Le piratage, suite…

Un lecteur de mon blog m’écrit et m’interpelle gentiment. Avec courtoisie. La courtoisie se fait rare, surtout sur Internet. Encore du bla-bla… Il devient gâteux, Toubiana. Mais non, je vous rassure. Il n’empêche qu’on est heureux de recevoir des messages polis, aimables, même s’ils sont critiques. Cela donne envie de répondre, sans pour autant s’insulter. Donc, voici ce que m’écrit Miguel de Almeida, qui revient sur la question du piratage.

Cher Serge, je vous trouve assez injuste dans votre réponse à Dicklaurentlives qui a simplement critiqué la méthode ou la forme utilisée pour contrer le piratage, certes de façon un peu vive. Vous l’attaquez de façon très politicienne (c’est-à-dire déplacer le problème) sur son amour pour le cinéma alors que le propos est d’un ordre économique et ce pour ne pas évoquer le fond de son message. Le message à votre encontre est certes un peu virulent, mais j’y vois plutôt une colère saine. Votre note ne contient que quelques lignes sur cette lutte anti-piratage, mais M Denis Olivennes qui doit être compétent en sa matière est, dira t-on, un intrus dans cette commission. C’est comme si à l’époque on avait demandé à un gérant d’une librairie ou à un disquaire de remettre un rapport contre l’hégémonie des grands distributeurs de biens culturels, du genre “la Fnac”: vous comprendrez que leur vision de ce problème sera traitée de façon corporatiste et non globale…. Or, l’internaute pointe cette dichotomie et cet aveuglement dans cette approche qui veut légiferer la demande, ce qui assez vain pour qui connaît un tant soit peu les réseaux, au lieu d’améliorer l’offre. Je pense que ce qui vous chagrine et explique peut être votre mauvaise foi, c’est de ne plus être bientôt un de ces rares points d’entrée pour découvrir notamment ces fameux films muets… ce qui est comprehensible.

Bien à vous et bonne année,
M.dealmeida.

Cher Miguel,

J’ai peut-être été injuste, mais je disais surtout autre chose. Mon interlocuteur anonyme fait l’apologie du piratage, moyen d’accès direct à des films, très nombreux, qui ne sont pas tous, loin de là, édités en DVD. Le seraient-ils que notre ami poursuivrait dans cette voie, logique avec lui-même. Je le redis : je ne juge pas son comportement, qui est celui de tant de jeunes, à notre époque. C’est un phénomène de société, d’accord, mais qui témoigne de ce que la société actuelle, la nôtre, marche à reculons, car la tête à l’envers. Je maintiens que le piratage est déjà un fléau pour le cinéma, car il ôte à l’œuvre cinématographique son aura, son mystère, sa forme même. Aujourd’hui, grâce à Internet, l’œuvre artistique, qu’elle soit film, livre, opéra, chanson, que sais-je encore, n’en est plus à l’ère de la reproductibilité technique (dont parlait Walter Benjamin dans les années 30), mais à celle de son clonage généralisé sur des supports autres. On s’échange la copie de la copie de la copie, etc. Bon, faisons avec. Ce n’est pas une raison pour se faire l’apôtre de la technique du téléchargement hors des règles du marché (sous prétexte que le marché serait nécessairement injuste ou capitaliste), et d’une jouissance sans entrave qui serait celle que procure le téléchargement à haute dose. Voilà ce que je disais à mon interlocuteur. Vous qualifiez ma réponse de politicienne. En quoi ? Je parlais avant tout du langage : je vois bien dans le texte qui m’a été envoyé la charge de violence (symbolique, je précise) sur fond de frustration. En gros, vous n’y comprenez rien, vous habitez une planète ancienne et n’avez pas encore mis le pied sur la nôtre : celle d’Internet. Ok : j’assume. Sur Internet, je balbutie. Mais quel est le langage de cette nouvelle planète où l’on se connecte, où l’on se met en réseau, et où l’on télécharge à tour de bras en défiant la loi ? J’attends de voir. Violence symbolique, oui : j’y vois aussi un régime de jouissance, pour parler comme Lacan, codé mais « hors langage », sauvage, hors société. Nous sommes les êtres de l’invisible, contre vous, les nantis du monde visible. Soit. Un peu infantile comme discours, mais pourquoi pas. Je préfère quand même l’amour du cinéma (pour ne pas employer le mot de cinéphilie) qui s’exprime par le langage, qui est nécessairement celui du goût, et qui perçoit les œuvres autrement, dans leur intégrité même. Discours bourgeois, me dira-t-on. Peut-être. Je m’inscris dans cette tradition : le cinéma permet de voir le monde, un peu, oui, moins qu’avant mais encore un peu. Et qu’à force de considérer le cinéma comme une sous-marque que l’on peut pirater, eh bien je me demande ce que l’on voit du monde, sous cet angle-là. Je ne suis pas chagriné, loin de là. Ce débat est passionnant et va nous concerner pendant les mois et les années à venir. Pour finir sur une note poétique, et parce que je ne souhaite pas avoir le dernier mot, j’imagine nos internautes clandestins téléchargeant, de jour comme de nuit, des films en quantité, dans une sorte de Métropolis, ville souterraine et invisible, où les cinéphiles pirates sont aux commandes de machines à télécharger. A bientôt et merci.

17 Réponses à “Le piratage, suite…”

  1. medingus a écrit :

    Bonjour,

    je vous remercie, Serge, d’avoir pris le temps de répondre à mon commentaire sur Sean Penn. Je partage quand même une bonne partie de votre point de vue.

