Archive pour le 04.2010

Marcel Hanoun, solitaire souverain

jeudi 29 avril 2010

Cher Marcel Hanoun,

La Cinémathèque française est heureuse de vous accueillir. Et de montrer vos films à partir de ce soir, jusqu’au 31 mai. Un mois avec vos films. Ce n’est pas grand-chose, un mois, dans une vie de cinéaste. Juste le temps de se retourner en arrière, de mesurer le chemin parcouru. Et quel chemin !
Le vôtre n’a pas été facile, car vous avez choisi de faire l’école buissonnière par rapport aux autoroutes ou aux voies royales de la production standardisée.
Vous avez choisi de n’en faire qu’à votre tête, parce que vous êtes un cinéaste entêté. Dans ma bouche, c’est un compliment.
Et puis vous avez choisi aussi de rester libre, jeune. Fidèle à vos décisions premières, de « s’affranchir du corporatisme, de la pesanteur économique du cinéma, des règles de faisabilité du film ».
Je vous cite encore : « Longtemps j’ai cru que l’œuvre et son créateur étaient seuls garants d’eux-mêmes. Je croyais que le public était totalement libre de ses choix. J’ai cru aussi que la critique pouvait découvrir, créer, innover, que l’information, la communication, la transmission n’étaient pas des mots bruyamment creux, qu’un film n’était qu’un film : le documentaire étant fiction, la fiction documentaire. »

Longtemps vous avez cru… Cela ne vous a pas empêché de faire, de créer, d’imaginer, ce que la critique en général ne sait pas faire. Vous avez œuvré dans les marges, dans une grande solitude, mais une solitude altière et conquérante, jamais plaintive. Souveraine.
Je vous cite encore : « Mes images sont des images de contrebande, celles d’un marginal et illicite commerce ; elles sont vraies d’être travaillées à faux, face à de vraies images de cinéma, licites et pornographiques ».
Le cinéma vous est tombé dessus dès l’enfance. Ou bien c’est vous qui êtes tombé dedans tout petit, quand votre père à Tunis vous filmait avec sa caméra 9,5 mm.
Votre œuvre est grosse de nombreux films : combien au juste ? Vous avez exploré tous les formats, toutes les durées, ce qu’on appelle communément tous les supports. Vous cherchez, vous expérimentez, vous aimez le chemin davantage que le but à atteindre. « C’est le trajet seul qui importe, écrivez-vous. Le chemin du film n’est pas sentier battu, il est insoupçonnable, imprévisible, inconnu, il se découvre et s’explore, caminando. Le film n’a pas de modèle. » Faire du cinéma en cheminant serait une belle métaphore de votre démarche d’artiste.

Vous êtes un cinéaste de combat et un poète : les deux ne se mélangent que très rarement. Le combat est le lot des grands solitaires : se battre pour exister, pour subsister, pour se faire entendre. Se faire voir. Allez vous faire voir ailleurs est souvent la réponse officielle des institutions, telle l’avance sur recettes, qui ne vous ont pas souvent reconnu.
Vous êtes aussi un écrivain de cinéma, votre très beau livre en témoigne : Cinéma cinéaste, Note sur l’image écrite, paru aux éditions Yellow Now, préfacé par Nicole Brenez qui acccompagne votre démarche depuis longtemps avec talent. Pour vous, sans doute, filmer et écrire relèvent du même geste. « Ecrire, filmer, acte de se penser soi-même », dites-vous.
On ne se lasse pas de vous lire, on ne se lasse pas de regarder vos films. Je ne me lasse pas de vous accueillir ce soir chez vous, dans la maison du cinéma. Merci, cher Marcel Hanoun, pour tout ce que vous faites, tout ce que vous êtes.

Pour organiser cette rétrospective, la Cinémathèque française s’est mise en quatre et a fait tirer des copies neuves de plusieurs de vos films, avec le soutien de Kodak. Gérard de la nuit (1955), Le Huitième jour (1959), Mystère d’Elche (1964), L’Eté (1968), L’Hiver (1969), Le Printemps (1970), Le Vent souffle où il veut (1975), Le Regard l’Extase (1977), Un film (Autoportrait) (1985).

Marcel Hanoun sera présent tout au long de cette rétrospective, pour présenter plusieurs de ses films.

A noter également :
– une conférence de Stéphanie Serre : »Qui êtes-vous Marcel Hanoun ? », jeudi 6 mai à 19heures à la Cinémathèque.
– une leçon de cinéma avec Marcel Hanoun, animée par Bernard Benoliel, samedi 8 mai à 17 heures, précédée de projections à 14h30 de deux films, Insaisissable Image (2007) et L’Authentique procès de Carl Emmanuel Jung (1966).
– Marcel Hanoun signera son ouvrage, Cinéma cinéaste (aux éditions Yellow Now, samedi 6 mai à 19 heures à la librairie de la Cinémathèque française.
– sur cette page du site Internet de la Cinémathèque, vous pourrez découvrir L’Âge de bronze, le film réalisé par Marcel Hanoun à l’occasion de sa rétrospective, ainsi qu’une présentation de six de ses films par Bernard Benoliel.

