Archive pour le 16.01.2009

Tout Tanner à la Cinémathèque

vendredi 16 janvier 2009

Alain Tanner est l’invité de la Cinémathèque française, à l’occasion d’une rétrospective complète de son œuvre. Mercredi, lors de la soirée d’ouverture, était projeté son film sans doute le plus connu : Jonas qui aura vingt-cinq ans en l’an 2000 (avec une pléiade d’acteurs : Miou-Miou, Myriam Boyer, Rufus, Jean-Luc Bideau, Myriam Mézières, Roger Jendly, Jacques Denis, Dominique Labourier, Raymond Bussières). Pour rappeler qui est Alain Tanner, je crois utile de citer les titres des vingt films qu’il a réalisés, titres tous poétiques, car Tanner cinéaste a toujours eu le souci de la langue.

Charles mort ou vif (1969), La Salamandre (1971), Le Retour d’Afrique (1973), Le Milieu du monde (1974), Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), Messidor (1979), Les Années lumière (1981), Dans la ville blanche (1983), No Man’s Land (1985), Une flamme dans mon cœur (1987), La Vallée fantôme (1987), La Femme de Rose Hill (1989), L’Homme qui a perdu son ombre (1991), Le Journal de Lady M (1993), Les Hommes du port (1995), Fourbi (1996), Requiem (1998), Jonas et Lila, à demain (1999), Fleurs de sang (2002), Paul s’en va (2004). Tous ces films sont programmés à la Cinémathèque, jusqu’au 15 février prochain. Nous allons montrer aussi quelques-uns des nombreux documentaires que Tanner a réalisés pour la Télévision suisse romande, dans les années 60 : Docteur B., médecin de campagne (1968), La Vie comme ça (1970), Le Pouvoir dans la rue (1968), filmé en plein Mai 68 dans les rues de Paris. Demain, samedi 17 janvier, Alain Tanner sera présent pour une « Leçon de cinéma », juste après la projection à 14h 30 d’un beau documentaire que lui a consacré Pierre Maillard : Alain Tanner, pas comme si, comme ça (2007). Ce soir vendredi, Alain Tanner viendra présenter un de ses plus beaux films, Dans la ville blanche, et participera à une discussion en public avec Paolo Branco, qui produisit le film en 1982. Samedi 24 janvier, c’est Myriam Mézières, avec qui Alain Tanner a réalisé trois films (Une flamme dans mon coeur, Le Journal de Lady M et Fleurs de sang), qui viendra chanter, puis dialoguer avec le public, juste après la projection d’Une flamme dans mon cœur. Enfin dimanche 15 février à 14h 30, nous avons convié deux amis, deux personnalités qui ont accompagné en partie le travail de Tanner cinéaste : Antonio Tabucchi, dont le roman Requiem a été adapté au cinéma par Tanner, et Bernard Comment, scénariste du film, éditeur au Seuil. Rappelons que Tanner a écrit un bel ouvrage sur sa vie de cinéaste : Ciné-Mélanges (Seuil, collection Fiction & et Cie). Cette rétrospective est utile car elle va permettre de réévaluer l’œuvre d’un cinéaste important. Cela peut paraître présomptueux mais je le pense. Au début des années 70, les premiers films d’Alain Tanner, Charles mort ou vif, La Salamandre (avec la sublime Bulle Ogier, entourée de deux acteurs suisses épatants, Jean-Luc Bideau et Jacques Denis), suivis deux autres films post-68 : Le Retour d’Afrique et Le Milieu du monde, ont apporté un courant d’air frais, une liberté nouvelle dans le cinéma. La Salamandre est resté de nombreux mois à l’affiche d’un cinéma à Paris, le St-André-des-Arts, animé par Roger Diamantis. Succès phénoménal. On a alors parlé d’une « nouvelle vague suisse », il y avait de ça en effet, car tout d’un coup, en pleine période de reflux post-68 et de dogmatisme idéologique, le cinéma de Tanner nous parlait autrement, les idées et les mots circulaient, il y avait de la légèreté, sans parler des affects. Ses films nous ont aidés à quitter le vieux monde. A aimer les idées pour ce qu’elles sont : juste des idées, et pas toujours des idées justes. A voyager, à prendre la tangente (revoir ce beau film avec Bruno Ganz : Dans la ville blanche). Tanner a incroyablement bien filmé la parole, le discours, avec une mise en scène distanciée (Brecht était une référence incontournable à cette période pour qui voulait interroger le théâtre ou le cinéma, et la place du spectateur) ; et il a aussi bien filmé le silence, le temps suspendu, l’utopie, les lignes de fuite. Au cinéma de l’illusion, Tanner a préféré mettre en œuvre un cinéma de la désillusion. Avec les risques que cela comporte. Ses films ont été synchrones avec le mouvement des idées, avec la contestation, mais celle-ci se préoccupait d’abord et avant tout du langage : les films de Tanner parlent une belle langue. Par la suite, Tanner a réalisé des films plus grinçants. Mais ce grincement fait partie de sa vision du monde. Aujourd’hui il faut tout revoir, et tout réévaluer. Ce dont je suis sûr c’est que l’ensemble est cohérent, fidèle à une certaine idée du cinéma. Et, dans le contexte actuel, chaque film reprend de la couleur, ce qui prouve que Tanner a toujours bien « senti » son époque.

Vers l’âge de vingt ans Tanner a été marin, il a quitté Genève, sa ville natale (là où il réside aujourd’hui) pour s’embarquer à Gênes sur des cargos. Puis il a été vivre quelque temps à Londres, vers la fin des années cinquante, en plein boum de ce qu’on a appelé le « Free Cinema » : les films de Tony Richardson, Karel Reisz, Lindsay Anderson. De retour en Suisse, il a réalisé quelques courts métrages, puis travaillé à la télévision, avant de devenir pleinement cinéaste. Tanner dit qu’il a exercé deux métiers impossibles en Suisse : marin et cinéaste. J’ignore s’il est encore un marin, mais cinéaste, oui : il l’est et il l’a été. Dans ses vingt films, les personnages sont nombreux, multiples, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes. Tanner les a tous aimés, cela se sent dans chacun des films. Il les a accompagnés, chacune et chacun, dans leur trajectoire. Les femmes, il les a bien filmées – de Bulle Ogier à Juliet Berto, en passant par Olimpia Carlisi, Myriam Mézière, Karin Viard, Laura Morante, Angela Molina ou Aïssa Maïga.