Festival de Cannes, 66è édition. Journée 1. François Ozon, Sofia Coppola

Hier soir le 66è Festival de Cannes s’est ouvert sous des trombes d’eau. La pluie a failli gâcher la fête.  Heureusement il y avait Steven Spielberg. Le président du jury a été acclamé durant une bonne dizaine de minutes par une salle fervente, debout. Celui qui été ainsi honoré a déjà derrière lui une œuvre conséquente. Debout au milieu de la grande scène de l’Auditorium Lumière, il remerciait humblement les spectateurs, attendant presque que l’ovation s’arrête. Et ça continuait, et ça continuait. Spielberg a l’âge du festival : 66 ans. Il semble plus jeune, tellement il a gardé quelque chose d’enfantin, malgré les triomphes, malgré le pouvoir qu’il occupe dans le cinéma mondial. Sa passion du cinéma paraît intacte. C’est de cela que nous le créditions hier, en l’ovationnant. Chacun dans la salle avait un film de Spielberg dans son sa liste des films qui bouleversent une vie. Son discours était bref et sincère, il a cité Hitchcock, Truffaut, Kurosawa, Fellini… sans oublier Cecil B. DeMille, en hommage au premier film vu par Spielberg à l’âge de 6 ans : The Greatest Show on Earth (Sous le plus grand chapiteau du monde, 1952).. Il a évoqué ses passages au festival de Cannes, et bien sûr celui mémorable entre tous lorsqu’il vint présenter en mai 1982 E.T. en séance de clôture. C’est le dernier film projeté dans l’ancien Palais, avant le transfert en 1983 vers ce que nous appelions alors le « Bunker ». Celui-là même où nous étions hier.

Ce matin j’ai vu Jeune & Jolie de François Ozon, qui ouvre la compétition cannoise. Depuis À nos amours de Pialat en 1983 et la découverte de Sandrine Bonnaire, je ne crois pas avoir vu sur un écran une jeune actrice aussi étonnante, mystérieuse et charismatique que Marine Vacht. Elle incarne Isabelle, une fille de 17 ans qui vit dans une famille tout comme il faut, vacances dans le midi, sorties théâtrales, bonne éducation, et qui s’adonne à la prostitution. Le point de vue de Ozon est-il sociologique (il paraît que le phénomène est assez courant dans la jeunesse aisée), ou est-ce un film « symptôme » d’un malaise générationnel ? Ce serait enfermer le film dans une vision restrictive et étroite. François Ozon est un cinéaste disons « voyeur », c’est-à-dire qu’il met en place des dispositifs visuels et narratifs à partir desquels il observe le comportement des humains qu’il a choisi de filmer. S’il est le descendant d’un cinéaste français, ce serait du côté de Chabrol qu’il faudrait regarder. Goût de l’observation, et surtout, forte empathie avec ses personnages, y compris lorsque leurs comportements sont mystérieux, inavouables ou condamnables. Ce qui est frappant dans le parcours d’Isabelle, c’est l’absence de logique, l’absence d’explication psychologique : pourquoi se prostitue-t-elle ? Pour de l’argent ? Elle en a déjà et se contente d’accumuler les gros billets que lui donnent ses clients dans un coin de son armoire. Alors, pourquoi ? Parce que, répond le film. Parce que c’est sa vie, que ça la regarde et que c’est le choix qu’elle fait. Trou noir, vertige, absence d’explication rationnelle. Isabelle traverse un drôle de moment de son existence où il faut se détacher des choses et des êtres proches : sa mère (Géraldine Pailhas) ne comprend rien, et son petit frère Victor est le seul avec qui elle a une vraie complicité. Oui, le goût de l’inconnu, l’envie d’aller voir ailleurs si elle y est. Le désir du mystère. Lorsqu’elle fait l’amour pour la première fois de sa vie, sur la plage, elle ne prend aucun plaisir et son visage se tend vers l’extérieur, et elle se voit comme une autre, assistant à la scène primitive. Dédoublement de la personnalité. Elle fait ça comme absente à elle-même. Jusqu’au jour où elle tombe sur Georges, un homme âgé (qui pourrait être un père). Inutile d’en dire davantage. La beauté et l’émotion, à la fin du film, c’est quand Ozon propose à son héroïne de faire littéralement le deuil, dans une très belle scène où apparaît Charlotte Rampling, de sa première vie. Après ça, Isabelle passera à autre chose. Une autre vie l’attend Et Marine Vacht reviendra, dans d’autres films, pour vivre d’autres trajectoires, aussi belle et mystérieuse que dans ce film étrange et réussi.

