Archive pour le 12.2013

« Doudou » Molinaro ou l’élégance désenchantée

dimanche 8 décembre 2013
Édouard Molinaro est mort aujourd’hui à l’âge de 85 ans. Ses amis l’appelaient “Doudou“, et c’était en effet un homme très doux. La dernière fois que je l’ai vu, c’était le 4 septembre, lors de la soirée d’ouverture de l’hommage à Michel Piccoli, à la Cinémathèque.  A moins que cela soit plus récent, lorsque nous avions programmé le film produit par Roman Polanski sur la Formule 1 : Weekend of a Champion, réalisé en 1972 par Frank Simon, avec le coureur automobile Jackie Stewart. Car Molinaro adorait le sport.

J’ai fait la connaissance d’Édouard Molinaro assez tard, et je dois dire que j’ai eu pour “Doudou“ une estime immédiate. De l’affection. L’homme était fin, humble, très facile dans le contact, amateur de littérature. Lorsqu’il a fait paraître son autobiographie, il y a quatre ans, Intérieur soir (édité chez Anne Carrière), je l’ai convié à la Cinémathèque pour présenter l’un de ses films – il en a réalisé un très grand nombre, sans compter les nombreux téléfilms – : Un témoin dans la ville tourné en 1959.

Molinaro a débuté dans le cinéma à la fin des années 50, après avoir réalisé plusieurs courts métrages. Il est contemporain de la nouvelle vague, dont il n’a partagé ni le chemin ni les principes. Ses premiers films, Le Dos au mur, Un témoin dans la ville et La Mort de Belle, adapté d’un roman de Simenon avec Jean Desailly et Alexandra Stewart, méritent d’être revus. Édouard Molinaro a tourné avec tous les acteurs du cinéma français, de Brigitte Bardot à Annie Girardot, de Mireille Darc  à Micheline Presle, en passant par Françoise Dorléac, Catherine Deneuve, Claude Jade, Emmanuelle Béart, Sandrine Kiberlain, Anémone, Caroline Cellier, et, chez les hommes, Philippe Noiret, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Michel Piccoli, Lino Ventura, Jacques Brel, Louis de Funès, Jean-Claude Brialy, le duo Serrault-Tognazzi dans La Cage aux folles (1 et 2), Fabrice Luchini, Claude Rich, Claude Brasseur, Daniel Auteuil, Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Gérard Jugnot, Pierre Richard, Richard Bohringer, – j’en oublie beaucoup au passage, sans compter les nombreux seconds rôles.

Le cinéma français lui doit beaucoup. D’avoir fait un grand nombre de films populaires, dont certains avaient du style, dans un esprit artisanal. La télévision aussi lui doit beaucoup, d’avoir pu au fil des années multi-diffuser bon nombre de films de Molinaro faisant de très fortes audiences. Lui-même était lucide, à mon avis trop, sur son propre travail de cinéaste. J’ai eu plus d’une fois le sentiment qu’il ne s’estimait pas assez, comme s’il regrettait d’avoir choisi dans sa jeunesse une mauvaise voie. J’ai toujours trouvé qu’il avait tort et qu’il devait assumer davantage son travail, son œuvre de cinéaste. C’était un artisan, un bon artisan du cinéma. Un soir, chez lui, il m’avait montré les maquettes d’avion qu’il collectionnait et qu’il fabriquait de ses propres mains. Il en était fier, tel un adolescent. Un homme éternellement jeune. Édouard Molinaro savait tout faire. Dans ses mémoires il écrivait : « Travail ? Je n’ai jamais considéré le fait de raconter une histoire en images comme un travail. Mon père, sans s’en offusquer, me disait quelquefois : “Tu ne fais que ce qui te plaît !” C’est la stricte vérité. Je me rends compte que je n’ai pas vraiment travaillé. Ce fut une longue récréation de plus de soixante ans. Cela se paye parfois. Le jeu perpétuel induit une faculté chronique de ne rien prendre au sérieux. À commencer par soi-même. C’est à la fois confortable et réducteur. Un regard plus réfléchi sur ma petite personne m’aurait sans doute conduit à des choix plus exigeants. Mais ce n’était pas dans ma nature. J’ai préféré me laisser guider par le hasard et le plaisir. » Le cinéma français regrettera cet homme élégant et sympathique, à l’allure désenchantée.