Archive pour le 9.01.2008

Le piratage, suite…

mercredi 9 janvier 2008

Un lecteur de mon blog m’écrit et m’interpelle gentiment. Avec courtoisie. La courtoisie se fait rare, surtout sur Internet. Encore du bla-bla… Il devient gâteux, Toubiana. Mais non, je vous rassure. Il n’empêche qu’on est heureux de recevoir des messages polis, aimables, même s’ils sont critiques. Cela donne envie de répondre, sans pour autant s’insulter. Donc, voici ce que m’écrit Miguel de Almeida, qui revient sur la question du piratage.

Cher Serge, je vous trouve assez injuste dans votre réponse à Dicklaurentlives qui a simplement critiqué la méthode ou la forme utilisée pour contrer le piratage, certes de façon un peu vive. Vous l’attaquez de façon très politicienne (c’est-à-dire déplacer le problème) sur son amour pour le cinéma alors que le propos est d’un ordre économique et ce pour ne pas évoquer le fond de son message. Le message à votre encontre est certes un peu virulent, mais j’y vois plutôt une colère saine. Votre note ne contient que quelques lignes sur cette lutte anti-piratage, mais M Denis Olivennes qui doit être compétent en sa matière est, dira t-on, un intrus dans cette commission. C’est comme si à l’époque on avait demandé à un gérant d’une librairie ou à un disquaire de remettre un rapport contre l’hégémonie des grands distributeurs de biens culturels, du genre “la Fnac”: vous comprendrez que leur vision de ce problème sera traitée de façon corporatiste et non globale…. Or, l’internaute pointe cette dichotomie et cet aveuglement dans cette approche qui veut légiferer la demande, ce qui assez vain pour qui connaît un tant soit peu les réseaux, au lieu d’améliorer l’offre. Je pense que ce qui vous chagrine et explique peut être votre mauvaise foi, c’est de ne plus être bientôt un de ces rares points d’entrée pour découvrir notamment ces fameux films muets… ce qui est comprehensible.

Bien à vous et bonne année,
M.dealmeida.

Cher Miguel,

J’ai peut-être été injuste, mais je disais surtout autre chose. Mon interlocuteur anonyme fait l’apologie du piratage, moyen d’accès direct à des films, très nombreux, qui ne sont pas tous, loin de là, édités en DVD. Le seraient-ils que notre ami poursuivrait dans cette voie, logique avec lui-même. Je le redis : je ne juge pas son comportement, qui est celui de tant de jeunes, à notre époque. C’est un phénomène de société, d’accord, mais qui témoigne de ce que la société actuelle, la nôtre, marche à reculons, car la tête à l’envers. Je maintiens que le piratage est déjà un fléau pour le cinéma, car il ôte à l’œuvre cinématographique son aura, son mystère, sa forme même. Aujourd’hui, grâce à Internet, l’œuvre artistique, qu’elle soit film, livre, opéra, chanson, que sais-je encore, n’en est plus à l’ère de la reproductibilité technique (dont parlait Walter Benjamin dans les années 30), mais à celle de son clonage généralisé sur des supports autres. On s’échange la copie de la copie de la copie, etc. Bon, faisons avec. Ce n’est pas une raison pour se faire l’apôtre de la technique du téléchargement hors des règles du marché (sous prétexte que le marché serait nécessairement injuste ou capitaliste), et d’une jouissance sans entrave qui serait celle que procure le téléchargement à haute dose. Voilà ce que je disais à mon interlocuteur. Vous qualifiez ma réponse de politicienne. En quoi ? Je parlais avant tout du langage : je vois bien dans le texte qui m’a été envoyé la charge de violence (symbolique, je précise) sur fond de frustration. En gros, vous n’y comprenez rien, vous habitez une planète ancienne et n’avez pas encore mis le pied sur la nôtre : celle d’Internet. Ok : j’assume. Sur Internet, je balbutie. Mais quel est le langage de cette nouvelle planète où l’on se connecte, où l’on se met en réseau, et où l’on télécharge à tour de bras en défiant la loi ? J’attends de voir. Violence symbolique, oui : j’y vois aussi un régime de jouissance, pour parler comme Lacan, codé mais « hors langage », sauvage, hors société. Nous sommes les êtres de l’invisible, contre vous, les nantis du monde visible. Soit. Un peu infantile comme discours, mais pourquoi pas. Je préfère quand même l’amour du cinéma (pour ne pas employer le mot de cinéphilie) qui s’exprime par le langage, qui est nécessairement celui du goût, et qui perçoit les œuvres autrement, dans leur intégrité même. Discours bourgeois, me dira-t-on. Peut-être. Je m’inscris dans cette tradition : le cinéma permet de voir le monde, un peu, oui, moins qu’avant mais encore un peu. Et qu’à force de considérer le cinéma comme une sous-marque que l’on peut pirater, eh bien je me demande ce que l’on voit du monde, sous cet angle-là. Je ne suis pas chagriné, loin de là. Ce débat est passionnant et va nous concerner pendant les mois et les années à venir. Pour finir sur une note poétique, et parce que je ne souhaite pas avoir le dernier mot, j’imagine nos internautes clandestins téléchargeant, de jour comme de nuit, des films en quantité, dans une sorte de Métropolis, ville souterraine et invisible, où les cinéphiles pirates sont aux commandes de machines à télécharger. A bientôt et merci.