Archive pour le 9.05.2009

Jean-Pierre Léaud, le retour

samedi 9 mai 2009

Il y a deux semaines, j’étais à Los Angeles quand Jean-Pierre Léaud m’a laissé un message. Je l’ai rappelé aussitôt. Il voulait m’annoncer une bonne nouvelle. Le film de Tsai Ming-liang dans lequel il joue, Visages, est sélectionné en compétition officielle à Cannes. Jeanne Moreau, Fanny Ardant et Nathalie Baye sont à ses côtés dans le film, autant de raisons d’imaginer que Tsai Ming-liang y rend directement ou indirectement hommage à Truffaut. Mathieu Amalric et Laetitia Casta figurent également dans ce film. Au bout du fil, j’entends la voix joyeuse et fière de Jean-Pierre Léaud, qui revient de loin. Il a fait preuve de beaucoup de courage ces dernières années, pour revenir en forme et reprendre son métier d’acteur. Il me dit également ceci, qui prend toute sa valeur : « Tu te rends compte, cinquante ans après Les 400 Coups, je reviens à Cannes avec un film en  compétition officielle ! » Je lui fais part de ma joie avec ces mots : Jean-Pierre Léaud is back ! On célèbre cette année les cinquante ans de la Nouvelle Vague, et l’un de ses plus illustres emblèmes, Jean-Pierre Léaud, fête ses cinquante ans de carrière. Cet anniversaire ne fait pas plaisir à tout le monde. Je fais le pari que nous allons entendre ici ou là les voix de ceux qui n’ont toujours pas digéré les films de Godard, Truffaut, Rohmer ou Chabrol. Qu’importe. Ces films et leurs auteurs font depuis longtemps parti de l’histoire du cinéma. Et Resnais présente son nouveau film à Cannes : Les Herbes folles.

J’étais à Los Angeles pour participer à un festival de cinéma : « City of Lights, City of Angels ». COL COA fêtait sa treizième édition, avec une sélection de vingt longs-métrages français, accompagnées de nombreux films courts. Le festival se déroule à la DGA, la Directors Guild of America, sur Sunset Boulevard : deux salles confortables, pleines à chacune des nombreuses séances. COL COA est une initiative du Fonds Culturel Franco-Américain, qui regroupe quatre entités distinctes : la DGA, la Writers Guild of America, la Motion Picture Association et la Sacem. Pas facile de promouvoir le cinéma français aux USA, tout particulièrement sur la Côte Ouest, en plein cœur du temple hollywoodien. Si COL COA y parvient, c’est que la stratégie adoptée (par François Truffart, son directeur et sélectionneur) est la bonne : proposer un éventail assez large de films, ceux de Josiane Balasko (Cliente), André Téchiné (La Fille du RER), Jean-François Richet (Mesrine), Philippe Lioret (Welcome), Christophe Honoré (La Belle personne), Michel Hazanavicius (OSS 117 Rio ne répond plus), Zabou Breitman (Je l’aimais), Philippe Haïm (Secret défense), Rémi Bezançon (Le Premier jour du reste de ta vie), Nicolas Saada (Espion(s), François Dupeyron (Aide-toi et le ciel t’aidera) ou Costa-Gavras (Eden à l’Ouest). A chaque séance, la salle vibrait, riait, réagissait, fonctionnait de plain-pied avec des univers ou des imaginaires très variés. Ensuite, le traditionnel « Q and A » au cours duquel le ou la cinéaste se fait interroger par un journaliste américain, puis répond aux questions du public. Pari réussi.

La place du cinéma français aux USA demeure toutefois marginale, sachant que l’ensemble du cinéma étranger ne dépasse pas 5 % des entrées sur le territoire américain. Il n’empêche que c’est important. Le cinéma français joue son rang de troisième cinématographie mondiale, après l’Inde et l’Amérique. Et l’on ne saurait oublier à quel point il a pu influencer les cinéastes américains du « Nouvel Hollywood », c’est-à-dire ceux de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix : les Scorsese, Spielberg, Lucas, De Palma, Altman, Friedkin et autres. Tous ont vu A bout de souffle et Jules et Jim, sans oublier les films d’Alain Resnais, dont l’influence est souterraine mais certaine. USC, une des universités californiennes, m’avait convié à donner une conférence sur François Truffaut vendredi 24 avril. J’y ai été étonné de voir à quel point la référence à Truffaut demeure à ce point vivace auprès de jeunes étudiants en cinéma, vingt-cinq ans après sa mort.

Luc Lagier a réalisé un documentaire intelligent et convaincant sur la question de l’influence de la Nouvelle Vague sur le cinéma américain des années soixante-dix. Le titre de son film est : Nouvelle Vague, vue d’ailleurs. Il a eu la chance de rencontrer, à New York et Los Angeles, des témoins de premier plan qui évoquent leurs années de formation. Arthur Penn revient sur Bonnie and Clyde, en rappelant que Truffaut faillit en être le réalisateur. D.A. Pennebaker, le grand documentariste (entre autres, Don’t Look Back, son film sur Bob Dylan), fut celui qui sorti La Chinoise à New York en 1968, surpris du succès du film auprès des étudiants contestataires américains des universités et des campus. Luc Lagier a mis la main sur des documents passionnants et rares où l’on voit Godard (parlant anglais devant un parterre d’étudiants), ou aux côtés de Pennebaker et Richard Leacock en train de discuter d’un projet de film commun, One American Movie (qui n’aboutira pas). Autres témoignages, ceux de Jerry Schatzberg, William Friedkin, Paul Schrader et James Gray. Friedkin est le plus intéressant lorsqu’il dit : « La Nouvelle Vague nous a permis d’être nous-mêmes, nous ne pouvions pas importer la NV aux USA, mais elle nous a aidés à nous sentir libres ». Le film de Luc Lagier est précis, convaincant lorsqu’il montre des exemples de cette influence du cinéma français sur le nouveau cinéma américain des années soixante-dix, qui tente de s’émanciper des Studios. Il utilise des extraits des Quatre Cents Coups et d’A bout de souffle pour prouver l’influence que des acteurs comme Léaud et Belmondo ont pu exercer sur la génération des Pacino et De Niro. Sans oublier de dire ce que les cinéastes de la NV devaient eux-mêmes au cinéma américain. Nouvelle Vague, vue d’ailleurs sera diffusé sur Arte le 11 mai à 22h20, après Les Quatre Cents Coups de Truffaut.

Dans cette saga de la Nouvelle Vague aux USA, une personne a joué un rôle décisif, quoique discret : Helen Scott. Cette femme assez forte et rieuse travaillait au French Film Office à New York en 1960, lorsque Les Quatre Cents Coups, A bout de souffle, Hiroshima mon amour et d’autres films encore eurent le retentissement et le succès que l’on sait. Elle accueillit Truffaut, Godard, Resnais à New York, servit d’interprète entre ces cinéastes et les critiques ou journalistes américains. Elle s’occupa tout particulièrement de Truffaut, dont elle adorait les films, lui fit rencontrer David Goodis, et c’est avec elle qu’il entreprit ses fameux entretiens avec Hitchcock en août 1962 à Hollywood. Elle s’installa à Paris en 1965, quand Truffaut réalisa en anglais Fahrenheit 451, travailla aussi avec Claude Berri et fut très liée à Jean-Pierre Rassam. On ne dira jamais assez ce que le cinéma français de cette période des années soixante doit à Helen Scott, disparue en novembre 1987. Sa tombe au cimetière Montmartre est voisine de celle de son ami François Truffaut.