Archive pour le 2.05.2013

Dix ans déjà…

jeudi 2 mai 2013

2 mai 2003. Mon premier jour à la Cinémathèque française. Je me souviens de mon arrivée rue de Longchamp, où se trouvaient les bureaux à l’époque. Premiers contacts avec l’équipe, le personnel. Je venais d’être nommé directeur général. J’arrivais les mains vides, des idées plein la tête. Quelques jours auparavant, je m’en souviens, j’étais dans le bureau de Laure Adler, directrice de France Culture. Mon portable sonne, c’est Martine Offroy, présidente par intérim, avec Humbert Balsan, de la Cinémathèque : « Tu viens d’être nommé directeur. Félicitations. » Juste après, j’allais visiter la sublime exposition consacrée à Henri Cartier-Bresson à la BnF.

Dix ans, le temps a passé vite. Dix ans au cours desquels la Cinémathèque a (beaucoup) changé. Tout en restant elle-même. Elle a d’abord déménagé, et c’était aussi pour cela qu’on avait fait appel à moi. Pour orchestrer la mutation vers Bercy. Qui ? Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture d’alors, souhaitait confier le bâtiment de Frank Gehry à une institution renouvelée dans ses statuts et dans son mode de fonctionnement. David Kessler, directeur du CNC, qui suivait de près le dossier. Humbert Balsan et Martine Offroy, ainsi que d’autres administrateurs de la Cinémathèque, qui voyaient d’un très bon œil cette implantation rue de Bercy. Mais tout était à faire. D’abord convaincre le personnel que ce changement ne présenterait que des avantages en termes de visibilité, et surtout de projet. Retrouver la confiance de la tutelle publique.

Rue de Bercy, la Cinémathèque allait enfin pouvoir déployer un projet d’envergure. Trois salles de cinéma à programmer. Un espace muséographique pour ses collections. Un autre pouvant accueillir des expositions temporaires. L’installation conjointe de la Bibliothèque du film, avec laquelle il était déjà prévu de fusionner. Une future librairie, un restaurant. Des espaces dédiés aux activités pédagogiques. Bref, un projet d’ensemble qu’il fallait articuler, coordonner, mettre en harmonie. Cela impliquait de renforcer les équipes, de créer des emplois absolument indispensables à la mise sur pied du projet. Créer un service juridique, un autre en charge de la communication, des publics et des partenariats, un autre des expositions, un autre des ressources humaines, de la gestion administrative, de l’audiovisuel, de l’action culturelle, sans oublier un service informatique jusque-là inexistant, lancer le site internet et mettre sur pied une cellule web, enfin veiller à ce que tout marche en équilibre – et à l’équilibre.

Avec Matthieu Orléan, nous travaillâmes assez vite à la conception de l’exposition inaugurale consacrée à Renoir/Renoir. Claude Berri, devenu entretemps président de la Cinémathèque, m’avait soufflé l’idée, organisé le rapprochement avec le musée d’Orsay et son président d’alors, Serge Lemoine. Laurent Mannoni et Marianne de Fleury se remirent au travail pour concevoir ce qu’allait être le nouveau musée de la Cinémathèque. Les discussions furent difficiles, parfois délicates, alors que les travaux s’achevaient pour réaménager le bâtiment de Gehry. A la demande de Berri, il fallut inverser les espaces du 5è et du 2è étage, initialement prévus pour accueillir le musée et les expositions temporaires. Berri avait vu juste, mais cela retarda quelque temps les travaux. En deux ans, le projet se mit en place, avant le grand saut vers Bercy. Au printemps 2005, les équipes s’installèrent dans le bâtiment remis à neuf, et quelques semaines plus tard, vers la fin septembre, le public put découvrir les lieux avec l’exposition Renoir/Renoir et la rétrospective complète des films du cinéaste. Je me souviens de la cérémonie d’ouverture, il y avait foule, les officiels, les cinéphiles, les amis de la Cinémathèque, et le soir avant la projection du Fleuve dans une copie restaurée par la Film Foundation, Martin Scorsese fit l’éloge de la Cinémathèque française en disant qu’elle était la maison des cinéastes du monde entier.

Avant sa maladie, Claude Berri m’avait également soufflé l’idée d’une exposition consacrée à Pedro Almodóvar. Il avait encore raison. Plusieurs voyages à Madrid, le temps de convaincre le cinéaste et de gagner sa confiance. Matthieu Orléan assura avec talent le commissariat de l’exposition, avec la complicité amicale d’Almodóvar. Costa-Gavras remplaça Claude Berri à la présidence, la Cinémathèque allait vite trouver son rythme, élargir son offre et son public, s’aventurer vers de nouveaux territoires. La fusion avec la BiFi, dès 2007, renforça la cohérence du projet (par le rapprochement des collections films et celles du non film) et des équipes. Les missions historiques, de sauvegarde, de restauration et de valorisation des collections furent non seulement assumées mais développées, l’accueil de cinéastes du monde entier venus présenter leurs films, des hommages à des acteurs et actrices (Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Jeanne Moreau, Juliette Binoche, Shirley MacLaine, Jim Carrey, Michael Caine…), des directeurs de la photographie (Giuseppe Rotunno, Raoul Coutard, Michael Ballhaus, Pierre Lhomme, Renato Berta, Willy Kurant à partir d’aujourd’hui), des compositeurs de musique de film (Antoine Duhamel, Michel Legrand, Bruno Coulais, Gabriel Yared), ou à des producteurs… Et surtout à des cinéastes, classiques ou contemporains, morts ou en activité. Des rétrospectives complètes, souvent rares, et qui se comptent par dizaines.

Revisiter le cinéma du monde, rebattre les cartes de la cinéphilie, repenser ce par quoi nous sommes passés, ouvrir l’œil sur le cinéma en train de se faire, affirmer des choix dans un esprit d’ouverture. Accompagner ces rétrospectives de débats, de lectures, de conférences et de prises de parole. Le cinéma se voit et se parle, se discute et se dispute. Combien d’expositions, en quelques années ? Celle consacrée aux lanternes magiques (Lanterne magique et film peint), belle et mystérieuse, envoûtante (grâce à nos sublimes collections). Celle consacrée à Dennis Hopper, imaginée le jour où je lui avais rendu visite avec Pierre Edelman en Californie. Sa gentillesse, son écoute, sa disponibilité, et surtout son plaisir d’être reçu à Paris et honoré… Sacha Guitry, Georges Méliès, Magicien du cinéma, Brune/Blonde, Jacques Tati, deux temps trois mouvements, Tournages : Paris-Berlin-Hollywood (1910-1939), Metropolis, Stanley Kubrick, Tim Burton (un triomphe), Les Enfants du Paradis, Maurice Pialat Peintre et Cinéaste, et aujourd’hui l’exposition consacrée à Jacques Demy. Je m’y rends régulièrement, pour voir le nombre d’enfants et de fillettes en train de regarder avec émerveillement les robes de Catherine Deneuve dans Peau d’âne. Public jeune, souvent venu en famille. Quelque chose se transmet, les générations se croisent et cohabitent, ce lieu existe et il est vivant parce que traversé de désirs multiples. La passion du cinéma est communicante, sinon elle n’est pas. Le cinéma se joue au présent, faire vivre sa mémoire est un enjeu du présent.

Dix ans déjà, le temps a passé vite. D’autres projets s’annoncent…