Archive pour le 25.01.2008

Hommage à Jeanne Moreau

vendredi 25 janvier 2008

Angers

Retour d’Angers où j’ai passé deux jours. Premiers Plans, le festival européen du premier film, fête cette année ses vingt ans. En 1989, lors de la première édition, j’étais membre du jury aux côtés de Theo Angelopoulos, Lucas Belvaux, Dominique Besnehard, Arlette Langmann. A une année près, je n’ai manqué aucune édition de ce festival, unique en son genre, grâce au public, jeune et enthousiaste. Premiers Plans a gagné son pari d’être un festival de découvertes – excellente idée de consacrer le festival aux films européens : longs métrages de fiction, films d’écoles, courts métrages. Claude-Eric Poiroux, son délégué général, eut aussi l’idée d’y adjoindre des rétrospectives, des rencontres, des lectures de scénarios, des ateliers, etc. Chaque année le public y est plus nombreux, plus divers (des jeunes, par milliers !), plus à l’écoute, plus en demande, avide de nouer des liens avec le cinéma. Tout le cinéma. Celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Je me souviens de magnifiques rétrospectives consacrées à Jean Eustache, Marco Ferreri, François Truffaut, Maurice Pialat, Louis Malle, Ingmar Bergman ou encore Pier Paolo Pasolini. Cette année c’est au tour d’Alain Resnais d’être « hommagé », parallèlement aux rétrospectives qui se déroulent en ce moment même au Centre Pompidou, à la Cinémathèque de Toulouse ou encore à l’Institut Lumière de Lyon. On sait que Resnais ne se déplace guère. Qu’il n’aime pas se montrer en public. La timidité, bien sûr. Surtout, le refus de se retourner sur son passé. On peut le comprendre. Resnais est tout occupé à la préparation de son nouveau film, « Les herbes folles », produit par Jean-Louis Livi. Tournage imminent, l’adaptation d’un roman de Christian Gailly – une première pour lui. Aussi plusieurs de ses comédiens et collaborateurs sont-ils venus à Angers, pour présenter des films qui composent cet hommage : la fidèle scripte Sylvette Baudrot, Nicole Garcia, Renato Berta , Isabelle Carré, le critique et essayiste François Thomas (auteur d’un bon livre paru chez Flammarion : « L’atelier d’Alain Resnais »).

Un autre hommage est rendu à Angers, il concerne Jeanne Moreau. On fête ses 60 ans de cinéma. Depuis 2003, année où elle présida le jury, Jeanne Moreau est en quelque sorte la « marraine » de Premiers Plans. A Angers elle est chez elle. Attentive à chacun, veillant à tout, participant au moindre événement, généreuse et vive. Le public l’aime, et vice versa. Il y a trois jours, nous présentions La Baie des anges de Jacques Demy devant une salle comble (500 spectateurs aux « Variétés »). Jeanne Moreau fut applaudie à tout rompre par une salle qui lui était acquise. Dire qu’elle est sublime dans le film de Demy est un euphémisme. Rayonnante, elle règne et donne au film son tempo, sa double allure : celle d’un film à la fois solaire (tout se passe au bord de la Méditerranée entre Cannes, Nice et Monte-Carlo) et noir : le thème central, exclusif, en est le jeu. Et l’on sait que le jeu a à faire avec la perte de soi. Impair et manque. Tout sur le 17… Dans La Baie des anges Jeanne Moreau est blonde platine, à la Jean Harlow. Insolente , souveraine, jouant sa vie comme on se brûle. Totalement insouciante. Claude Mann, son partenaire, la suit docilement, vivant son roman d’apprentissage, totalement fasciné par cette « Jackie » sans attache et libre.

Arte est en première ligne et rend hommage à l’actrice, en programmant trois films importants de sa filmographie : Jules et Jim et La mariée était en noir de François Truffaut, et Le Journal d’une femme de chambre de Luis Bunuel. Dimanche prochain, 27 janvier : soirée Thema autour du documentaire qu’ont réalisé Josée Dayan, Pierre-André Boutang et Annie Chevallay : Jeanne M. Côté cour, côté cœur. 90 minutes intenses, où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Jeanne Moreau est interviewée chez elle, répond aux questions de Pierre-André Boutang , souriante et détendue, précise et séductrice. La lumière est signée Caroline Champetier, autant dire magnifique. Lorsqu’elle évoque son parcours, son enfance, sa famille, ses rencontres avec Louis Malle, Truffaut, Orson Welles, Marguerite Duras…, ses débuts au théâtre puis au cinéma, quelque chose jaillit sous nos yeux : l’intelligence, le refus du pathos, la liberté. Sur son visage lumineux, une jeunesse qui refuse de vieillir… Le film est nourri de nombreuses images ou scènes (répétitions au théâtre, chansons, documents…) filmées au fil des ans par Josée Dayan, qui est en quelque sorte la cinéaste-biographe de l’actrice. A un moment, Jeanne Moreau dit : « Moi ce qui m’inspire, c’est cette idée de comparer la vie à un jardin qu’on nous donne dès la naissance, et il faut arriver à en faire quelque chose. Mon idée c’est de laisser un beau jardin. » Vers la fin, elle se compare à un tuyau d’arrosage… A voir absolument.

La Cinémathèque s’y mettra à son tour avec une programmation d’une cinquantaine de films. A partir du 6 février. Samedi 9 février à 17 heures, Jeanne Moreau viendra dialoguer avec le public. Salut l’artiste !

P.S.: Je me permets de vous recommander chaudement une pièce de théâtre : »Jouer avec Nicomède » de Corneille, mise en scène par Brigitte Jaques-Wajeman. C’est au théâtre de La Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes. Tout y est vivant, plein d’élan, percutant, gai. La pièce de Corneille est peu connue, très politique, les vers tranchent comme des lames. Elle se déroule en Bithynie (l’actuelle Turquie). Le héros, Nicomède, résiste aux envahisseurs romains et défie son propre père qui est roi. La mise en scène surprend d’emblée ; on vous installe sur des gradins, tout autour d’un espace rectangulaire où se situe une longue table de banquet. Les comédiens sont déjà là, assis autour, lisant le journal. Ils nous attendent, tandis que nous nous installons. Certains comédiens passent entre les rangs et nous offrent un chocolat. Brigitte Jaques-Wajeman joue et ruse avec le hors-champ ou le hors scène, ici en quelque sorte aboli. Une fois qu’ils ont fini leur scène, les comédiens s’assoient à nos côtés devenant eux-mêmes spectateurs. Intimité, violence symbolique, rythme, verbe éloquent et poétique. Raphaèle Bouchard (formidable jeune comédienne sortie du Conservatoire), Bertrand Suarez-Pazos, Thibault Perrenoud, Sophie Daull, Pierre-Stéfan Montagnier, Pascal Bekkar, Marc Siemiatycki et Agnès Proust : je les cite tous car ils le méritent. C’est jusqu’au 17 février 2008 (01.43.28.36.36.). On en sort comme aiguisé.