    Sur la question du téléchargement, je n’ai pas vraiment suivi tous les débats, mais j’ai tout de même envie de glisser un tout petit grain, pas forcément très travaillé.
    Pour moi qui aime beaucoup la sociologie, quelque chose me pose problème dans le fait d’aborder les questions de société (et c’est tous les jours), c’est-à-dire une certaine tendance (ah, je ne peux pas m’empêcher de penser à Truffaut…) de la pensée qui ne raisonne qu’en termes économiques et à court terme.
    Je commence à y penser depuis hier, mais je me demande si le fond du problème du téléchargement n’est pas strictement ou presque de l’ordre du rapport aux objets, au sensuel.
    Personnellement, je télécharge certaines choses. Je dirais que ma manière de consommer le téléchargement est réfléchie, et mes actes suivent mes principes. Le téléchargement est une réponse au problème du coût de la culture et de l’inaccessibilité à certaines œuvres, et même des consacrées, mais auxquelles le présent ne laisse plus aucune place.
    En gros, ma façon de télécharger des œuvres sert de renfort aux médiathèques, que je prends dans le même sens, celui de rencontrer des œuvres inaccessibles.
    Il ne me viendra jamais à l’idée de télécharger un film qui est sur les écrans, quand bien même serait-il « commercial » à souhait. D’abord parce que je connais le mode de fonctionnement du financement du cinéma en France et que je le trouve plutôt bien élaboré pour permettre à des oeuvres « risquées » de voir (encore) le jour. C’est un savoir qui n’est pas celui de la grande majorité des gens.
    Mais aussi (et peut-être surtout), il est assez inconcevable pour moi de ne pas aller le voir dans les vraies conditions cinématographiques (se laisser aller à se faire submerger par le dispositif, la pénombre, etc.). Il y a tant de films de l’histoire du cinéma que je ne verrai jamais sur grand écran. Je suis désolé, mais aimer le cinéma, c’est aimer aller dans les salles.

    Alors voila la question, qu’aime t-on vraiment à présent et comment consomme t-on le « cinéma »? C’est assez marrant, mais j’ai tendance à penser que deux choses ont accompagné le phénomène de domestication des films (c’est-à-dire, sortir le film de la salle de cinéma pour le « consommer » dans la sphère privée, d’abord par la télévision, le magnétoscope, le dvd, le home cinéma, le fichier informatique, maintenant partageable).

    Le cinéma devait être un art pris au sérieux, on a voulu éduquer le spectateur pour qu’il sache se tenir pendant les séances. Avec le parlant, il s’agissait de se taire pour écouter les dialogues devenus plus fondamentaux, etc. On a enclenché dans cette volonté d’assagir le public, nier le fait que le cinéma, c’est regarder seul et ensemble à la fois. Un long processus qui n’est imputable à personne en particulier a accompagné l’essort de l’individualisme, notamment dans les pratiques culturelles.
    On a sacralisé la salle de cinéma comme un endroit où l’on doit se sentir seul, alors que l’on ne l’est pas.
    Et moi je le ressens fortement au niveau des festivals notamment, quand le public réagit vivement (pas forcément de la même façon). Ces séances où l’ambiance d’une salle donne à la projection un caractère unique dans le fait du retour du collectif. Ou encore ces moments inattendus pendant une séance où quelqu’un dit ou fait quelque chose sont souvent des moments assez forts quand le film est à la hauteur.

    Bref, je ne dis pas qu’il faut perturber les séances pour se réapproprier la salle et sa magie. Mais je crois qu’en voulant en faire un endroit sacré, on a plutôt commencé un tombeau.
    Car ce qui manque aux gens, c’est de comprendre que rien ne remplace la salle au niveau technique mais aussi au niveau du « voir ensemble », du partage d’une expérience, d’un moment collectif.
    Pour moi, cela relève du sensuel, du charnel, et de la démarche réelle et enthousiaste de s’abstraire de la maîtrise de quoi que ce soit, ce qui est quand même vachement agréable, non ?
    Et donc rappeler aussi qu’accepter la règle du jeu (Jean, si tu nous lis) du cinéma, c’est se laisser entièrement submerger par un temps hors du temps.

    On est à présent dans l’ère du tout maîtrisable au niveau des moyens de communication (télécommande, navigation internet). Et le cinéma demande un temps et (donc) un effort de plus en plus incompatible avec l’idéologie, pourrait-on dire, ambiante, celle du contrôle, de l’immédiat et de la rapidité.
    Cela relève d’un travail obligatoire (mais diablement stimulant, à voir quelqu’un comme Bazin) par le monde du cinéma entier – ou du moins celui qui y a intérêt- de transmettre non pas la connaissance, mais avant, bien avant, le PLAISIR (ou l’amour, ce sont les mêmes choses) du cinéma. Et éventuellement, être ensuite les passeurs du goût de sa connaissance.

    Ouaou, je ne comptais pas faire si long. Pour quelque chose qui est de l’ordre plus du ressenti que du réfléchi d’ailleurs…
    Je ne crois pas non plus qu’on prenne le temps de lire autant (le fond et sa forme n’aident pas non plus, j’en conviens!), bravo à celles et ceux qui sont arrivés jusqu’à cette ligne !
    (comment je fais une fixette sur le temps ?! ah oui)

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Je publie volontiers votre propos, dont je partage l’essentiel: un attachement au caractère sacré, disons rituel, du cinéma. C’est un aspect important, même s’il tend à disparaître. Sans faire dans la nostalgie… Le débat se poursuit, et je vous remercie d’y participer. Amicalement, S. Toubiana.

