra une médaille. Sympathique, bonne bouille, mal foutu, un peu obèse,Russell va entraîner Carl dans une nouvelle vie. Stupeur ! Le scénario de Up se met à ressembler farouchement àcelui de Grand Torino, le dernier(splendide) Eastwood. Ou comment un vieil homme bougon et antipathique reprendgoût à la vie, au contact d’un corps étranger – le jeune Coréen du film de ClintEastwood, ici le jeune Russell dont l’origine ethnique est d’ailleursimprobable. Up est un film honnête etsage conçu pour les enfants. Chez Disney, la transmission se fait en sensinverse : ce ne sont pas les parents qui transmettent aux enfants lesbonnes valeurs familiales, à savoir le goût de la vie et du travail, le respectdes autres, la politesse, etc. Là ce sont les enfants qui insufflent auxadultes de l’énergie et de la fantaisie, le goût de l’aventure pour un derniervoyage à travers le monde. Ne serait-ce que pour ça, et pour voir une vieillemaison voler dans le ciel, le film mérite d’être vu (il sortira le 28 juillet).La salle hier soir l’a accueilli avec politesse, sans excès de générosité. Lefilm méritait meilleur accueil, ne serait-ce que pour l’audace de l’avoirréalisé artisanalement en 3D.     

Levé tôt ce matin pour aller voirle premier film en compétition : FishTank de Andrea Arnold (Grande-Bretagne). Mia est l’héroïne du film,adolescente de 15 ans, rebelle, mal dans sa peau, en guerre avec le monde,celui-ci se réduisant à l’appartement sordide où elle vit avec sa mère et sapetite sœur, aux filles du quartier avec lesquelles elle se bagarre, au coin oùvivent des gitans et leur vieille jument. Cinquante ans après la découverte desQuatre Cents Coups à Cannes, le« modèle Doinel » est encore en usage, avec un détour par le« modèle Rosetta » des frères Dardenne. Le scénario de l’adolescenceest inscrit en permanence dans l’histoire du cinéma. Caméra à l’épaule, cadrageréaliste, on suit Mia dans ses successives impasses. On se dit qu’elle estvraiment mal barrée, avec quand même à chaque fois une petite lueur d’espoir. Heureusementil y a la danse. Mia se déhanche et s’épanouit en écoutant de la musique.L’actrice qui interprète le rôle de Mia s’appelle Katie Jarvis, elle n’avaitjamais rien fait au cinéma jusqu’à ce film. La réalisatrice l’a repérée sur unquai de gare ans la région de l’Essex, lui a fait prendre des cours de danse.Casting judicieux, même si, honnêtement, Mia ne danse pas génialement. Sesrivales du quartier s’en sortent beaucoup mieux, c’est peut-être pour cela que Miaest en guerre ouverte avec elles. Même sa mère, avec qui elle entretient desrapports exécrables (insultes, mépris, haine) danse mieux. Katie Jarvis a dutempérament, elle est même jolie et gracieuse lorsqu’elle défait ses cheveux etlâche un petit sourire. La mère a un petit ami, Connor (interprété par MichaelFassbender, excellent), et la relation qui se noue entre Mia et Connor estassez prévisible. C’est d’ailleurs le problème du film (et de son scénario)d’être assez prévisible. Cela ne décolle pas. On sait par avance quelles sontles issues possibles pour que Mia s’en sorte, ou se donne une chance de vivreet d’être libre. Le problème, c’est que le spectateur va plus vite que lepersonnage. Le film ne lui donne pas cette chance.

Fish Tank fait partie de cette famille de films qui reposent sur uncontrat implicite entre le metteur en scène et son personnage : à celui-cid’exposer sa vie, ses difficultés, l’incapacité de s’insérer ou de faire partiedu monde, d’être dans une représentation vive et nerveuse de chaque situation,de dire à quel point il refuse le monde tel qu’il est ; au cinéasted’écrire le film par le biais de la mise en scène, d’ouvrir un horizon moral àson personnage pour qu’il s’en sorte. C’était le contrat entre Léaud/Doinel etTruffaut, celui entre Rosetta et les Dardenne. Là, j’ai le sentiment que lecompte n’y est pas.   

