Archive pour le 16.05.2013

Festival de Cannes, 66è édition. Journée 1. François Ozon, Sofia Coppola

jeudi 16 mai 2013

Hier soir le 66è Festival de Cannes s’est ouvert sous des trombes d’eau. La pluie a failli gâcher la fête.  Heureusement il y avait Steven Spielberg. Le président du jury a été acclamé durant une bonne dizaine de minutes par une salle fervente, debout. Celui qui été ainsi honoré a déjà derrière lui une œuvre conséquente. Debout au milieu de la grande scène de l’Auditorium Lumière, il remerciait humblement les spectateurs, attendant presque que l’ovation s’arrête. Et ça continuait, et ça continuait. Spielberg a l’âge du festival : 66 ans. Il semble plus jeune, tellement il a gardé quelque chose d’enfantin, malgré les triomphes, malgré le pouvoir qu’il occupe dans le cinéma mondial. Sa passion du cinéma paraît intacte. C’est de cela que nous le créditions hier, en l’ovationnant. Chacun dans la salle avait un film de Spielberg dans son sa liste des films qui bouleversent une vie. Son discours était bref et sincère, il a cité Hitchcock, Truffaut, Kurosawa, Fellini… sans oublier Cecil B. DeMille, en hommage au premier film vu par Spielberg à l’âge de 6 ans : The Greatest Show on Earth (Sous le plus grand chapiteau du monde, 1952).. Il a évoqué ses passages au festival de Cannes, et bien sûr celui mémorable entre tous lorsqu’il vint présenter en mai 1982 E.T. en séance de clôture. C’est le dernier film projeté dans l’ancien Palais, avant le transfert en 1983 vers ce que nous appelions alors le « Bunker ». Celui-là même où nous étions hier.

Ce matin j’ai vu Jeune & Jolie de François Ozon, qui ouvre la compétition cannoise. Depuis À nos amours de Pialat en 1983 et la découverte de Sandrine Bonnaire, je ne crois pas avoir vu sur un écran une jeune actrice aussi étonnante, mystérieuse et charismatique que Marine Vacht. Elle incarne Isabelle, une fille de 17 ans qui vit dans une famille tout comme il faut, vacances dans le midi, sorties théâtrales, bonne éducation, et qui s’adonne à la prostitution. Le point de vue de Ozon est-il sociologique (il paraît que le phénomène est assez courant dans la jeunesse aisée), ou est-ce un film « symptôme » d’un malaise générationnel ? Ce serait enfermer le film dans une vision restrictive et étroite. François Ozon est un cinéaste disons « voyeur », c’est-à-dire qu’il met en place des dispositifs visuels et narratifs à partir desquels il observe le comportement des humains qu’il a choisi de filmer. S’il est le descendant d’un cinéaste français, ce serait du côté de Chabrol qu’il faudrait regarder. Goût de l’observation, et surtout, forte empathie avec ses personnages, y compris lorsque leurs comportements sont mystérieux, inavouables ou condamnables. Ce qui est frappant dans le parcours d’Isabelle, c’est l’absence de logique, l’absence d’explication psychologique : pourquoi se prostitue-t-elle ? Pour de l’argent ? Elle en a déjà et se contente d’accumuler les gros billets que lui donnent ses clients dans un coin de son armoire. Alors, pourquoi ? Parce que, répond le film. Parce que c’est sa vie, que ça la regarde et que c’est le choix qu’elle fait. Trou noir, vertige, absence d’explication rationnelle. Isabelle traverse un drôle de moment de son existence où il faut se détacher des choses et des êtres proches : sa mère (Géraldine Pailhas) ne comprend rien, et son petit frère Victor est le seul avec qui elle a une vraie complicité. Oui, le goût de l’inconnu, l’envie d’aller voir ailleurs si elle y est. Le désir du mystère. Lorsqu’elle fait l’amour pour la première fois de sa vie, sur la plage, elle ne prend aucun plaisir et son visage se tend vers l’extérieur, et elle se voit comme une autre, assistant à la scène primitive. Dédoublement de la personnalité. Elle fait ça comme absente à elle-même. Jusqu’au jour où elle tombe sur Georges, un homme âgé (qui pourrait être un père). Inutile d’en dire davantage. La beauté et l’émotion, à la fin du film, c’est quand Ozon propose à son héroïne de faire littéralement le deuil, dans une très belle scène où apparaît Charlotte Rampling, de sa première vie. Après ça, Isabelle passera à autre chose. Une autre vie l’attend Et Marine Vacht reviendra, dans d’autres films, pour vivre d’autres trajectoires, aussi belle et mystérieuse que dans ce film étrange et réussi.

Juste après, je vois le nouveau film de Sofia Coppola, The Bling Ring, qui ouvre la sélection « Un certain regard ». Point commun avec Ozon : la jeunesse. Sofia Coppola, si on veut la caricaturer, est une fashion victim. La mode, les comportements liés à la mode et à la consommation d’objets de luxe et de marques, est ce qui la travaille. Cela la travaille en tant qu’elle est une artiste moderne, à la fois moderne et contemporaine. Elle est partie d’un fait divers,  un groupe d’adolescents de Los Angeles fascinés par les « people » et l’univers du luxe, qui cambriolent quand elles ne sont pas chez elles les maisons luxueuses des stars et des célébrités. Ces jeunes gens, surtout des filles, et un jeune garçon, Mark, sont à la fois totalement fascinés par le monde actuel de la mode, et en même temps se comportent comme des hors-la-loi. Ils défient, tels des enfants terribles (on pense bien sûr à Cocteau), la loi qu’ils ont par ailleurs complètement intériorise : s’habiller ultra chic, porter des Louboutin, du Chanel, du Balmain, j’en passe et des meilleurs. Ils pénètrent dans les maisons luxueuses comme de jeunes lutins, s’amusent comme des fous en découvrant les cavernes d’Ali Baba de leurs victimes, et en repartent les sacs remplis d’objets luxueux. Puis ils s’en retournent vivre dans leurs familles aisées. Névrose contemporaine que Sofia Coppola filme avec un sens du rythme et un accompagnement musical assez frénétique. Ce qu’elle filme avec un incroyable talent, c’est le vide de notre monde actuel. Mais ce vide est porteur de formes. Sofia Coppola est à l’affût pour capter ces flux trop visibles afin d’en restituer la quintessence et la vérité.

