Palme d’or à Michael Haneke

A la fin de la projection du film de Michael Haneke, Le Ruban blanc, jeudi dernier à quatorze heures trente, dans l’Auditorium Lumière à Cannes, j’ai dit à l’oreille de Laurence, ma voisine, d’un ton assuré : ce film aura la Palme d’or. Elle ne m’a pas cru et pourtant j’ai eu raison. Question d’expérience. De flair, surtout. Le film de Haneke est splendide, profond, filmé à la bonne distance. Haneke a toujours été un bon dramaturge, mais là il se surpasse et son regard est implacable, sans pour autant se faire juge. Le Ruban blanc est à ce jour son meilleur film. Isabelle Huppert, qui a déjà tourné deux fois avec lui, a su reconnaître le talent et convaincre son jury. Je pensais aussi que cette Palme d’or arriverait au bon moment pour couronner la carrière de Michael Haneke. Déjà récompensé par des prix dans divers festivals, ayant permis à Isabelle Huppert d’obtenir son deuxième prix d’interprétation en 2001 pour son rôle dans La Pianiste, il manquait au cinéaste autrichien la consécration suprême. Celle-ci arrive au bon moment. La force de son film tient aussi à l’universalité du sujet abordé : comment le Mal s’installe et se distille à travers les mailles les plus infimes d’une communauté villageoise allemande, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Haneke traite le sujet par le détail, en s’arrêtant sur les traits les plus infimes et les plus secrets qu’épouse le Mal, toutes classes confondues. Sans jamais trop s’appesantir. Chaque plan est d’une grande beauté plastique, dans un noir et blanc qui déploie toutes ses nuances et fait de chaque image comme une gravure ; le jeu des comédiens, celui des enfants surtout, la belle langue parlée, le principe de narration (la voix off de l’instituteur, lui-même partie prenante dans l’histoire), la maîtrise ou rigueur de la mise en scène, font du film une œuvre qui restera. C’est ce que j’ai ressenti en voyant le film.

Vendredi dernier j’étais invité à l’émission d’Ali Baddou sur France Culture, en compagnie de Michel Ciment, pour évoquer les cinquante ans de la Nouvelle Vague. En fin d’émission, l’animateur nous demanda – nous avions été rejoints par Jean-Michel Frodon, directeur des Cahiers du cinéma, et Alain Kruger, producteur de l’émission Le Cercle – d’établir un pronostic pour la Palme d’or. Les autres citèrent plusieurs films, tous respectables au demeurant, quand je n’en citai qu’un seul, celui de Haneke. Ayant fait partie du jury à Cannes en 1992, j’ai appris (à mes dépens) qu’il ne faut jamais citer plusieurs films à la fois ou s’emballer pour plusieurs, mais plutôt tout miser sur un seul. Et s’y tenir. Pour les raisons que j’ai dites, le film de Michael Haneke me paraissait avoir toutes les qualités pour gagner. Je n’en tire évidemment aucune vanité. A Cannes tout se joue dans un mouchoir. D’autres films pouvaient prétendre à la même récompense, je pense au film de Jacques Audiard, Le Prophète, donné largement favori par la majorité des journalistes et critiques – ce qui n’est pas toujours bon signe. Entre Le Ruban blanc et Le Prophète (Grand prix du Jury), il y a me semble-t-il une nuance, infime, mais qui fait la différence : ces deux films ne touchent pas au même point de sensibilité, ni au même point d’universalité. La dimension féminine est absente du film d’Audiard. On me dira que c’est parce que le film se déroule entièrement ou presque dans une prison d’hommes. C’est vrai. Il n’empêche que cette sensibilité féminine relève aussi d’autre chose, du regard que l’on porte sur les hommes et sur leurs actes. Elle peut aussi s’inscrire de manière quasi imperceptible à travers la mise en scène. Ce n’est pas le cas du film d’Audiard. A discuter.

Nous avions décidé, bien avant le 62è Festival de Cannes, avec Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque, de rendre hommage à Michael Haneke en octobre prochain. Nous projetterons Le Ruban blanc en avant-première le 19 octobre, deux jours avant sa sortie en salle (le film est distribué par Les films du Losange), en présence du cinéaste. Et la rétrospective de son œuvre débutera le 21. Ce sera l’occasion de revoir tous les films de M. Haneke et de dialoguer avec lui. Haneke est un cinéaste très intelligent, précis, qui parle de mise en scène avec une économie de mots, un peu comme ses films. Et surtout, il refuse la psychologie, ne l’admet pas comme une catégorie, disons, explicative. Pour lui le cinéma est d’abord une affaire de mise en scène. Nous sommes très heureux de l’accueillir bientôt à la Cinémathèque.