  3. MENTHA Philippe a écrit :

    Votre présentation du « Nouveau testament » de Sacha Guitry me semble erronnée : J. Marcelin ne se fait pas passer pour mort, sa femme et ses amis le croient mort après avoir lu son testament.
    Navré d’être si pointilleux…

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Philippe Mentha, Vous faites allusion à la courte présentation du film de Sacha Guitry, Le Nouveau Testament, dans le programme de la Cinémathèque française (septembre-novembre 2007). Et vous avez entièrement raison (y compris d’être pointilleux). Merci. S. T.

  5. Vincent a écrit :

    Bonjour,

    A mon tour de vous remercier d’avoir répondu longuement à ma réaction de la note précédente. Je tenais à préciser que je partage complètement ce qui a a été dit sur la salle. J’en suis moi aussi un inconditionnel sauf que… sauf que cela pose, devrait poser le problème des salles en France. Le parc d’aujourd’hui est-il a même de répondre au désir des cinéphiles d’aujourd’hui ? Je ne le crois pas. Je vis à Nice où nous avons la chance d’avoir une cinémathèque, mais cette ville, la 6e de France, ne possède plus que cinq cinémas dont deux seulement font un peu d’art et essai. Et dans quelles conditions ! Vous savez bien mieux que moi qu’en ce domaine il est difficile de conserver l’intégrité d’une oeuvre.
    J’organise une manifestation sur Nice et nous avons voulu projeter un western italien. Il a été impossible de trouver une copie simplement présentable (sans parler de VO) d’un des classiques du genre. A ce problème, le numérique apporte une réponse (que l’on peut discuter), mais cette réponse implique la possibilité de la copie illimitée et, important, sans perte de qualité. La copie de copie de copie est identique à la copie 1. La notion de déperdition que vous évoquez n’a plus de sens. Et je ne pense pas qu’il faille s’en désoler, mais s’en réjouir.
    Le « piratage » est lié à tout cela. Il y a d’un côté ce problème aigu de diffusion (les salles, l’offre, la télévision qui ne fait plus son travail, le prix) et de l’autre une technique et des outils révolutionnaires (donc qui bousculent). Pour quelqu’un comme Dicklaurentlives, je ne crois pas qu’il s’agisse de défier la loi, une loi encore bien en retard et mal définie, ni de faire la nique aux majors (qui ne se préoccupent sans doute pas du cinéma muet), mais bien d’utiliser ces outils quand même formidables pour assouvir une passion. Et que cette passion soit boulimique ne devrait pas vous gêner. Truffaut, encore, passait bien des journées entières en salle, visionnant le même film en boucle. Combien des habitués de la Cinémathèque sont des acharnés de cette ordre ? Quand on aime, on ne compte pas, n’est-ce pas ?
    Alors, je ne dis pas qu’Internet est la panacée, je ne veux pas dire qu’il remplace l’expérience de la salle. Mais je crois que nous ne sommes qu’au début d’un grand chambardement, d’un changement d’attitudes et de comportements. Je crois qu’il faut voir cela avec les yeux grands ouverts et le voir pour le mieux. La plupart des anti-pirates me semblent surtout le voir entre les oeilleres de leurs intérêts.
    Pour finir, sur les problèmes de droits que nous évoquions, je veux bien que certain films, même muets ne soient pas encore libres, mais beaucoup le sont. Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas un travail de fond et de qualité fait sur ce qui appartient au domaine public. j’ajoute que je ne suis pas franchement d’accord avec ces longues durées de copyright et je trouve les droits abusifs lorsqu’ils empêchent la circulation des oeuvres et qu’ils exploitent le travail de créateurs morts depuis longtemps au bénéfice de personnes n’ayant rien eu à voir avec le travail accompli. Mais c’est encore une autre histoire.
    Bien à vous.

  6. Louise-Hélèna a écrit :

    Bonjour,
    Merci à Vincent et Médingus pour leur « post ».

    J’adore ce mot PIRATAGE car il vient ouvrir une fenêtre de mon imaginaire où flibustiers, corsaires, qu’ils soient Espagnols, Anglais, Français, Portugais,… se partageaient le monde et ses richesses; conspiraient contre un empire ou travaillaient pour l’hégémonie d’une nation; ensablaient leurs trésors et abandonnaient leurs prisonniers sur des îles désertes; vivaient dans la cruauté de leurs mœurs guerrières et le raffinements de leurs butins…

    La comparaison avec nos pirates de l’Internet est séduisante…

    Et donc, je suis persuadée que ce piratage est une innovation économique qui dope sérieusement le secteur audiovisuel à l’instar de nos corsaires qui à première vue « ruinaient » les échanges économiques entre pays, mais en fait, bien au contraire, ils étaient instrumentalisés pour développer l’économie de l’époque!

    Alors que l’on s’indigne, que l’on se révolte contre cette pratique n’a pas beaucoup de sens pour moi. Et il semblerait que pour l’audiovisuel, le piratage en France concerne plutôt des téléfilms américains, des nouveautés à venir sur le petit écran que des œuvres qui constituent une page d’histoire du septième art…et quelque soit l’âge : ce n’est pas une pratique réservée au 12-25 ans !

    Le téléchargement, c’est du flux : peu de contenu, bcp de fréquence, souvent de la mauvaise définition et du plaisir facile ! La pratique raisonnée de Vincent n’est pas majoritaire. Et je crois que la TV, affolée par ces galions de pirates, pense qu’elle doit opter le même « look »: du flux, peu de contenu, bcp de fréquence, souvent de la mauvaise définition et du plaisir facile !
    Le danger vient plutôt de là, de la perte d’identité de la TV (elle n’assume pas sa spécificité face à l’Internet!). Rappelons-le en passant, la TV est aussi un des financeurs d’oeuvres cinématographiques. Aurai-je dû écrire « était « ?

    Donc je m’interroge : à qui profite vraiment le crime, hum?!
    Bonne journée.

