Tout Tanner à la Cinémathèque

Alain Tanner est l’invité de la Cinémathèque française, à l’occasion d’une rétrospective complète de son œuvre. Mercredi, lors de la soirée d’ouverture, était projeté son film sans doute le plus connu : Jonas qui aura vingt-cinq ans en l’an 2000 (avec une pléiade d’acteurs : Miou-Miou, Myriam Boyer, Rufus, Jean-Luc Bideau, Myriam Mézières, Roger Jendly, Jacques Denis, Dominique Labourier, Raymond Bussières). Pour rappeler qui est Alain Tanner, je crois utile de citer les titres des vingt films qu’il a réalisés, titres tous poétiques, car Tanner cinéaste a toujours eu le souci de la langue.

Charles mort ou vif (1969), La Salamandre (1971), Le Retour d’Afrique (1973), Le Milieu du monde (1974), Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), Messidor (1979), Les Années lumière (1981), Dans la ville blanche (1983), No Man’s Land (1985), Une flamme dans mon cœur (1987), La Vallée fantôme (1987), La Femme de Rose Hill (1989), L’Homme qui a perdu son ombre (1991), Le Journal de Lady M (1993), Les Hommes du port (1995), Fourbi (1996), Requiem (1998), Jonas et Lila, à demain (1999), Fleurs de sang (2002), Paul s’en va (2004). Tous ces films sont programmés à la Cinémathèque, jusqu’au 15 février prochain. Nous allons montrer aussi quelques-uns des nombreux documentaires que Tanner a réalisés pour la Télévision suisse romande, dans les années 60 : Docteur B., médecin de campagne (1968), La Vie comme ça (1970), Le Pouvoir dans la rue (1968), filmé en plein Mai 68 dans les rues de Paris. Demain, samedi 17 janvier, Alain Tanner sera présent pour une « Leçon de cinéma », juste après la projection à 14h 30 d’un beau documentaire que lui a consacré Pierre Maillard : Alain Tanner, pas comme si, comme ça (2007). Ce soir vendredi, Alain Tanner viendra présenter un de ses plus beaux films, Dans la ville blanche, et participera à une discussion en public avec Paolo Branco, qui produisit le film en 1982. Samedi 24 janvier, c’est Myriam Mézières, avec qui Alain Tanner a réalisé trois films (Une flamme dans mon coeur, Le Journal de Lady M et Fleurs de sang), qui viendra chanter, puis dialoguer avec le public, juste après la projection d’Une flamme dans mon cœur. Enfin dimanche 15 février à 14h 30, nous avons convié deux amis, deux personnalités qui ont accompagné en partie le travail de Tanner cinéaste : Antonio Tabucchi, dont le roman Requiem a été adapté au cinéma par Tanner, et Bernard Comment, scénariste du film, éditeur au Seuil. Rappelons que Tanner a écrit un bel ouvrage sur sa vie de cinéaste : Ciné-Mélanges (Seuil, collection Fiction & et Cie). Cette rétrospective est utile car elle va permettre de réévaluer l’œuvre d’un cinéaste important. Cela peut paraître présomptueux mais je le pense. Au début des années 70, les premiers films d’Alain Tanner, Charles mort ou vif, La Salamandre (avec la sublime Bulle Ogier, entourée de deux acteurs suisses épatants, Jean-Luc Bideau et Jacques Denis), suivis deux autres films post-68 : Le Retour d’Afrique et Le Milieu du monde, ont apporté un courant d’air frais, une liberté nouvelle dans le cinéma. La Salamandre est resté de nombreux mois à l’affiche d’un cinéma à Paris, le St-André-des-Arts, animé par Roger Diamantis. Succès phénoménal. On a alors parlé d’une « nouvelle vague suisse », il y avait de ça en effet, car tout d’un coup, en pleine période de reflux post-68 et de dogmatisme idéologique, le cinéma de Tanner nous parlait autrement, les idées et les mots circulaient, il y avait de la légèreté, sans parler des affects. Ses films nous ont aidés à quitter le vieux monde. A aimer les idées pour ce qu’elles sont : juste des idées, et pas toujours des idées justes. A voyager, à prendre la tangente (revoir ce beau film avec Bruno Ganz : Dans la ville blanche). Tanner a incroyablement bien filmé la parole, le discours, avec une mise en scène distanciée (Brecht était une référence incontournable à cette période pour qui voulait interroger le théâtre ou le cinéma, et la place du spectateur) ; et il a aussi bien filmé le silence, le temps suspendu, l’utopie, les lignes de fuite. Au cinéma de l’illusion, Tanner a préféré mettre en œuvre un cinéma de la désillusion. Avec les risques que cela comporte. Ses films ont été synchrones avec le mouvement des idées, avec la contestation, mais celle-ci se préoccupait d’abord et avant tout du langage : les films de Tanner parlent une belle langue. Par la suite, Tanner a réalisé des films plus grinçants. Mais ce grincement fait partie de sa vision du monde. Aujourd’hui il faut tout revoir, et tout réévaluer. Ce dont je suis sûr c’est que l’ensemble est cohérent, fidèle à une certaine idée du cinéma. Et, dans le contexte actuel, chaque film reprend de la couleur, ce qui prouve que Tanner a toujours bien « senti » son époque.

