Claude Berri est mort

Claude Berri est mort dans la matinée, des suites d’un accident vasculaire cérébral. Il avait 74 ans. L’homme n’était pas en bonne santé, ayant subi un premier accident cérébral il y a deux ans, dont il s’était remis très lentement au point d’envisager d’entreprendre un nouveau film. Hospitalisé dans la nuit de samedi à La Pitié-Salpêtrière, il n’a pas survécu.

Les hommages affluent de partout, suscités par l’émotion ou l’admiration. Claude Berri n’était pas n’importe qui dans le paysage du cinéma et des arts en France. Il avait une personnalité, une stature, un pouvoir et un rayonnement à peu près inégalés. Pour ma part, j’ai fréquenté Claude Berri durant plusieurs mois, alors qu’il présidait la Cinémathèque française. Son mandat de président débuta en septembre 2003, Claude Berri l’a exercé autant qu’il a pu le faire jusqu’à ce que sa santé l’en empêche. En juin 2007 il a été remplacé par Costa-Gavras. Pendant toute cette période j’ai observé de près cet homme, passionné, impatient, tantôt affable, tantôt bourru, qui avait l’humeur chiffonnée, ce qui ne l’empêchait pas de manifester une très grande volonté dans la réalisation de ses désirs. A une époque où le sort de la Cinémathèque était en train de se jouer, c’est-à-dire au moment de l’installation rue de Bercy dans le bâtiment construit par Frank Gehry, que le ministère de la Culture s’était décidé à nous confier, Claude Berri a pesé de tout son poids. Ce qui n’est pas rien, étant donné son prestige et son pouvoir. Respecté du ministre – dans un premier temps Jean-Jacques Aillagon, puis Renaud Donnedieu de Vabres -, Claude Berri visita à plusieurs reprises le bâtiment alors en travaux. Il employa des arguments simples, s’appuyant sur le trajet de la lumière au sein du bâtiment, pour que la Cinémathèque française puisse concevoir des expositions temporaires ambitieuses à même d’attirer un large public. Claude Berri voyait grand. De la même manière qu’il voyait grand lorsqu’il était producteur de films, les siens ou ceux des autres. Il n’avait aucune inhibition, aucun préjugé, aucun tabou. Il se servait de l’argent pour faire, pour produire, ou pour acheter des œuvres d’art. Avec lui, on gagnait du temps en allant à l’essentiel. Pas de salamalec. Une forme d’impudeur naturelle, qui pouvait gêner dans un premier temps, mais à laquelle on s’habituait. L’homme était ainsi fait, instinctif, confiant dans son premier regard et dans son premier jugement. L’idée d’une exposition consacrée aux Renoir, père et fils – Pierre-Auguste le peintre, et Jean le cinéaste – est de lui. Il m’en parla, puis mit dans la confidence Serge Lemoine, alors président du musée d’Orsay, et l’affaire était faite. Cette exposition devait ouvrir la nouvelle Cinémathèque de Bercy, avec le succès que l’on sait, en septembre 2005. L’idée d’une exposition consacrée ou dédiée à Pedro Almodovar est aussi née dans la tête de Claude Berri. Nous le lui devons. Après, il déléguait, faisait confiance.

Je me souviendrai toute ma vie de ses coups de fil, souvent le samedi matin à l’aube :

– Serge, il faut faire l’Inde !- Oui Claude.- Il faut faire l’Inde !- Qu’entendez-vous par là ?- Il faut montrer des films indiens pour accompagner une exposition…- Dites m’en plus.- Vous n’êtes pas allé à Lille ?- Non pas encore.- Il faut que vous alliez à Lille, dès que possible, pour voir…   

C’était à l’époque de Lille 2004, capitale européenne, la ville du Nord s’était convertie à la photo indienne, aux arts plastiques et à la musique indienne. Toute la ville vivait et respirait aux rythmes indiens. Claude Berri s’y était rendu parmi les premiers, curieux de découvrir de nouveaux artistes indiens, achetant au passe nombre d’œuvres.

Il m’avait avoué que sa vraie passion était la peinture, les arts plastiques. Il mettait la peinture au-dessus du cinéma. Du moins dans la dernière période de sa vie. Il me disait aussi : Vous savez, je ne connais rien à l’histoire du cinéma ! J’avais du mal à le croire, mais je crois que c’était vrai, sincère. Il avait un rapport direct, au présent, avec les films, les siens et ceux qu’il produisait, sans arrière fond, sans culture cinéphile. Etait-ce un défaut ? Je n’en suis pas certain. Il avait une relation tellement instinctive aux choses, aux objets, il prenait ses décisions de manière si rapide, si instinctive, qu’une connaissance plus approfondie du cinéma l’aurait plutôt dérangé. Du même coup il faisait confiance. Il vous l’accordait, ça durait le temps que ça durait, puis il passait à autre chose. Là où son instinct et son regard l’entraînaient.