  7. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Louise-Hélène, je publie volontiers votre message, car il a du style et de l’humour. Vous déclinez le mot « piratage », avec ses connotations romanesques ou aventureuses… Mais je persite à penser que cette question est sérieuse, car elle met en question, à terme, l’existence même du cinéma. ou d’un certain cinéma. Vous avez raison de dire que le téléchargement, de manière générale, concerne des documents divers (textes, films ou téléfilms, images etc.) qui nous parviennent en basse définition. Mais cela n’est pas toujours vrai, et le sera de moins en moins. Ce sont les films eux-mêmes qui sont accessibles, gratuitement et de manière illégale. L’économie du cinéma en France (souvent montrée comme un modèle, et ce à juste titre) repose sur ce qu’on appelle la « chronologie des médias »: un système de règlementations qui fixent la priorité à la salle, puis à la vidéo, puis à diffusion télévisuelle. C’est le fondement même de cette politique qui se trouve mise à mal avec le téléchargement illicite. Donc, je ne crois pas que, ainsi que vous l’écrivez, le piratage soit de nature à doper le secteur audiovisuel. Je crois au contraire qu’il en sape les fondements.
    Cordialement, S. Toubiana

  8. medingus a écrit :

    Chère Serge,

    je persiste et signe : le téléchargement n’est pas le mal, il en est son symptôme. Le problème est ailleurs et, à mon avis, issu de multiples facteurs :
    _ il est (vécu comme) de plus en plus compliqué d’aller au cinéma. Les multiplexes apportent une solution (discutable) en se mettant souvent en périphérie, avec de larges parkings gratuits, mais les rythmes de vie sont plus soutenus, et la place pour le cinéma baisse
    _ le prix du billet de cinéma est extrêmement cher (il ne peut pas rivaliser avec les locations de films, et maintenant Internet et ses téléchargements)
    _ les diffusions tv et les sorties des dvd (maintenant passées à 6 mois après la sortie) font concurrence (« à ce film, j’attendrais qu’il passe à la tv pour le voir »). Avec les chaines câblées et c+, on n’a pas à attendre bien longtemps pour voir les films.

    Alors oui, il y a les grands succès, souvent les grosses et grasses comédies françaises et les blockbusters américains dont on peut se dire qu’ils sont à la fois bénéfiques et maléfiques sur l’industrie. C’est une respiration, et on ne peut pas le déplorer.

    Bref, je ne vous apprends bien sûr rien. Mais aujourd’hui, rares sont les aficionados qui ont ce luxe (de l’argent mais aussi du temps) et surtout une certaine passion pour venir se déplacer au cinéma régulièrement. Les plus « atteints », dont je fais partie, paye même pour voir des « vieux » films… C’est dire s’ils sont fous !
    En plus de notre amour, c’est aujourd’hui presque un acte politique que d’aller dans les salles.

    Car en dehors des films « spectaculaires » (Star Wars et autres), on voit de moins en moins pourquoi on irait payer le cinéma. C’est ça le grand drame, c’est la perte de l’amour du grand écran (et tout ce qu’il y a autour). Et toutes les questions tourneront dans le vide (notamment celle de la critique et de son lectorat) tant qu’on ne s’attachera pas à cette question primaire, si simple et si évitée.
    Alors il y a certes des efforts du côté de l’Enseignement National (parce que c’est avant 18 ans, environ, qu’on va se forger le gros des habitudes de pratiques culturelles qu’on va garder tout au long de sa vie -et donc qu’on va transmettre). L’enjeu de tous les amoureux du cinéma, et des professionnels de tous bords à plus grande raison, est double. Il faut faire rentrer PLEINEMENT le cinéma à l’école, au même titre que la littérature, la musique et les arts plastiques. Car si le monde du cinéma s’est longtemps battu contre la pseudo « nature mineure » de son art, l’école continue de le reproduire.
    Et l’autre enjeu, est en rapport avec ce que R. Debray (que je n’aime pas plus que ça d’ailleurs) appelle le monde actuel, « l’ère de la vidéosphère ». Il s’agit d’une porte (à construire) par laquelle pourrait rentrer le cinéma, c’est l’enseignement de l’analyse de l’image en l’occurrence filmique mais aussi télévisuelle (plus largement l’analyse audiovisuelle pourrait-on dire).

    Tout un programme, mais une respiration indispensable aujourd’hui pour TOUT le monde du cinéma. Et je ne comprends pas bien pourquoi il n’y a pas une alliance et une réflexion commune de toutes les institutions pour ce qui relève de la survie à la fois d’un art, mais également, et ne l’oublions pas, d’une économie.

    Bonne journée (celle du cinéma!) à toutes et tous.

    Emmanuelle

  9. Vincent a écrit :

    Bonjour

    Je suis très largement d’accord avec Emmanuelle. Aller à la cinémathèque, fréquenter les salles art et essais, s’intéresser au cinéma muet, au court métrage, ce sont des pratiques minoritaires. La pratique majoritaire, c’est aller voir « 300 » dans un multiplexe. Est-ce cette pratique que nous voulons défendre. J’en doute.

    J’ajoute que sont parus il y a quelques semaines la liste des films les plus piratés, ce sont sans surprise les gros succès su box-office. Cela montre que cette pratique, celle que vous critiquez non sans raison, ne fait pas tant de tort à ceux qu’elle « spolie ». Que l’on pirate « 300 », je ne vois en quoi cela peut représenter un danger pour le cinéma que nous aimons, je dirais presque : « au contraire ».

