Archive pour le 24.05.2009

Palme d’or à Michael Haneke

dimanche 24 mai 2009

A la fin de la projection du film de Michael Haneke, Le Ruban blanc, jeudi dernier à quatorze heures trente, dans l’Auditorium Lumière à Cannes, j’ai dit à l’oreille de Laurence, ma voisine, d’un ton assuré : ce film aura la Palme d’or. Elle ne m’a pas cru et pourtant j’ai eu raison. Question d’expérience. De flair, surtout. Le film de Haneke est splendide, profond, filmé à la bonne distance. Haneke a toujours été un bon dramaturge, mais là il se surpasse et son regard est implacable, sans pour autant se faire juge. Le Ruban blanc est à ce jour son meilleur film. Isabelle Huppert, qui a déjà tourné deux fois avec lui, a su reconnaître le talent et convaincre son jury. Je pensais aussi que cette Palme d’or arriverait au bon moment pour couronner la carrière de Michael Haneke. Déjà récompensé par des prix dans divers festivals, ayant permis à Isabelle Huppert d’obtenir son deuxième prix d’interprétation en 2001 pour son rôle dans La Pianiste, il manquait au cinéaste autrichien la consécration suprême. Celle-ci arrive au bon moment. La force de son film tient aussi à l’universalité du sujet abordé : comment le Mal s’installe et se distille à travers les mailles les plus infimes d’une communauté villageoise allemande, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Haneke traite le sujet par le détail, en s’arrêtant sur les traits les plus infimes et les plus secrets qu’épouse le Mal, toutes classes confondues. Sans jamais trop s’appesantir. Chaque plan est d’une grande beauté plastique, dans un noir et blanc qui déploie toutes ses nuances et fait de chaque image comme une gravure ; le jeu des comédiens, celui des enfants surtout, la belle langue parlée, le principe de narration (la voix off de l’instituteur, lui-même partie prenante dans l’histoire), la maîtrise ou rigueur de la mise en scène, font du film une œuvre qui restera. C’est ce que j’ai ressenti en voyant le film.

Vendredi dernier j’étais invité à l’émission d’Ali Baddou sur France Culture, en compagnie de Michel Ciment, pour évoquer les cinquante ans de la Nouvelle Vague. En fin d’émission, l’animateur nous demanda – nous avions été rejoints par Jean-Michel Frodon, directeur des Cahiers du cinéma, et Alain Kruger, producteur de l’émission Le Cercle – d’établir un pronostic pour la Palme d’or. Les autres citèrent plusieurs films, tous respectables au demeurant, quand je n’en citai qu’un seul, celui de Haneke. Ayant fait partie du jury à Cannes en 1992, j’ai appris (à mes dépens) qu’il ne faut jamais citer plusieurs films à la fois ou s’emballer pour plusieurs, mais plutôt tout miser sur un seul. Et s’y tenir. Pour les raisons que j’ai dites, le film de Michael Haneke me paraissait avoir toutes les qualités pour gagner. Je n’en tire évidemment aucune vanité. A Cannes tout se joue dans un mouchoir. D’autres films pouvaient prétendre à la même récompense, je pense au film de Jacques Audiard, Le Prophète, donné largement favori par la majorité des journalistes et critiques – ce qui n’est pas toujours bon signe. Entre Le Ruban blanc et Le Prophète (Grand prix du Jury), il y a me semble-t-il une nuance, infime, mais qui fait la différence : ces deux films ne touchent pas au même point de sensibilité, ni au même point d’universalité. La dimension féminine est absente du film d’Audiard. On me dira que c’est parce que le film se déroule entièrement ou presque dans une prison d’hommes. C’est vrai. Il n’empêche que cette sensibilité féminine relève aussi d’autre chose, du regard que l’on porte sur les hommes et sur leurs actes. Elle peut aussi s’inscrire de manière quasi imperceptible à travers la mise en scène. Ce n’est pas le cas du film d’Audiard. A discuter.

Nous avions décidé, bien avant le 62è Festival de Cannes, avec Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque, de rendre hommage à Michael Haneke en octobre prochain. Nous projetterons Le Ruban blanc en avant-première le 19 octobre, deux jours avant sa sortie en salle (le film est distribué par Les films du Losange), en présence du cinéaste. Et la rétrospective de son œuvre débutera le 21. Ce sera l’occasion de revoir tous les films de M. Haneke et de dialoguer avec lui. Haneke est un cinéaste très intelligent, précis, qui parle de mise en scène avec une économie de mots, un peu comme ses films. Et surtout, il refuse la psychologie, ne l’admet pas comme une catégorie, disons, explicative. Pour lui le cinéma est d’abord une affaire de mise en scène. Nous sommes très heureux de l’accueillir bientôt à la Cinémathèque.