Je n’ai pas eu de relation avec les autres facettes du personnage, celle du cinéaste, de l’acteur, et celle du producteur. Un jour je me souviens l’avoir vu chez lui, rue de Lille, en train de me dire : « J’ai perdu beaucoup d’argent sur un film, trois millions d’euros, il faut que je vende une œuvre ». Je restai là interloqué. Il disait cela sans trembler, sans pathos, de manière simple, comme un joueur qui a perdu la mise mais qui compte bien se refaire. Quelques mois plus tard il s’était refait.

Un vendredi soir je l’appelle en sortant des Trois Luxembourg où je venais de voir L’Esquive, le film d’Abdellatif Kechiche. J’appelle Claude Berri pour lui rappeler un rendez-vous important prévu le lundi suivant à dix heures avec le ministre de la culture, pour discuter du budget de la Cinémathèque. Et je lui dis ceci en passant :

– Claude, vous devriez aller voir ce film, L’Esquive, c’est vraiment formidable !

Le lundi matin nous nous retrouvons comme convenu dans l’antichambre du ministère de la Culture, rue de Valois. En attendant notre rendez-vous, je demande à Claude Berri :

– Claude, avez-vous été voir le film de Kechiche ?- Oui, et j’ai signé pour trois films. C’est dans la lignée du cinéma de Jacques Rozier.

J’étais interloqué.

11 Réponses à “Claude Berri est mort”

  1. Jérôme Segal a écrit :

    Merci pour cet hommage et ses anecdotes. Je trouve important de parler aussi de son rapport au judaïsme, à l’origine de sa récente venue à Vienne, cf. http://jsegalavienne.wordpress.com
    ou http://jsegalavienne.wordpress.com/2009/01/12/in-memoriam-claude-langmann-dit-claude-berri/

  2. lucien malle a écrit :

    « Je n’ai pas eu de relation avec les autres facettes du personnage, celle du cinéaste et celle du producteur », Serge Daney qui fût votre ami n’en aura pas dit autant monsieur Toubiana, lui qui fût attaqué en justice par monsieur Berri, par ailleurs cinéaste médiocre, producteur des pires navets du cinéma français, assassin de la cinémathèque française, (avec vous on ne l’oublie pas), « Il pesa de tout son poids, avec des arguments simples, s’appuyant sur le trajet de la lumière au sein du bâtiment, pour que la Cinémathèque française puisse concevoir des expositions temporaires ambitieuses à même d’attirer un large public. Claude Berri voyait grand. De la même manière qu’il voyait grand lorsqu’il était producteur de films, les siens ou ceux des autres. », peut-être que le rôle de la cinémathèque, même si je sais que vous allez répondre sa survie, n’a jamais été d’attirer un large public familial, ça s’appelle plutôt du dévoiement… en ce qui concerne les films produits, citez m’en un de notable, je ne parle pas en terme financier, mais en terme artistique, citez moi un seul film que l’histoire du cinéma retiendra, (ne me citez surtout pas Tess s’il vous plait, personne ne s’en souvient à part vous et deux ou trois programmateurs télé).

  3. Serge Toubiana a écrit :

    Et pourquoi ne pas citer Tess? Cela vous dérange autant que ça ? Ou Valmont de Milos Forman… Vous êtes bien véhément, il me semble. Ce que vous écrivez ressemble à un règlement de compte, ce qui n’était pas dans mon intention. C. Berri, assassin de la Cinémathèque ? Vous n’en donnez aucune preuve, et vous en seriez bien incapable. C’est vrai, je n’ai pas évoqué le différend entre Serge Daney et lui. Par pudeur, mais aussi parce leur querelle remonte à loin, et que je n’ai pas à me poser en justicier. Une fois, j’ai évoqué cette affaire avec Claude Berri, en lui disant que j’avais été ami de Daney, que ce conflit avait meurtri. Claude Berri n’a pas souhaité aller plus loin, mais j’ai senti que lui-même n’était pas très fier. C’est dit avec nuance. Et un peu de tact. Il me semble que vous en manquez singulièrement, de tact. S.T.

  4. Cedric a écrit :

    Concernant les « films notables » en terme « artistique », citons L’Enfance nue de Pialat ou, trente-huit ans plus tard, La Graine et le mulet de Kechiche. Nous pourrions aussi évoquer ses réalisations… Je vous renvoie, cher Lucien Malle, à mon hommage sur mon blog. Vous comprendrez peut-être l’importance de cette personnalité du cinéma.
    Le débat est d’ailleurs ridicule, la question n’ayant pas à se poser.

  5. Un Francais a Hollywood a écrit :

    Merci pour ce bel hommage. Ici, à Hollywood, on a tendance à passer à côté des nouvelles de l’actualité du cinéma français, donc merci pour le blog.