Vers l’âge de vingt ans Tanner a été marin, il a quitté Genève, sa ville natale (là où il réside aujourd’hui) pour s’embarquer à Gênes sur des cargos. Puis il a été vivre quelque temps à Londres, vers la fin des années cinquante, en plein boum de ce qu’on a appelé le « Free Cinema » : les films de Tony Richardson, Karel Reisz, Lindsay Anderson. De retour en Suisse, il a réalisé quelques courts métrages, puis travaillé à la télévision, avant de devenir pleinement cinéaste. Tanner dit qu’il a exercé deux métiers impossibles en Suisse : marin et cinéaste. J’ignore s’il est encore un marin, mais cinéaste, oui : il l’est et il l’a été. Dans ses vingt films, les personnages sont nombreux, multiples, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes. Tanner les a tous aimés, cela se sent dans chacun des films. Il les a accompagnés, chacune et chacun, dans leur trajectoire. Les femmes, il les a bien filmées – de Bulle Ogier à Juliet Berto, en passant par Olimpia Carlisi, Myriam Mézière, Karin Viard, Laura Morante, Angela Molina ou Aïssa Maïga.

10 Réponses à “Tout Tanner à la Cinémathèque”

  1. alre a écrit :

    Lorsque j’ai vu hier soir ce grand bonhomme évoquer son dernier (dernier ?) film où Paul s’en va comme par hasard, j’ai ressenti une immense tristesse.
    Pourtant, de l’énergie, il y en a dans ce film (et les autres), de la tendresse aussi pour tout ces personnages traités à quasi égale distance. De la lucidité, de plus en plus…
    Il y a longtemps, j’étais forcément jeune, j’ai vu dans une petite salle « Dans la ville blanche » et ce film restera mon préféré. Les déambulations du marin Bruno Ganz allaient me faire venir à Lisboa bien des années après. Y rencontrer des êtres chers et m’y lier pour toujours.
    Hier soir, j’entends encore la voix de Tanner ironiser terriblement sur un journal qui souhaitait sa disparition annoncée…
    Alain T., prend exemple sur le vieux Portugais, toujours en piste… ajoute encore un vrai film à celui-ci : ta vision et ta parole me sont nécessaires.
    ALRE.

  2. Pierre a écrit :

    Merci à la cinémathèque de nous faire redécouvrir Alain Tanner. J’ai vu qu’un festival se tenait à Vincennes fin janvier début février et qu’un hommage sera fait à Georges franju, je voulais le mentionner ici car cet homme n’a à mon goût jamais reçu les honneurs qu’il méritait.
    Rencontres de Vincennes : http://cinema.vincennes.fr
    Site du festival : http://www.vincennes.fr/ressources/10390/54/13659.pdf
    Avec l’espoir de vous y croiser.
    Pierre

  3. Vince Vint@ge a écrit :

    Tout Tanner, c’est autrement bon.
    ST :  » (…) Tanner dit qu’il a exercé deux métiers impossibles en Suisse : marin et cinéaste.  »
    Alors, c’est à lui qu’on devrait confier la réalisation d’un  » En pleine tempête II  » ou d’un  » Titanic n°2 « . Aux producteurs d’y penser, all over the world, et pas seulement qu’en Suisse.
    A part ça, j’ai vu récemment à la téloche le film  » Bienvenue en Suisse « . Beaucoup aimé. Et beaucoup ri.

