Archive pour le 14.10.2009

Ce cher Alain Crombecque

mercredi 14 octobre 2009

Alain Crombecque et Serge Toubiana visitant l’expo consacrée à Jacques Tati à la Cinémathèque française. Photo Fred Atlan

Alain Crombecque est mort subitement lundi soir, dans le métro parisien, des suites d’un arrêt cardiaque. Il venait juste d’avoir soixante-dix ans. Le milieu du théâtre est en deuil, perdant un des hommes ayant le plus contribué à faire du « spectacle vivant » – théâtre, danse, musique, installations plastiques – le lieu de la modernité, de la découverte et de l’ouverture au monde. Et ce depuis près de quatre décennies.

Il y a autre chose à dire, et il me revient d’une certaine manière de le dire. Alain Crombecque fut aussi un passionné de cinéma. Il suffit de voir que sous son impulsion, chaque Saison du Festival d’Automne comporte un volet Cinéma. J’ai aussi eu la chance de le côtoyer, chaque jour, durant les préparations du Premier siècle du cinéma, entre 1993 et la fin 1995. Jack Lang, sur une proposition de Dominique Wallon, alors directeur général du CNC, nous avait confié le poste de délégué général que nous partagions à mi-temps, formant un tandem efficace et complice assisté de Ouardia Teraha. Michel Piccoli présidait l’association mise en place pour coordonner les différentes initiatives impulsées par nous, ou qui parvenaient jusqu’à nous. Nous étions logés dans des bureaux rue Saint Merri, en face du Centre Georges Pompidou. Durant cette période, nous avions mis toute notre énergie à faire en sorte que le Cinéma soit célébré de mille et une façons, dans le pays où il est né.

Alain Crombecque était le plus délicieux et le plus délicat des hommes. Diplomate, courtois, secret, timide et intimidant, curieux de tout et fidèle en amitié. Il fallait gagner sa confiance, et dès lors les choses devenaient faciles. Il aimait aller vite, décider vite, parce qu’il comprenait tout très vite. Costume et cravate, éternelle écharpe noire autour du cou, Le Monde du jour froissé ou enroulé dans la main, presque toujours un livre en poche. Il est difficile de trouver autant de qualités réunies en un seul être. Alain Crombecque les avait toutes, plus une autre – essentielle : l’humilité. Avec une telle expérience, un tel réseau de connaissances artistiques, des responsabilités aussi importantes, la direction du Festival d’Avignon ou celle du Festival d’Automne, Alain restait un homme simple et disponible, pas snob pour un rond, abordable, cosmopolite. Tout entier au service de sa passion artistique. Il aimait à ce point les artistes, la création, le risque de la création, qu’il s’était une fois pour toutes trouvé une place dans la pénombre, discrète, d’où il pouvait percevoir la scène et entendre les voix et les musiques, témoin privilégié et anonyme des pièces et spectacles qu’il avait grandement contribué à faire naître. Le mot qui me vient en pensant à lui est : souveraineté. Alain Crombecque, dans son rapport au théâtre, à la culture, aux enjeux de pouvoir qui se trament dans l’espace culturel, est toujours demeuré un homme souverain.

Au cours des trois années où nous avons travaillé ensemble, j’ai apprécié ses qualités, appris de lui, et pris du plaisir à être avec lui. Je l’admirais et je l’aimais comme on admire et l’on aime un modèle. Alain Crombecque n’avait que des amis. Je suis fier d’avoir été l’un de ses proches. Comme eux je ne me console pas de sa disparition.