    Votre réflexion sur la chronologie des media et le système de financement de notre cinéma est intéressante. Mais la chronologie des media a toujours et d’abord été attaquée par les majors et les groupes audiovisuels, les télévisions qui y voient un frein. D’autre part, elle a été conçue en un temps ou les techniques actuelles n’existaient pas. On ne peut pas la conserver en l’état, il faut la repenser.

    Pour ce qui est du financement, il y a eu une belle idée, celle de la licence globale. Elle a été torpillée pour des motifs de politique et de gros sous. Il faudra pourtant bien y revenir. Il y a quand même actuellement de grosses sommes prélevées sur les supports (DVD, CD, disques durs…) pourquoi ne pas les affecter à la création ?

    La salle, je crois comme Emmanuelle que c’est un problème de diffusion, d’offre, de tarif et d’éducation. Si l’on ne donne pas l’envie et les moyens au public d’aujourd’hui et de demain d’aimer la salle comme nous l’aimons, il ne restera pas inactif. Je regrette un peu qu’un organisme comme la Cinémathèque, voué au service public, à la préservation et à la diffusion d’un patrimoine collectif ne soit pas plus hardi dans ses propositions. Certains films muets sont encore paralysés par les droits ? Montrez nous ceux qui ne le sont plus, montrez nous les films libres. Laissons pirater « 300 » et imaginons comment montrer Griffith et Ford au plus grand nombre. Vous le faites, nous le faisons avec nos moyens limités, battons nous ensemble pour que ces moyens augmentent.

    Bien à vous

  10. Serge Toubiana a écrit :

    Votre point de vue est manichéen : d’un côté les bons films, de l’autre les gros succès que l’on peut pirater à loisir, sans que cela nuise au cinéma. Cette vision-là est fausse. Entièrement fausse. Savez-vous par exemple que le Fonds de soutien, un des éléments structurants de l’industrie du cinéma en France mis en place à la Libération, repose sur le prélèvement d’une taxe sur chaque billet d’entrée, cette taxe étant ensuite reversée à des aides à la production (c’est elle qui alimente par exemple l’avance sur recettes), aides aux distributeurs, aux salles de cinéma ou aux festivals. Eh bien, si ce fonds de soutien venait à diminuer du fait que les « blockbusters » (américains ou français, et quelle que soit notre opinion esthétique) comme vous dites, marchaient moins du fait du piratage, c’est tout l’édifice qui se verrait affaibli. C’est un fait : l’industrie du cinéma fonctionne comme un ensemble, un effet ici entraîne ailleurs des conséquences déterminantes. Remettre comme vous le dîtes la chronologie des médias en cause n’est pas simple. Elle existe, dans la volonté première de soutenir la salle. En priorité. Comment peut-on être contre ? La licence globale ? Oui, mais le débat a été escamoté, campagne présidentielle oblige. On a eu tort. Le débat reste ouvert et il faudra nécessairement le rouvrir, pour trouver des solutions qui protègent le cinéma. Tout le cinéma ! Car tout est lié.

    S. Toubiana

  11. Vincent a écrit :

    Manichéen mon point de vue ? Au sens des personnages de Hawks, je le veux bien.
    Je sais effectivement comment fonctionne notre système d’aide. Je sais aussi comment fonctionne la distribution aujourd’hui. J’aurais été d’accord avec vous il y a trente ans quand dans les gros succès du box office, on trouvait « Le dernier métro », « Apocalypse Now », « Kagemusha », « Le tambour » et d’autres encore existant aux côtés des films avec Belmondo et De Funes. Comment ne pas voir qu’aujourd’hui les choses ont dramatiquement changé ? Voyez les résultats sur 2007 : http://www.cinefeed.com/index.php/box-office-2007 et dites moi qui est manichéen. Je vous renvoie aussi au superbe discours de Pascale Ferran lors de la cérémonie des Césars. Là est le danger véritable pour le cinéma que nous défendons.
    Rien n’est simple, je vous l’accorde, mais je crois que le système que vous décrivez est aujourd’hui pervertit, malgré la défense de l’identité culturelle. L’attitude de la télévision, les multiplexes, la multiplication des copies et les stratégies agressives de distribution tuent (ont déjà tué ?) le cinéma que j’aime bien plus sûrement que les échanges sur Internet (Il convient par ailleurs de distinguer cette forme de piratage de celle que vous décrivez plus haut, la contrefaçon de DVD a but commercial que je condamne complètement). Je n’ai rien contre les blockbusters, mais ce que je vois aujourd’hui ne correspond pas à ma conception de l’équilibre. Comme on l’a fait remarquer l’an dernier, des cinéastes comme Antonioni ou Bergman pourraient-ils faire leurs films aujourd’hui ? Cela me désole de penser que non.
    Je ne voudrais pas terminer sur une note aussi sombre aussi je note qu’il y a des points sur lesquels nous sommes d’accord et que le débat, comme vous le dites justement, reste ouvert.

    Bien à vous

  12. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Vincent,
    Le système est perverti ? Je n’en doute pas. Pascale Ferran a bien eu raison de sonner l’alarme l’an dernier. Le cinéma en France manque d’audace, et les prises de risque sont devenues trop rares. Néanmoins, le nombre de films français chaque année ne cesse de croître. Il ne faut donc pas généraliser et tout mettre dans le même panier. Les films d’auteurs que vous citez (Truffaut, Kurosawa, Coppola) sont remplacés aujourd’hui par d’autres : je pense aux films de Kechiche, de Cronenberg, des frères Coen, de Hou Hsiao hsien, et de beaucoup d’autres. Le cinéma commercial connaît lui aussi des difficultés: les sorties le mercredi sont multiples, le nombre de copies est devenu colossal, les films tiennent moins longtemps l’affiche… Tout cela est vrai. Nous sommes d’accord pour dire que tout n’est pas perdu. Mais les contraintes économiques pèsent de tout leur poids. Je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dîtes que la Cinémathèque serait moins hardie dans sa programmation. Je vous renvoie à l’initiative que nous venons de prendre: Africamania. Deux mois consacrés au cinéma africain : il s’agit d’un vrai choix esthétique et politique. Je peux vous l’assurer. Cordialement. S. Toubiana.

