Archive pour le 08.2010

Locarno, Père et gagne

jeudi 5 août 2010

Le quotidien suisse genevois Le Temps consacre ce matin son éditorial publié en une, au Festival de Locarno dont la 63è édition s’est ouverte hier (jusqu’au 14 août), avec la projection du film de Benoît Jacquot, Au fond des bois. Le titre de l’article de Thierry Jobin est éloquent : « Une invitation à l’apaisement, et au cinéma ». Cela voudrait-il dire que le Festival de Locarno serait ou aurait été en proie à des turbulences, et que l’apaisement serait impérieux ?

Ce qui fait événement (pas qu’en Suisse), c’est que cette édition inaugure l’ère d’Olivier Père, le nouveau directeur artistique du festival, ce qui, selon le même article, « provoque beaucoup d’enthousiasme mais aussi quelques réserves ». Olivier Père est français et cinéphile. Il a dirigé la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes durant six ans, et son bilan est salué de manière positive. Il a aussi fait ses classes comme critique aux Inrockuptibles, et il a surtout longtemps été programmateur à la Cinémathèque française, aux côtés de Jean-François Rauger – ce qui n’est pas la pire école. Disons qu’il incarne une certaine cinéphilie à la française, mélange de curiosité et d’audace. Olivier Père est en mesure d’aller chercher dans les moindres recoins du cinéma mondial la douzaine de pépites qu’un festival comme Locarno a impérativement besoin pour sauver la mise. Il est aussi en mesure de programmer, c’est-à-dire de faire coexister pacifiquement et côte à côte autant d’objets hétérogènes (films d’auteur, de genre, expérimental ou grand public, sachant qu’aucune de ces catégories n’est jamais « pure », et que les meilleurs films sont souvent ceux qui se situent entre elles ou contre elles, ou jouant avec chacune d’elles en s’en affranchissant), qui constituent ce qu’on appelle une bonne sélection. Choisir et mettre en valeur les films que l’on a aimés, qui éveillent la curiosité ou qui font preuve d’audace dans l’écriture et le regard, telles sont les deux qualités d’un bon sélectionneur. En plus de cela, Olivier Père est un jeune homme (39 ans) courtois et ne manque pas d’élégance. Le fait d’être allé chercher quelqu’un comme lui pour diriger l’un des plus anciens festivals de cinéma au monde, est donc en soi une décision importante. Il succède à Frédéric Maire qui a rejoint la direction de la Cinémathèque suisse, installée à Lausanne. Comme l’écrit l’éditorialiste du Temps, Olivier Père est censé apporter à Locarno « une énergie nouvelle ». Cela sous-entendait-il que le festival en manquât ces derniers temps ? L’éditorial du Temps se garde bien de l’affirmer.

Le Festival de Locarno occupe une place délicate dans le paysage des grands festivals de cinéma en Europe. D’abord du fait de ses dates (première quinzaine d’août), ensuite de sa localisation : une ville de villégiature au bord d’un lac, avec un climat incertain (il peut faire chaud et humide, comme il peut pleuvoir averse), mais dont la capacité hôtelière a sérieusement diminué ces dernières années. En gros, Locarno se situe après Cannes (censé rafler ce qu’il y a de meilleur dans le cinéma mondial) et juste avant la Mostra de Venise (qui vit encore sur son inépuisable prestige), laquelle est talonnée par Toronto devenu le plus important festival du continent nord-américain, énorme machine (près de 400 films projetés chaque année) qui a l’avantage de ne pas offrir de compétition (ce qui économise les risques de l’échec au grand prix) mais de se présenter comme une fenêtre promotionnelle efficace ouverte sur le marché américain.

Le Festival de Locarno est donc contraint d’innover, de prendre des risques, de jouer avec fierté les outsiders. Il doit s’évertuer également à ne pas décourager le cinéma suisse, qui souffre en permanence de ne pas avoir la reconnaissance qu’il mérite (ou croit mériter) à l’intérieur même des frontières nationales, sans parler d’une reconnaissance internationale. Car il n’existe pas un cinéma suisse mais plusieurs. Le cinéma alémanique a peu à voir avec celui qui se conçoit à Genève ou Lausanne, d’inspiration francophone. Alain Tanner, Michel Soutter ou Claude Goretta, les anciennes « têtes de série du cinéma helvète », sans parler de Godard, tout de même plus français que suisse, ont été reconnus vers la fin des années soixante et le début des années soixante-dix par la critique et le public français comme les représentants du « nouveau cinéma suisse », dont l’inspiration ou la filiation « Nouvelle Vague » était patente. Avec, pour Alain Tanner, un zeste de « Free cinéma » britannique, l’auteur de La Salamandre ayant passé quelques années à Londres vers la fin des années cinquante, au moment de l’éclosion du cinéma en colère des jeunes anglais Tony Richardson, Lindsay Anderson et Karel Reisz. Olivier Père a semble-t-il vite perçu l’écueil, en choisissant deux films suisses pour la compétition officielle. De même, un Pardo d’honneur sera remis à Alain Tanner le 10 août au soir sur la Piazza Grande (j’aurai l’honneur et le plaisir de le lui remettre). Tout cela devrait contribuer à l’apaisement, évoqué par Thierry Jobin dans son éditorial du jour.