Trois jours à Tétouan

jeudi 1 avril 2010

Trois jours à Tétouan, au Maroc. Je n’y étais pas retourné depuis 1988. Le Festival International du Cinéma Méditerranéen en est à sa seizième édition. Mais il existe depuis 1985, créé à l’initiative du ciné-club local, une association de cinéphiles dont je retrouve plus de vingt ans après certains visages. Le temps a passé mais la passion du cinéma demeure. Ahmed El Housni, qui déjà dirigeait le ciné-club de Tétouan, est aujourd’hui directeur du festival. En 1988 j’étais venu avec Jean-Pierre Limosin et Lucas Belvaux, qui tous deux présentaient leurs premiers films. De cette année date le véritable tournant du festival, devenu celui du cinéma méditerranéen. Le Festival a grandi, la ville aussi. Nous sommes logés à une trentaine de kilomètres de Tétouan, dans un de ces luxueux hôtels qui longent la mer. Je regrette cet isolement car Tétouan mérite le déplacement. Les rues sont grouillantes de monde, les terrasses remplies (d’hommes exclusivement), l’architecture de style andalou, la médina magnifique avec ses ruelles tortueuses et son marché très fourni. La soirée d’ouverture a eu lieu samedi soir dans une des salles de la ville, L’Espagnol, magnifique salle à l’ancienne. L’autre salle où sont programmés les films, le Cinéma Avenida, est aussi belle, de style andalou, 700 places. Mais elle est, dit-on, menacée de fermeture. C’est une des plaies du Maroc, ce manque cruel d’écrans. Environ 70 sur tout le territoire, alors qu’il en faudrait bien davantage. Mon ami Tahar Chikhaoui, qui a fait le voyage depuis Tunis où il enseigne le cinéma à l’Université, anime un ciné-club et exerce son travail de critique, se montre plus alarmiste encore sur son propre pays, qui ne compte à peine qu’une dizaine d’écrans. Soirée d’ouverture avec tapis rouge et vedettes, discours officiels interminables. Claudia Cardinale, à qui l’on rend hommage, est souriante et généreuse et le public lui réserve un accueil très chaleureux.

Dimanche après-midi, visite de la Cinémathèque de Tanger. Dans le quartier du Grand Socco, elle est installée dans un cinéma ancien, Le Rif, construit en 1938 et réhabilité il y a trois ans. Sa directrice, Yto Barrada, artiste et photographe, est intarissable lorsqu’elle évoque cette belle aventure collective, qui a mobilisé beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Avec fierté, elle me fait visiter les deux salles de cinéma (300 et 50 places), le centre de documentation, la petite salle de montage, le café qui donne sur la place et où se donne rendez-vous les jeunes tangérois branchés et les cinéphiles. La façade art déco est splendide, ce lieu a du charme, une âme, on s’y sent bien. Deux films par jour, des projections pour le jeune public, des liens avec les instituts culturels français et espagnol installés à Tanger. Yto Barrada a développé aussi le concept d’artistes en résidence, qui viennent de toute part et séjournent quelques mois à Tanger pour y faire œuvre de création. Elle prépare une programmation ambitieuse des films tournés à Tanger – il en existe des centaines, depuis Morocco de Sternberg, jusqu’à Mission à Tanger de André Hunebelle, en passant par Monsieur Arkadin de Welles, Un thé au Sahara de Bertolucci (adapté d’un roman de Paul Bowles, qui était citoyen de la ville), The Naked Lunch de David Cronenberg, Loin d’André Téchiné, etc. Sans parler des films de cinéastes marocains : El Chergui de Moumen Smihi, Le Grand voyage de Mohamed Abderahmane Tazi, Mektoub de Nabil Ayouch ou Tresses de Jilali Ferhati. Ouverte en 2007, la Cinémathèque de Tanger a besoin de soutien. Le CCM (Centre du Cinéma Marocain) a aidé l’entreprise à l’origine à hauteur de 2,5 millions de dirhams (soit 250 000 euros) et discute actuellement du principe d’une subvention sur trois ans. Mais ni la Commune Urbaine de Tanger ni la Région ne sont encore de la partie. Or, ce lieu a besoin d’un soutien pérenne, pour continuer de fonctionner et d’animer une certaine idée du cinéma, entre présent et passé, dans cette ville cosmopolite et très fréquentée.

Lundi matin, j’ouvre le colloque international organisé à la Maison de la culture de Tétouan sur le thème de la critique. A mes côtés, Tahar Chikhaoui (Tunisie), Michel Cerceau (France) et Hammadi Guerroum (Maroc). Nos interventions se recoupent sur plusieurs points, entre autres celui de renouveler les fondements d’une critique ouverte et curieuse, à même de distinguer les œuvres nouvelles du tout-venant. Le débat se poursuit dans la cour. Discussions passionnées qui témoignent d’une certaine vitalité du cinéma au Maroc. Intéressant de noter que ce pays produit chaque année une quinzaine de longs métrages. C’est un fait relativement nouveau que d’assister au développement d’une cinématographie nationale dans un pays arabe. Le Maroc montre un peu l’exemple et c’est déjà ça. Le système d’aide sélective mis en place permet à de jeunes cinéastes de faire leurs films. Il reste à consolider cette industrie naissante par la création de nouvelles salles, la mise en place d’un fonds de soutien permettant aux réalisateurs d’entreprendre plus facilement leur film suivant, aider la distribution qui demeure fragile, mieux contrôler la billetterie et bien sûr freiner le piratage des films qui fait ici des ravages. Mais quelque chose est en train de bouger au Maroc, et cela peut faire du bien au cinéma.