  13. medingus a écrit :

    L’épineux problème que soulève, il me semble, Vincent, c’est que :

    _ les blockbusters (en gros) aident le cinéma plus « risqué »;
    _ mais, aussi spectaculaires soient-il, les blockbusters ne « méritent » pas la salle de cinéma : en faisant du film une friandise (ultra sucrée, pleine de cochonnerie, vite mangée, vite oubliée) comme celle des confiseries des multiplexes, on tue d’une autre façon le cinéma;
    _ comment vouloir protéger ceux qui réduisent la consommation du cinéma à cela ou, reformulé, comment protéger de la m*rde cinématographique sous prétexte qu’elle contribue à faire exister une production de toute façon ramollie, notamment, par ce système (qui reste le moins mauvais) ?

    A l’heure où on est plus obligé de payer pour voir des choses médiocres (ce dont les gens ont conscience d’ailleurs : « j’ai regardé ça, c’était nul mais bon j’ai passé un bon moment »), pourquoi le ferait t-on, ça n’a aucun sens. Qu’est-ce que les gens qui téléchargent « 300 » (pour aller vite) en ont à faire que Truffaut, Antonioni ou Bergman – pour reprendre ces exemples qui me ravissent – aient pu faire des films ? Que savent-ils du mode de financement du cinéma en France ? Est-ce que ça leur importe que Pascale Ferran puisse faire du cinéma ?

    Je n’ai pas de réponses (enfin certaines oui, mais pas à la question globale de la perversion du système), mais admettons que la question vaut la peine d’être posée sérieusement.
    Et puisqu’il est question de la notation des ministres dans votre texte, Serge, ne serait-il pas grand temps que le « monde du cinéma » s’assoit autours d’une table pour demander (exiger ?) publiquement des mesures quant au cinéma à l’école ? Il faut voir les problèmes sur le long terme et commencer à la racine, former le spectateur de demain, lui transmettre quelque chose qui se meurt effroyablement, l’amour du cinéma (sans parler d’un sens critique -ce à quoi l’école, selon moi, devrait être faite).

    L’avenir du cinéma passera uniquement par l’école. Lui qui voulait le faire buissonnière… hein Antoine !

    Emmanuelle

  14. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Emmanuelle,
    On ne peut pas penser le cinéma de manière aussi simple: d’un côté les « blockbusters », de l’autre les films d’auteurs. C’est parfois plus complexe, plus subtil. Et tant mieux ! On a souvent de bonnes surprises. Et inversement: des mauvaises, avec des films « d’auteurs » qui nous déçoivent. Ma dernière expérience au cinéma, c’était dans un multiplexe à Paris. Un monde fou ! J’allais voir « Actrices » de Valeria Bruni Tedeschi. Les publics étaient mêlés, impossible de savoir qui allait voir un « blockbuster », et qui allait voir un film indépendant ou d’auteur. Le seul lien, c’est qu’on est « traité » de la même manière, on fait la queue, c’est très impersonnel, à mon goût peu agréable. Quant aux recettes, elles vont dans les mêmes caisses, qui alimenteront en partie le Fonds de soutien au CNC, quel que soit le film et son « identité ».
    Vous y allez un peu fort en disant que les « blockbusters ne méritent pas la salle… ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous savez bien que le cinéma est d’abord et avant tout un spectacle, le lieu du spectacle. Cela dure depuis un peu plus d’un siècle ! Ce qu’il faut c’est qu’il y ait de la place pour tous les films, d’où qu’ils viennent. Se battre contre l’uniformisation du cinéma: dans les salles, mais aussi à la télévision et partout !
    Quant au cinéma à l’école, beaucoup d’efforts sont faits, on ne part pas de zéro, je peux vous l’assurer. Pour ne parler que de la Cinémathèque, il ne se passe pas un mercredi sans visites scolaires, ateliers, projections de films pour le jeune public. Cette activité a pris une énorme importance dans nos équipes. 35.000 enfants et professeurs ont été concernés en 2007: c’est dire ! Nous ne sommes pas les seuls à Paris et sur le territoire, à développer ce genre d’initiatives. Il se joue là quelque chose d’essentiel. Le cinéma à l’école, ou bien, ce que je préfère, l’école se déplaçant pour venir au cinéma. Heureusement, il y aura toujours des adeptes de l’école buissonnière, des cousins d’Antoine Doinel qui deviendront, qui sait, des cinéastes en herbe….
    Cordialement, S. Toubiana.

  15. Yannick POURPOUR a écrit :

    Encore et toujours le même traditionnel débat, en vogue et en boucle parmi les, disons-le vite, « amateurs assidus autoproclamés éclairés » (le terme me semble plus juste que cinéphiles, si l’on s’en tient à sa définition étymologique.)

    D’entrée de jeu, comme ça, à froid, je serais tenté d’être d’accord avec vous sur la question de la licence globale, mais n’anticipons pas, et commençons par une petite remise à plat de la situation (habitude regrettable que j’ai prise, et que vous pourrez couper si le texte s’avérait trop long pour une publication webesque).