 

5 Réponses à “Palme d’or à Michael Haneke”

  1. Vince Vint@ge a écrit :

    Certes, on peut bien vous croire, et on prend plaisir à vous lire, mais vos propos prendraient plus de force, genre Madame Soleil Superstar !, si vous aviez posté ce post, avec votre pronostic gagnant (Palme d’Or :  » Le Ruban blanc « ), non pas APRES les résultats des courses mais AVANT : avant dimanche 24 mai, 19h30. Question cérémonie, beaucoup aimé le  » Je vous imagine courant nue dans des champs de lotus  » par le pince-sans-rire Edouard Baer, mots adressés à une beauté asiatique faisant escale sur le tapis rouge du Palais des Festivals.

    A part ça, la rétrospective Haneke à venir à la Tek est une très bonne chose. (En même temps, je le trouve assez surestimé Haneke, et il enfonce de ces portes ouvertes par moments, grave !) NB : et le  » lot de consolation  » pour Resnais, un si grand cinéaste, me gêne un tant soit peu. Quant à Almodovar, il semble devoir rester à jamais le définitif Raymond Poulidor de la Croisette.

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Ouais, pas très généreux votre message. Samedi je me suis reposé à Paris. Et j’ai pris l’avion le soir tard. Dimanche je me suis baladé dans Buenos Aires. Lundi j’ai commencé à bosser en assistant au congrès de la FIAF. Et j’ai « posté » mon blog dans la journée. Qu’est-ce que ça change d’écrire avant ou après le palmarès de Cannes ? Le Festival n’est pas un concours hippique…
    Ce que vous dîtes de Michael Haneke est assez superficiel. Pour ma part je suis enchanté que la Cinémathèque organise une rétrospective de ses films en octobre prochain. D’autant qu’il sera présent. J’ai assisté à la projection du film de Resnais à Cannes: la salle lui a fait une longue ovation avant le film et après. Resnais le mérite amplement car il est l’un des cinéastes « modernes » qui a le plus fait bouger les lignes ou la grammaire du cinématographie depuis plus de cinquante ans. Son film, « Les Herbes folles », à la fois léger et grave, explore des zones secrètes de l’inconscient avec humour, et Resnais filme la rencontre entre deux personnages (ou quatre) comme personne, en étirant le temps, en en faisant une chose plastique. Il est aussi le seul cinéaste au monde à faire preuve d’une vraie humilité en signant au générique : Réalisation : Alain Resnais. Pedro Almodovar n’a pas été retenu au palmarès. Ce n’est pas très important car ce qui me paraît évident, c’est qu’il construit de film en film une oeuvre cinématographique qui prend de l’ampleur, de l’épaisseur. Son dernier est plus grave, plus sombre que les précédents. Et Raymond Poulidor n’était pas un mauvais coureur, il avait du coeur et de l’abnégation… S.T.

  3. Philippe a écrit :

    3 petites remarques :
    – Devons-nous comprendre que vous avez vu tous les films en sélection ? Bravo alors pour votre professionnalisme et votre cinéphilie. Un grand nombre de journalistes/critiques devrait en prendre de la graine. Je suis souvent affligé par les comptes-rendus qui sont donnés pour chaque film, en particulier en fin de festival.
    – Une rétrospective Haneke à la Cinémathèque est amplement justifiée.
    Comme Pasolini et d’autres avant lui, il est un cinéaste essentiel de par la représentation qu’il nous donne du monde tel qu’il va.
    Mais est-ce le bon moment ? Il faut constater que beaucoup de grands cinéastes sombrent dans l’oubli total. (Récemment au cours d’une discussion avec un jeune helvète, j’en suis venu à lui expliquer qui était Jean-Luc Godard … il ne savait pas du tout qui il était !!!)
    Je trouve ici que Haneke n’est pas le plus mal loti : il est présent dans les médias (merci le festival de Cannes), et ses films sont accessibles à un assez grand nombre dans les salles, en DVD et à la TV (merci Arte).
    Est-ce que cette rétrospective ne pouvait pas un petit peu attendre ?
    – Haneke « refuse la psychologie » dites-vous ? Mais alors qu’est-ce que toutes les peurs, les névroses, les obsessions, les folies qui s’emparent des personnages de tous ses films.
    Ce ne serait pas ça de la psychologie ?

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Non je n’ai pas vu tous les films de la compétition à Cannes, loin de là. Faute de temps.
    Rétrospective consacrée à Michael Haneke en octobre 2009 à la Cinémathèque : la décision a été prise bien avant que le cinéaste obtienne la Palme d’or avec « Le Ruban blanc ». Pourquoi attendre ? Et qu’est-ce que serait « le bon moment » ? Il nous semble au contraire que ce cinéaste arrive à un point de maturité artistique, ce dont témoigne en quelsue sorte la récompense. M. Haneke refuse l’explication psychologique et préfère parler de mise en scène : la peur, les obsessions, les folies ou les névroses dans ses films s’ancrent d’abord dans la mise en scène et le regard du cinéma (et du cinéaste) sur les personnages. Plus que dans une psychologie. Godard oublié ? Sûrement pas ! Il est dans l’Histoire du cinéma et dans tous les dictionnaires du monde entier… Et la Cinémathèque vient de restaurer « Pierrot le fou », avec Studio Canal (et l’aide du Fonds Culturel Franco-Américain)… S.T.

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