Archive pour le 12.01.2009

Claude Berri est mort

lundi 12 janvier 2009

Claude Berri est mort dans la matinée, des suites d’un accident vasculaire cérébral. Il avait 74 ans. L’homme n’était pas en bonne santé, ayant subi un premier accident cérébral il y a deux ans, dont il s’était remis très lentement au point d’envisager d’entreprendre un nouveau film. Hospitalisé dans la nuit de samedi à La Pitié-Salpêtrière, il n’a pas survécu.

Les hommages affluent de partout, suscités par l’émotion ou l’admiration. Claude Berri n’était pas n’importe qui dans le paysage du cinéma et des arts en France. Il avait une personnalité, une stature, un pouvoir et un rayonnement à peu près inégalés. Pour ma part, j’ai fréquenté Claude Berri durant plusieurs mois, alors qu’il présidait la Cinémathèque française. Son mandat de président débuta en septembre 2003, Claude Berri l’a exercé autant qu’il a pu le faire jusqu’à ce que sa santé l’en empêche. En juin 2007 il a été remplacé par Costa-Gavras. Pendant toute cette période j’ai observé de près cet homme, passionné, impatient, tantôt affable, tantôt bourru, qui avait l’humeur chiffonnée, ce qui ne l’empêchait pas de manifester une très grande volonté dans la réalisation de ses désirs. A une époque où le sort de la Cinémathèque était en train de se jouer, c’est-à-dire au moment de l’installation rue de Bercy dans le bâtiment construit par Frank Gehry, que le ministère de la Culture s’était décidé à nous confier, Claude Berri a pesé de tout son poids. Ce qui n’est pas rien, étant donné son prestige et son pouvoir. Respecté du ministre – dans un premier temps Jean-Jacques Aillagon, puis Renaud Donnedieu de Vabres -, Claude Berri visita à plusieurs reprises le bâtiment alors en travaux. Il employa des arguments simples, s’appuyant sur le trajet de la lumière au sein du bâtiment, pour que la Cinémathèque française puisse concevoir des expositions temporaires ambitieuses à même d’attirer un large public. Claude Berri voyait grand. De la même manière qu’il voyait grand lorsqu’il était producteur de films, les siens ou ceux des autres. Il n’avait aucune inhibition, aucun préjugé, aucun tabou. Il se servait de l’argent pour faire, pour produire, ou pour acheter des œuvres d’art. Avec lui, on gagnait du temps en allant à l’essentiel. Pas de salamalec. Une forme d’impudeur naturelle, qui pouvait gêner dans un premier temps, mais à laquelle on s’habituait. L’homme était ainsi fait, instinctif, confiant dans son premier regard et dans son premier jugement. L’idée d’une exposition consacrée aux Renoir, père et fils – Pierre-Auguste le peintre, et Jean le cinéaste – est de lui. Il m’en parla, puis mit dans la confidence Serge Lemoine, alors président du musée d’Orsay, et l’affaire était faite. Cette exposition devait ouvrir la nouvelle Cinémathèque de Bercy, avec le succès que l’on sait, en septembre 2005. L’idée d’une exposition consacrée ou dédiée à Pedro Almodovar est aussi née dans la tête de Claude Berri. Nous le lui devons. Après, il déléguait, faisait confiance.

Je me souviendrai toute ma vie de ses coups de fil, souvent le samedi matin à l’aube :

– Serge, il faut faire l’Inde !- Oui Claude.- Il faut faire l’Inde !- Qu’entendez-vous par là ?- Il faut montrer des films indiens pour accompagner une exposition…- Dites m’en plus.- Vous n’êtes pas allé à Lille ?- Non pas encore.- Il faut que vous alliez à Lille, dès que possible, pour voir…   

C’était à l’époque de Lille 2004, capitale européenne, la ville du Nord s’était convertie à la photo indienne, aux arts plastiques et à la musique indienne. Toute la ville vivait et respirait aux rythmes indiens. Claude Berri s’y était rendu parmi les premiers, curieux de découvrir de nouveaux artistes indiens, achetant au passe nombre d’œuvres.

Il m’avait avoué que sa vraie passion était la peinture, les arts plastiques. Il mettait la peinture au-dessus du cinéma. Du moins dans la dernière période de sa vie. Il me disait aussi : Vous savez, je ne connais rien à l’histoire du cinéma ! J’avais du mal à le croire, mais je crois que c’était vrai, sincère. Il avait un rapport direct, au présent, avec les films, les siens et ceux qu’il produisait, sans arrière fond, sans culture cinéphile. Etait-ce un défaut ? Je n’en suis pas certain. Il avait une relation tellement instinctive aux choses, aux objets, il prenait ses décisions de manière si rapide, si instinctive, qu’une connaissance plus approfondie du cinéma l’aurait plutôt dérangé. Du même coup il faisait confiance. Il vous l’accordait, ça durait le temps que ça durait, puis il passait à autre chose. Là où son instinct et son regard l’entraînaient.

Je n’ai pas eu de relation avec les autres facettes du personnage, celle du cinéaste, de l’acteur, et celle du producteur. Un jour je me souviens l’avoir vu chez lui, rue de Lille, en train de me dire : « J’ai perdu beaucoup d’argent sur un film, trois millions d’euros, il faut que je vende une œuvre ». Je restai là interloqué. Il disait cela sans trembler, sans pathos, de manière simple, comme un joueur qui a perdu la mise mais qui compte bien se refaire. Quelques mois plus tard il s’était refait.

Un vendredi soir je l’appelle en sortant des Trois Luxembourg où je venais de voir L’Esquive, le film d’Abdellatif Kechiche. J’appelle Claude Berri pour lui rappeler un rendez-vous important prévu le lundi suivant à dix heures avec le ministre de la culture, pour discuter du budget de la Cinémathèque. Et je lui dis ceci en passant :

– Claude, vous devriez aller voir ce film, L’Esquive, c’est vraiment formidable !

Le lundi matin nous nous retrouvons comme convenu dans l’antichambre du ministère de la Culture, rue de Valois. En attendant notre rendez-vous, je demande à Claude Berri :

– Claude, avez-vous été voir le film de Kechiche ?- Oui, et j’ai signé pour trois films. C’est dans la lignée du cinéma de Jacques Rozier.

J’étais interloqué.