Outre sa compétition officielle, ses projections spectaculaires le soir sur la Piazza Grande pouvant accueillir jusqu’à 8000 spectateurs, Locarno propose aussi cette année une rétrospective consacrée à Ernst Lubitsch (c’est une des « marques de fabrique » de Locarno que de proposer de belles rétrospectives : je me souviens de celles consacrées à Sacha Guitry, Preston Sturges, Youssef Chahine ou encore Abbas Kiarostami). Celle consacrée à Lubitsch a été conçue dans la connivence la plus totale avec la Cinémathèque française, qui rouvrira ses portes le 25 août avec cette même rétrospective, et la Cinémathèque suisse qui la proposera également à son public, quelques jours à peine après la fin du Festival de Locarno. Bel exemple de coopération entre trois institutions dédiées au cinéma, l’une à la découverte de nouveaux talents, les deux autres à la conservation et la programmation des grands classiques.   

 

 

  

Véronique Silver… C’était Madame Jouve

lundi 2 août 2010

Le Monde du week-end (daté du 1er et 2 août) publie une brève nécrologie de Véronique Silver, actrice de cinéma et de très nombreuses séries télévisées. Âgée de 79 ans, elle a débuté en 1954 dans Si Versailles m’était conté…  de Sacha Guitry. Curieusement, cette nécrologie oublie de mentionner le personnage inoubliable qu’interprétait Véronique Silver dans La Femme d’à côté de François Truffaut (1981) : celui de Madame Jouve. Souvenez-vous, cette femme brune qui tenait le club de Tennis de Correnc, non loin de Grenoble, où Gérard Depardieu et Fanny Ardant se retrouvaient souvent, comme des amants obligés de cacher leur passion. Odile Jouve était la confidente de Depardieu, elle le reçoit dans sa cuisine et lui propose de partager son frichti. Madame Jouve était une femme rescapée de l’amour. Dans le film elle avait un léger boitillement, parce qu’un jour, par amour pour un homme, elle s’était jetée par la fenêtre… Et puis, vingt plus tard, un télégramme lui annonce que cet amant est de retour, ce qui plonge Madame Jouve dans la confusion. Elle était aussi la narratrice du film, celle par qui cette histoire d’amour entre Mathilde (Fanny Ardant) et Bernard (Gérard Depardieu) nous est racontée : Ni avec toi ni sans toi. Un rôle comme celui-ci ne s’oublie pas. Faute professionnelle ou faute de goût, le film de Truffaut, l’un de ses meilleurs, n’est même pas mentionné dans cette trop brève nécrologie. C’est injuste.

Véronique Silver avait également joué chez Resnais (Mon Oncle d’Amérique et La Vie est un roman), Chantal Akerman (Toute une nuit), Noémie Lvovsky (Faut que ça danse !, son dernier rôle au cinéma), sans oublier Jean-Claude Guiguet (Le Mirage, Les Passagers), Jean-Claude Brisseau (Noce blanche), Aline Issermann (Le Destin de Juliette), Joël Séria (Mais ne nous délivrez pas du mal), René Féret (Le Mystère Alexina), Jacques Renard (Blanche et Marie), Nadine Trintignant (La Maison de Jade), Luc Béraud (La Tortue sur le dos), Jean-Louis Bertucelli (Aujourd’hui peut-être, Stress) ou encore Alain Bergala (Où que tu sois). Son visage était familier grâce à de très nombreux rôles à la télévision. Elle était l’épouse de Henri Virlojeux, disparu en 1995, acteur d’innombrables films et téléfilms, figure incontournable du cinéma français, second rôle par excellence (dans Les Quatre Cents Coups, Virlojeux était celui qui surprenait Antoine Doinel et son copain René en train de voler une machine à écrire).  Mais elle était Madame Jouve, celle qui savait ce que veut dire l’amour.