    A la question « Qu’est-ce qu’un film de cinéma ? », les réponses sont multiples et infinies : nous n’avons pas la même conception de la réponse, selon notre conception du cinéma. Et en écrivant cette simple phrase, je réalise avec horreur que le problème est bien plus profond encore : il faut remonter jusqu’à la notion même de cinéma… A quoi pense-t-on quand on dit ou écrit le vocable « cinéma » ?
    Eh bien, là où le français courant utilise souvent abusivement un seul mot, l’anglais courant aura tout de suite trois mots différents, comme autant de facettes de l’idée cinéma :
    – Film-making : art de faire des films
    – Theatres : Salles de cinéma
    – Motion pictures : Films de cinéma, quels qu’ils soient.

    Autrement dit, en français, nous avons tendance à fusionner les idées de septième art et de salle de projection, idées qui pourtant reposent sur deux réalités économiques totalement distinctes, donnant peut-être, dès lors, un début d’explication à la confusion dans laquelle on nage quand on parle à chaud, de la crise du cinéma.

    Il y a trente ou même cinquante ans, définir un film de cinéma était assez facile: c’étaient les oeuvres projetables dans une salle de cinéma, l’équipement en cabine (projecteur 35mm) et les moyens techniques (kinescopes peut-être pas aussi performants qu’aujourd’hui, comme le montre le rendu approximatif des nombreux parallèles antennes régulièrement exhumés dans les émissions d’archives). Or, l’apparition du numérique est venue bouleverser cette notion, puisque l’on pouvait dès lors passer dans des salles de cinéma des créations vidéo, des retransmissions de concert, voire même des oeuvres tournées en vidéo sans que l’on sache exactement à quel objet on a à faire, puisque par définition le support historique du cinéma n’est même pas convoqué pour le tournage, le montage, l’étalonnage, et, désormais, la distribution, comme le rappelait Philippe Loranchet lors de la Journée d’études du Conservatoire des Techniques cinématographiques.

    Pour revenir à la question initiale (qu’est-ce qu’un film de cinéma ?), j’avoue être bien embêté pour tracer une ligne verte entre cinéma et non-cinéma, si on se place dans l’hypothèse d’une conception idéale du cinéma, où blockbusters et films d’auteurs auraient la même valeur et seraient tout autant porteurs l’un que l’autre. Je serais tenté de les classifier par leur finalité, mais un petit détour par les Etats-Unis me fait ausstôt penser à l’existence d’une curiosité, le straight-to-video, autrement dit, de la possibilité de diffuser des films initialement « de cinéma », c’est-à-dire à l’origine destinés à la projection en salles. A l’inverse, on l’a dit, le numérique permet aujourd’hui d’ouvrir les salles de cinéma à des contenus « non cinématographiques », mais culturels quand même : vidéos d’art, expérimental, flux haute définition, la liste des possible est longue, voire même infinie. On pourrait même compliquer davantage la chose en évoquant, chez nos cousins d’outre-atlantique, la tradition de diffuser (parfois même en pellicule 35mm, soit le support-roi du cinéma, celui qui lui donne sa définition), de manière événementielle (ou, pourrait-on imaginer, dans le cadre d’une exploitation normale) des pilotes ou des épisodes de séries télévisés en salles, notamment dans les (toujours plus nombreuses) conventions de fans. (Chose facilitée par l’augmentation de la définition des images et la quasi standardisation du 1.77 voire du 1.85 [5.1] pour ces épisodes depuis environ une décennie, voire plus pour certaines séries tournées en pellicule et préparées en vue d’un diffusion HD ultérieure). Pour aller vite, deux exemples : « Once More, with Feeling », (Joss Whedon,2001, 55′), et « Dark Angel, the Pilot » (David Nutter & James Cameron, 1999, 104′)

    De ce champ de ruines et de confusion, ne reste plus que la notion de film, et la salle, un moyen parmi d’autres de diffuser ces films, devenus dans le même temps des contenus, des « temps de programmation » parmi d’autres. Dès lors, pourquoi ne pas donner raison aux chantres de la mort du cinéma ? Oui, le cinéma est mort, et plus exactement, c’est la vidéo qui a fait une OPA hostile sur lui, avec un succès dépassant (et de loin, toutes ses espérances).

    Abandonnons donc cette ridicule angoisse envers quelque chose dont nous aurions dû commencer à nous inquiéter à l’orée des nineties, avec l’arrivée du numérique : le mal est fait, et nous ne pourrons rien y faire désormais. Au lieu de nous inquiéter du « passage au numérique », qui est de toute façon déjà décidé, et en grande partie par des gens qui ne viennent pas du cinéma, mais de l’informatique, et sauvons ce qui peut encore l’être, en faisant des cinémathèques et autres salles d’art et d’essai de véritables temples à la mémoire de ce Septième art déchu, mais encore tellement vivant. Nous avons besoin des capitaux des films américains ? Ok, déroulons-leur le tapis rouge dans des multiplexes toujours mieux équipés, avec des écrans toujours plus grands et un son toujours plus renversant. Dans le même temps, faisons jouer en notre faveur le programme MEDIA (dont une branche encourage, crois-je me souvenir, la production et la diffusion d’oeuvres du marché local en numérique) et, sur un autre terrain, posons-nous la question de la propagande en faveur du cinéma que le grand public n’a plus guère envie d’aller voir, justement parce qu’en face la concurrence est trop attirante. Après, il ne s’agit ni plus ni moins qu’une bonne vieille histoire de concurrence, et c’est là que le piratage peut jouer en notre faveur, puisqu’il DEFAVORISE les films « blockbuster/commercial », comme me l’expliquait récemment une gérante de vidéoclub. En gros, le piratage joue le rôle de contrepoids ajusteur, puisque les spectateurs, lors de l’arrivée en salles, puis en vidéo des films en question, les ont déjà vus au moins une fois (et en VF, merci les Canadiens ou la VFI), donc seront, logiquement et tout à fait compréhensiblement, moins tentés d’aller perdre 7 ou 8 euros (notez comment, dès lors, on retire au moins en partie le prix de l’équation.) pour allez voir le même objet en salles dans des conditions parfois moindres (rayures, popcorns, voisins braillards).