  4. walt a écrit :

    Pardon, ne rentre pas dans l’argumentation sur Tanner… j’ai écrit à la Cinémathèque mais sans réponse pour l’instant. Il y a des bruits (lu dans facebook) qu’il aura une exposition Jacques Tati en 2009. Je ne sais pas si c’est vrai mais j’aimerais savoir les dates. Merci de votre travail et comme nostalgique de tout ce que est disparu et inaccessible, j’aimerais savoir s’il y aura une diffusion à un public plus large des émissions sur Truffaut. Merci de votre reponse. Walt

  5. Serge Toubiana a écrit :

    Oui, il y aura une exposition consacrée à Jacques Tati à la Cinémathèque : « Tati, deux temps trois mouvements », à partir du 9 avril 2009. Je peux vous dire qu’elle promet… Cette exposition a été confiée à Macha Makeïeff, commissaire et scénographe, ainsi qu’à Stéphane Goudet, bon spécialiste de l’oeuvre de Tati.
    Quant aux émissions sur François Truffaut, j’ignore si elles feront l’objet d’une rediffussion. S.T.

  6. mitch a écrit :

    Bonjour
    Je voulais vous signaler que depuis quelque temps, j’ai l’impression que la qualité technique des projections de la Cinémathèque tend à se dégrader avec des coupures intempestives et des retards dans les débuts des séances. Je sais bien que l’état de la copie du film peut être à l’origine d’une interruption mais j’ai constaté durant ces dernières semaines de nombreuses incidents techniques. Ce qui me fait enrager c’est que les retards que cela engendre me font parfois sauter des films qui m’intéressaient, en particulier ceux d’Alain Tanner, quand je veux enchaîner plusieurs séances. Je n’ai pas toute la flexibilité pour me rattraper sur des séances programmées l’après-midi étant donné que je travaille. Suis-je le seul à faire ce constat sur la qualité technique des projections ? Merci à vous.

  7. KIT Maryse a écrit :

    quels merveilleux moments….. films après films, rencontre après rencontre, Tanner fort de sa bonté nous dit du monde de la beauté et des idées… on l’avait presque oublié à force de survivre au quotidien dans le monde de l’argent et de la rentabilité…. et pour clore cette rétrospective, la magie et le « rêve blanc » de Tabucchi….
    J’ai fait un rêve….. Il y aurait aussi des humains dont les mots et les images nous rappellent à la sorcellerie de l’art…. Merci. Encore.
    PS: et il y aura un moyen de revoir cette rencontre entre Tanner, Comment et Tabucchi ?

  8. Damien Aubanton a écrit :

    Bonjour Monsieur Toubiana. Nous hésitons ces dernières heures, pour une séance de notre ciné-club consacrée au steadicam, avec démonstration, à projeter le film « Requiem » de Alain Tanner, dont nous ne trouvons malheureusement que peu d’échos. Qu’en avez-vous pensé ? Est-ce un « grand film »…? Je cherche aussi une page web de référence avec des appréciations sur ce film.
    Cordialement

  9. Serge Toubiana a écrit :

    Je vous recommande de lire le livre d’Alain Tanner, Ciné-mélanges, paru au Seuil dans la collection Fiction & Cie.La filmographie complète de Tanner est brillamment commentée par Frédéric Bas. Requiem est un film adapté du roman de Tabucchi, se déroule à Lisbonne, inspiré par Pessoa. C’est un film sur des fantômes, des apparitions ou des revenants. J’aime beaucoup le film, mais je le vois mal « illustrer » un débat consacré au steadicam. A vous de voir.

  10. Damien Aubanton a écrit :

    ce fut une soirée réussie ! Elle reposait sur l’intérêt de la découverte de ce procédé à travers des démonstrations. cf. ici http://ladulcine.org/saisonencours.html
    Il est vrai que le film, « Requiem », finalement retenu, a « pesé » pour plusieurs spectateurs, mais il était une très bonne illustration technique !
    Jacques Monge fut notre ange et l’aventure profitable !
    Cordialement Monsieur Toubiana.