Juste après, je vois le nouveau film de Sofia Coppola, The Bling Ring, qui ouvre la sélection « Un certain regard ». Point commun avec Ozon : la jeunesse. Sofia Coppola, si on veut la caricaturer, est une fashion victim. La mode, les comportements liés à la mode et à la consommation d’objets de luxe et de marques, est ce qui la travaille. Cela la travaille en tant qu’elle est une artiste moderne, à la fois moderne et contemporaine. Elle est partie d’un fait divers,  un groupe d’adolescents de Los Angeles fascinés par les « people » et l’univers du luxe, qui cambriolent quand elles ne sont pas chez elles les maisons luxueuses des stars et des célébrités. Ces jeunes gens, surtout des filles, et un jeune garçon, Mark, sont à la fois totalement fascinés par le monde actuel de la mode, et en même temps se comportent comme des hors-la-loi. Ils défient, tels des enfants terribles (on pense bien sûr à Cocteau), la loi qu’ils ont par ailleurs complètement intériorise : s’habiller ultra chic, porter des Louboutin, du Chanel, du Balmain, j’en passe et des meilleurs. Ils pénètrent dans les maisons luxueuses comme de jeunes lutins, s’amusent comme des fous en découvrant les cavernes d’Ali Baba de leurs victimes, et en repartent les sacs remplis d’objets luxueux. Puis ils s’en retournent vivre dans leurs familles aisées. Névrose contemporaine que Sofia Coppola filme avec un sens du rythme et un accompagnement musical assez frénétique. Ce qu’elle filme avec un incroyable talent, c’est le vide de notre monde actuel. Mais ce vide est porteur de formes. Sofia Coppola est à l’affût pour capter ces flux trop visibles afin d’en restituer la quintessence et la vérité.

7 Réponses à “Festival de Cannes, 66è édition. Journée 1. François Ozon, Sofia Coppola”

  1. VOISIN PHILIPPE a écrit :

    Bonsoir ! A propos de « Jeune et jolie »,la plupart des critiques lues dans la « Presse »sont plutôt très élogieuses à propos de Marine Vacht! (à vérifier en salles.).
    -Le « vide »de notre époque est malheureusement assez réel…(hâte de découvrir le travail de S.Coppola)!
    -S.Spielberg:le récent livre de R.Shickel à propos de cet étonnant réalisateur est passionnant…(en attendant « Robocalypse »,le prochain film de Spielberg).

  2. Jean Copé a écrit :

    C’est tranquille pour vous Serge ! Cannes, cinoche, cinémathèque, restos… Bonne continuation !

  3. serge toubiana a écrit :

    Cannes tranquille? On voit que vous n’y êtes jamais allé.

  4. Paulo Costa a écrit :

    Bonjour Mr Toubiana
    Félicitations pour la participation à la restauration de « La Belle et la Bête » très réussie, à laquelle votre serviteur a contribué humblement à la restauration physique du Négatif Original (Laboratoire Daems).
    Lors de la projection à Cannes, nous étions assis presque côte à côte mais je n’ai pas osé vous déranger.
    On ne se lasse pas de vous entendre parler de vos connaissances sur les archives cinéma.
    Merci pour votre invitation au déjeuner du patrimoine auquel j’ai été très heureux de participer.
    J’espère que nous aurons l’occasion de parler de notre passion commune , la préservation et conservation des pellicules cinéma
    Je vous souhaite une bonne récupération car même si c’est un plaisir, je confirme Cannes ce n’est pas « tranquille « , surtout pour les organisateurs !

  5. serge toubiana a écrit :

    J’espère vous rencontrer bientôt pour discuter de cinéma et de projets de restaurations. Hier samedi, la projection de Plein soleil de René Clément a été magnifique, en présence d’Alain Delon. Belle restauration entreprise par StudioCanal avec la Cinémathèque française, grâce au soutien du Fonds Culturel Franco Américain. Alain Delon était ému de l’accueil qui lui a été réservé.

  6. Paulo Costa a écrit :

    Je n’ai pas pu rester à Cannes malheureusement . Au laboratoire à Paris j’ avait un Nitrate en décomposition qui m’attendait pour sauver le plus d’images possible
    A l’occasion, je serai ravi de vous rencontrer

  7. Jean Copé a écrit :

    Paulo, Serge, vous allez bientôt nous faire croire que Cannes c’est le bagne ! A ce tarif-là, je veux bien me faire emprisonner sur la Cote d’Azur ! En tout cas, merci pour cette franche rigolade.