  6. Vince Vint@ge a écrit :

    Claude Berri a aussi un espace d’art contemporain, ouvert récemment : Espace Claude Berri. On a pu voir des expos d’artistes indiens (expo collective) ou de Gilles Barbier. La prochaine sera celle de Stéphane Calais, à partir du 16 janvier 2009.
    J’espère que cet espace perdurera. D’ailleurs, Serge, à tout hasard, le savez-vous ?

    N’étant ni vraiment une galerie (les oeuvres exposées n’étaient pas en général à vendre, elles appartenaient à la collection privée de Claude Berri), ni une fondation ou un musée, c’était plutôt un espace d’art ouvert aux cinq continents et en vue de montrer au monde de l’art et au public, dans son ensemble… C’est tout, les coups de coeur artistiques du collectionneur, avisé, passionné, instinctif, Claude Berri.
    Quant au producteur, bien sûr il y a les derniers Kechiche ou encore  » Tess  » signé Roman Polanski (film d’une grande sensibilité artistique), mais on peut aussi reternir, parmi pas mal de daubes il est vrai !,  » L’Enfance nue « ,  » Tchao Pantin  » (de l’auteur himself),  » Trois places pour le 26 « ,  » Valmont « ,  » La Reine Margot  » ou encore  » Amen « ; puis, des spectacles populaires de qualité : je pense à  » L’Ours  » et à  » L’Amant  » de Jean-Jacques Annaud par exemple. Je l’avais trouvé bon aussi, comme acteur, dans  » Stan the Flasher  » de l’ami Gainsbarre.
    Alors, on peut toujours aboyer, la cara-vanne passera, et certains films resteront. Bref, façon Césars, et histoire de rendre à César ce qui appartient à César, finissons par le sacro-saint  » Merci Claude Berri  » !

  7. walt a écrit :

    C’est un bout de cinéma et un personnage que vont nous manquer. Walt

  8. Pierre Donnadieu a écrit :

    Bonjour Serge
    Je lis tardivement ton excellent papier sur Berri. Je crois que tu évoques très exactement un homme plus complexe et subtil que ce que l’on pense souvent. Parler de « rapport direct, au présent, avec les films, … sans arrière fond, sans culture cinéphile » me paraît très pertinent et me rappelle qu’il fut le producteur et, un temps, le quasi beau-frère de Pialat, grand connaisseur du cinéma, lui, mais, comme Berri, très fort sur le rapport direct. Je crois qu’il y a de vraies ressemblances entre eux.
    Un mot pour évoquer un film de Berri qui n’est pas celui dont on parle le plus, et que j’aime beaucoup : « Mazel tov », film très réussi, assez grinçant derrière une apparence de charmante comédie.

  9. Pierre-Joseph Courbet a écrit :

    Hommage à Claude Berri
    De cette riche et foisonnante filmographie à la fois réalisateur, producteur et acteur, lui qui aimait tant se procurer de la peinture contemporaine et donner en contrepartie au vulgaire du Grand Art cinématographique. De l’élévation. De la spiritualité.
    En toute logique, il voulait donner au cinéma un grand musée de peinture où il aurait pu replacer au fil des expositions sa très riche collection personnelle. Un grand musée d’art contemporain pour la Cinémathèque.
    Pour son musée, il estimait sans doute, en toute modestie, que le cinéma n’était pas suffisamment moderne, qu’il n’avait pas enfanté de grandes oeuvres et qu’elles ne méritaient donc pas d’être montrées au peuple. Il n’y a qu’à regarder pour se faire une idée les collections minimes, presque inexistantes de la Cinémathèque française.
    Ses films à lui étant tellement avant-gardistes, n’ayant pas été suffisamment soutenus par la presse, niés par la critique, ne resteront malheureusement pas dans l’Histoire du cinéma.
    Comme pour saisir la quintessence même de son oeuvre notamment de producteur, la Cinémathèque devrait, pourquoi pas, en guise d’hommage nous passer Bienvenue chez les Cht’is, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ et pour finir en beauté le délicieux Mookie !
    Même s’ils sont certainement passés à de nombreuses reprises en Langlois, pourquoi ne pas les revoir, car on ne s’en lasse pas…
    Tchao Pantin, Salut à toi l’artiste, Salut à la « figure la plus légendaire du cinéma français » (Président Sarkozy) ! Et merci pour votre blog Monsieur Toubiana.
    Amitiés,
    Pierre-Joseph Courbet

  10. Dorothée a écrit :

    Il ne me semble pas, cher Vince, que  » L’enfance nue » de Maurice Pialat soit véritablement, pour reprendre votre terme, une simple « daube ».
    Vous émettez des jugements bien hâtifs.

  11. Vince vint@ge a écrit :

    Dorothée, lisez-moi bien. ‘L’Enfance nue’, dans mon post, n’est pas du tout classé parmi les daubes ! Vérifiez par vous-même et reprenez bien le fil de ma phrase depuis le début. Rassurez-vous, je sais qui est Maurice Pialat. Et, pour la petite histoire, sachez que je considère son  » Van Gogh  » comme l’un des plus grands films de ces vingt dernières années.