    Il y a trop de concurrence, et la France, peut-être à cause de sa culture, n’est pas – encore – assez bien armée pour se battre contre l’industrie marketing du cinéma hollywoodien… mais elle peut utiliser ces mêmes armes marketing pour faire la promotion d’un cinéma (à tort considéré plus noble), peut-être moins doté financièrement, celui des petits réalisateurs, des débutants, bref, d’une certaine création artisanale évocatrice des débuts de la carrière de Méliès… Dès lors, utilisons le contepoids du piratage en notre faveur pour donner envie aux gens de découvrir les niches qui subsisteront après le passage du rouleau-compresseur hollywoodien. Dès lors, les gens auront de nouveau envie d’aller voir ce qui se passe dans ces salles et que l’on ne voit nulle part ailleurs… Dans ces conditions, le procès intenté à ce cinéma d’art et d’essai montpelliérain pour concurrence déloyale par un mulitplèxe issu d’un grand groupe, prend toute sa dimension ironique, le second jouissant d’une position dominante sur le marché que n’a pas le premier. Dès lors, notre filière cinématographique « artistique » pourra vraiment bénéficier d’un créneau porteur, de films qui (parce qu’à leur place) le seront tout autant, dans des salles qui, peut-on l’espérer, se rempliront d’autant plus facilement que l’on fera jouer à plein la théorie de la longue traîne proche à ce genre de marchés de niche, justement favorisés par le numérique. Seul bémol, cela implique, forcément, de penser un peu plus (et pas seulement, contrairement à ce qu’on pourrait croire) à la rentabilité des salles, en ramenant à l’échelle d’un même complexe de cinémathèque les solutions que l’on voudrait imposer au cinéma américain (autrement dit, s’appuyer sur des films porteurs générateurs de fréquentation pour pouvoir, à côté, programmer des choses peut-être plus élitistes, moins commerciales, bref, moins susceptibles de remplir la salle, quelle qu’en soit la qualité artistique.

    Dès lors, je serais favorable à une licence globale comme vous, monsieur Toubiana, pour les raisons évoquées ci-dessus : en utilisant le piratage (le mot est bien choisi, la flibuste ayant, comme semblait le rappeler un lecteur, toujours un effet positif sur l’économie du pays pour lequel elle opère, raison pour laquelle on la tolère d’ailleurs), on dégage quelques niches pour permettre aux consommateurs de redigirer leurs dépenses vers d’autres secteurs du marché de la culture cinématographique, secteur que l’on aura, bien sûr, rendu attrayant à coups de marketing, s’il le faut, les montants de la licence globale servant, dès lors, moins à financer des marchés devenus davantage autonomes qu’à compenser les pertes engendrées par la flibuste. Je terminerai sur cette question un tantinet polémique… oubliant un instant le langage policé (et peut être un peu froid) : « Bon sang, qu’on aille dans un multiplexe se faire « Die Hard 4 » ou à la Cinémathèque pour regarder « La féline » ou « Metropolis », le plaisir n’est-il pas le même ? Ne prenons-nous pas le même pied ?

  16. Serge Toubiana a écrit :

    Bigre, un peu long en effet ! Et pas très clair. Je vous supplie de me dire où vous voulez en venir ! J’avoue ne rien comprendre à votre raisonnement. S. Toubiana

  17. ninka a écrit :

    J’imagine que certains d’entre vous font partie de l’industrie cinématographique, étant donné la véhémence et l’intérêt porté à : Qui voit Quoi et Comment ? Tant mieux, parlons-en.
    On oublie souvent, dans ce débat, le fait que le téléchargement et le piratage sont avant tout un moyen de s’approprier et de partager la culture, autrement inaccessible. Si l’on prend en exemple des pays du tiers-monde où, sans téléchargement, ce ne serait QUE les blockbusters qui continueraient d’assomer les ados, on voit que le téléchargement ne simplifie pas la consomation du cinéma, mais au contraire, la diversifie. Certes, 2 millions de personnes ne vont pas se gêner pour télécharger le dernier Spiderman. C’est donc 2 millions d’entrées en moins pour une merde, ou allez, 500.000 sûres : tant mieux. (…)
    Alors, oui, si l’on pouvait choisir, ce serait tellement plus agréable de passer d’une salle bondée de cinéma à une autre, que chacune des salles de Paris ait sa propre programmation, que l’on traverse joyeusement la ville en grands cortèges pour aller choper une animation Maori, en criant « bon film! » à l’autre cortège sautant dans le métro pour la postspective emo-pop finlandaise…
    Mais, comme on en est pas là, du tout, pouvoir télécharger « L’Assassinat de Jesse James » avec sa chérie (…) ne me semble pas un crime.
    Lorsqu’il s’agit de s’approprier des codes culturels, de tenter de combler des gouffres de moyens de production et de rattraper un long temps perdu pour s’exprimer, être écouté, entendu et compri par le marché international, l’accès gratuit aux maîtres de leur art est un droit.

    Venir écouter les maîtres Cissé, Kaboré et Sissako, ces dernières semaines, dans votre magnifique Cinémathèque, que je découvre, est un véritable plaisir. Les problématiques du cinéma africain montrent bien qu’il faut réfléchir aux modes de distribution, comprendre si l’on veut faire du commerce ou du témoignage, de l’échange d’informations ou parler à vide.
    Merci beaucoup pour les films, les discussions, la passion et l’intelligence,
    ninka