Jean-Pierre Léaud, le retour

samedi 9 mai 2009

Il y a deux semaines, j’étais à Los Angeles quand Jean-Pierre Léaud m’a laissé un message. Je l’ai rappelé aussitôt. Il voulait m’annoncer une bonne nouvelle. Le film de Tsai Ming-liang dans lequel il joue, Visages, est sélectionné en compétition officielle à Cannes. Jeanne Moreau, Fanny Ardant et Nathalie Baye sont à ses côtés dans le film, autant de raisons d’imaginer que Tsai Ming-liang y rend directement ou indirectement hommage à Truffaut. Mathieu Amalric et Laetitia Casta figurent également dans ce film. Au bout du fil, j’entends la voix joyeuse et fière de Jean-Pierre Léaud, qui revient de loin. Il a fait preuve de beaucoup de courage ces dernières années, pour revenir en forme et reprendre son métier d’acteur. Il me dit également ceci, qui prend toute sa valeur : « Tu te rends compte, cinquante ans après Les 400 Coups, je reviens à Cannes avec un film en  compétition officielle ! » Je lui fais part de ma joie avec ces mots : Jean-Pierre Léaud is back ! On célèbre cette année les cinquante ans de la Nouvelle Vague, et l’un de ses plus illustres emblèmes, Jean-Pierre Léaud, fête ses cinquante ans de carrière. Cet anniversaire ne fait pas plaisir à tout le monde. Je fais le pari que nous allons entendre ici ou là les voix de ceux qui n’ont toujours pas digéré les films de Godard, Truffaut, Rohmer ou Chabrol. Qu’importe. Ces films et leurs auteurs font depuis longtemps parti de l’histoire du cinéma. Et Resnais présente son nouveau film à Cannes : Les Herbes folles.

J’étais à Los Angeles pour participer à un festival de cinéma : « City of Lights, City of Angels ». COL COA fêtait sa treizième édition, avec une sélection de vingt longs-métrages français, accompagnées de nombreux films courts. Le festival se déroule à la DGA, la Directors Guild of America, sur Sunset Boulevard : deux salles confortables, pleines à chacune des nombreuses séances. COL COA est une initiative du Fonds Culturel Franco-Américain, qui regroupe quatre entités distinctes : la DGA, la Writers Guild of America, la Motion Picture Association et la Sacem. Pas facile de promouvoir le cinéma français aux USA, tout particulièrement sur la Côte Ouest, en plein cœur du temple hollywoodien. Si COL COA y parvient, c’est que la stratégie adoptée (par François Truffart, son directeur et sélectionneur) est la bonne : proposer un éventail assez large de films, ceux de Josiane Balasko (Cliente), André Téchiné (La Fille du RER), Jean-François Richet (Mesrine), Philippe Lioret (Welcome), Christophe Honoré (La Belle personne), Michel Hazanavicius (OSS 117 Rio ne répond plus), Zabou Breitman (Je l’aimais), Philippe Haïm (Secret défense), Rémi Bezançon (Le Premier jour du reste de ta vie), Nicolas Saada (Espion(s), François Dupeyron (Aide-toi et le ciel t’aidera) ou Costa-Gavras (Eden à l’Ouest). A chaque séance, la salle vibrait, riait, réagissait, fonctionnait de plain-pied avec des univers ou des imaginaires très variés. Ensuite, le traditionnel « Q and A » au cours duquel le ou la cinéaste se fait interroger par un journaliste américain, puis répond aux questions du public. Pari réussi.