A propos du film Le Pouvoir, de Patrick Rotman

jeudi 16 mai 2013

Le Festival de Cannes a commencé pour moi dès lundi soir. Je suis allé voir à Paris Le Pouvoir, le film réalisé par Patrick Rotman. C’était une avant-première, et j’étais déjà dans ma tête un peu à Cannes. Le film est intéressant, je dirais même passionnant, dans son principe même. Car c’est la première fois, à ma connaissance, qu’une caméra pénètre dans le sacré saint des lieux politiques, le Palais de l’Élysée, en toute liberté et pour y filmer à sa guise.

Le film a été rendu possible à la suite d’un accord entre Pierre Favier, coauteur du film (il fut, durant les deux septennats de François Mitterrand, l’envoyé spécial de l’AFP à l’Élysée), Patrick Rotman et François Hollande. En présentant son film, Patrick Rotman tint à préciser, et le détail a toute son importance, que François Hollande avait été approché avant même que ne soit lancée la campagne des primaires du Parti socialiste organisées pour désigner son candidat. Hollande différa sa réponse, le temps d’être désigné candidat, et accepta, un mois avant le deuxième tour des Présidentielles qui devait le mener à la victoire, d’être filmé dès son entrée à l’Élysée. Autrement dit, François Hollande avait accepté ce rituel inédit consistant à filmer sa prise de possession des lieux, avant même que d’être élu. C’est donc un homme de parole. Était-il conscient de l’enjeu symbolique ? C’est une autre histoire. Sa décision participe d’une volonté de faire de l’Élysée un lieu « normal », c’est-à-dire accueillant et visitable, « filmable », où les rituels les plus secrets, par exemple un Conseil des ministres ou une réunion du président avec ses proches conseilles, sont ouverts au regard faussement neutre d’une caméra.

Il y a une longue scène très marrante, au début du Pouvoir grâce à laquelle nous assistons de près à la séance de la photographie officielle du nouveau Président par Raymond Depardon. Le Président arrive dans le jardin de l’Élysée, il est entouré de conseillers, on lui retouche les manches du costume qu’il a tendance à avoir trop courtes, on le repeigne. Tout va très vite. Depardon met en scène : vous avancez vers moi en suivant tel trajet. François Hollande s’exécute. On recommence, une fois, deux fois, trois fois. Pas cadré assez près, trop ou pas assez souriant. Comme au cinéma, on refait la prise. Tout se joue devant nous en un instant volé. Nous sommes témoins d’un moment important, à forte charge symbolique, où Depardon met en scène le Président de la République dans le but d’en tirer l’image officielle. Cela semble se jouer dans un moment indécis et incontrôlé, sans temps mort. Le Président et sa compagne, Valérie Trierweiler, choisissent assez vite sur l’appareil que leur tend Depardon l’image qui sera pour eux la bonne. Et le Président s’en retourne au travail.

Sentiment étrange de quelqu’un qui ne prend pas le temps de soigner son image. Est-ce à mettre sur le compte de la candeur d’un homme qui ne connaît pas encore les usages du pouvoir, et les découvre en même temps que nous ? C’est l’impression que l’on a tout au long du film, comme si au fond François Hollande avait accepté de laisser une caméra pénétrer à l’intérieur du Palais de l’Élysée, pour filmer ce moment où lui-même effectuait, en temps réel, les repérages des lieux qu’il allait occuper – son nouveau bureau, son nouveau lieu de vie et de travail, avec les rituels obligés (réunions quotidiennes, rendez-vous avec le Premier ministre, Conseil des ministres du mercredi matin, etc.). L’homme politique que l’on découvre, affable et souriant, serrant chaleureusement les mains de ses collaborateurs, commentant de sa voix en off ce que sont pour lui l’exercice et l’apprentissage du pouvoir, semble au fond n’avoir que très peu d’avance sur nous. Il n’a pas pris le temps, ou ne manifeste pas la volonté, de créer une distance, ni d’inventer une sorte de solennité qui est en général la marque des hommes de pouvoir. Tout Hollande est là, dans cette nuance : il n’incarne pas le pouvoir, il en exerce la fonction. Cette simplicité ou cette humilité risque de lui être reprochée. Car on attend, en France, par habitude ou tradition, que le Président de la République crée entre lui et ses sujets une manière d’être et un comportement fondés sur la déférence et la distance. Les lieux mêmes, dorés et peuplés d’huissiers, y poussent. Hollande prend le parti inverse de jouer sur la transparence. Oui : on peut tout montrer. Même si la transparence a des limites. La caméra de Patrick Rotman pénètre dans le bureau présidentiel, et là où se tient le Conseil des ministres, elle suit le Président dans les couloirs ou lorsqu’il voyage, en train ou en avion. On voit des choses, on entend des choses, dans leur déroulement normal et en général secret. Mais il arrive un moment où la caméra doit se retirer. Les portes se referment et nous restons à l’extérieur. Chacun sait qu’au cinéma, la transparence est souvent une illusion (d’optique).