La place du cinéma français aux USA demeure toutefois marginale, sachant que l’ensemble du cinéma étranger ne dépasse pas 5 % des entrées sur le territoire américain. Il n’empêche que c’est important. Le cinéma français joue son rang de troisième cinématographie mondiale, après l’Inde et l’Amérique. Et l’on ne saurait oublier à quel point il a pu influencer les cinéastes américains du « Nouvel Hollywood », c’est-à-dire ceux de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix : les Scorsese, Spielberg, Lucas, De Palma, Altman, Friedkin et autres. Tous ont vu A bout de souffle et Jules et Jim, sans oublier les films d’Alain Resnais, dont l’influence est souterraine mais certaine. USC, une des universités californiennes, m’avait convié à donner une conférence sur François Truffaut vendredi 24 avril. J’y ai été étonné de voir à quel point la référence à Truffaut demeure à ce point vivace auprès de jeunes étudiants en cinéma, vingt-cinq ans après sa mort.

Luc Lagier a réalisé un documentaire intelligent et convaincant sur la question de l’influence de la Nouvelle Vague sur le cinéma américain des années soixante-dix. Le titre de son film est : Nouvelle Vague, vue d’ailleurs. Il a eu la chance de rencontrer, à New York et Los Angeles, des témoins de premier plan qui évoquent leurs années de formation. Arthur Penn revient sur Bonnie and Clyde, en rappelant que Truffaut faillit en être le réalisateur. D.A. Pennebaker, le grand documentariste (entre autres, Don’t Look Back, son film sur Bob Dylan), fut celui qui sorti La Chinoise à New York en 1968, surpris du succès du film auprès des étudiants contestataires américains des universités et des campus. Luc Lagier a mis la main sur des documents passionnants et rares où l’on voit Godard (parlant anglais devant un parterre d’étudiants), ou aux côtés de Pennebaker et Richard Leacock en train de discuter d’un projet de film commun, One American Movie (qui n’aboutira pas). Autres témoignages, ceux de Jerry Schatzberg, William Friedkin, Paul Schrader et James Gray. Friedkin est le plus intéressant lorsqu’il dit : « La Nouvelle Vague nous a permis d’être nous-mêmes, nous ne pouvions pas importer la NV aux USA, mais elle nous a aidés à nous sentir libres ». Le film de Luc Lagier est précis, convaincant lorsqu’il montre des exemples de cette influence du cinéma français sur le nouveau cinéma américain des années soixante-dix, qui tente de s’émanciper des Studios. Il utilise des extraits des Quatre Cents Coups et d’A bout de souffle pour prouver l’influence que des acteurs comme Léaud et Belmondo ont pu exercer sur la génération des Pacino et De Niro. Sans oublier de dire ce que les cinéastes de la NV devaient eux-mêmes au cinéma américain. Nouvelle Vague, vue d’ailleurs sera diffusé sur Arte le 11 mai à 22h20, après Les Quatre Cents Coups de Truffaut.

Dans cette saga de la Nouvelle Vague aux USA, une personne a joué un rôle décisif, quoique discret : Helen Scott. Cette femme assez forte et rieuse travaillait au French Film Office à New York en 1960, lorsque Les Quatre Cents Coups, A bout de souffle, Hiroshima mon amour et d’autres films encore eurent le retentissement et le succès que l’on sait. Elle accueillit Truffaut, Godard, Resnais à New York, servit d’interprète entre ces cinéastes et les critiques ou journalistes américains. Elle s’occupa tout particulièrement de Truffaut, dont elle adorait les films, lui fit rencontrer David Goodis, et c’est avec elle qu’il entreprit ses fameux entretiens avec Hitchcock en août 1962 à Hollywood. Elle s’installa à Paris en 1965, quand Truffaut réalisa en anglais Fahrenheit 451, travailla aussi avec Claude Berri et fut très liée à Jean-Pierre Rassam. On ne dira jamais assez ce que le cinéma français de cette période des années soixante doit à Helen Scott, disparue en novembre 1987. Sa tombe au cimetière Montmartre est voisine de celle de son ami François Truffaut.