Archive pour le 18.03.2008

Jacques Doillon is back

mardi 18 mars 2008

Doillon is back (Le premier venu)

Quand ça va mal, lorsque le moral est bas, que tout ce qui provient du monde extérieur est sinistre ou médiocre, rien de mieux qu’un film, un beau film, pour vous remettre d’aplomb. Le nouveau Doillon, Le premier venu a des vertus incroyables, une sorte d’effet vitamine qui fait que tout d’un coup, le cinéma redevient un territoire magique, enfantin, fascinant, à vif. Des bons films, le cinéma (y compris français) n’en manque pas. Mais des films comme celui-ci sont rares. Très rares. Avec sa fragilité, sa fugacité, son caractère impulsif et vagabond, Le premier venu a tout du film hors normes, non prévu par le logiciel du cinéma français actuel. Il est vrai que Doillon, ces dernières années, s’est fait rare. J’avais beaucoup aimé son film précédent : Raja (2003). L’avant-dernier aussi : Carrément à l’Ouest (2000). Sauf que, de décennie en décennie, Doillon tourne moins. Mauvais signe, mauvais indicateur du cinéma français. Quelques chiffres.

Années 80 : Doillon tourne 9 films – entre La Fille prodigue (1980) et La Vengeance d’une femme (1989). Années 90 : 7 films – entre Le Petit criminel (1990) et Petits frères (1998).

Années 2000 : 3 films à ce jour, Carrément à l’Ouest, Raja et Le premier venu. Quelque chose, le système comme on dit, la machine à financer, à fabriquer, à diffuser des films, ne le considère plus en odeur de sainteté. Doillon est carrément contraint de faire la manche pour réaliser ses films. Mais, étant fier et valeureux, il se met de côté. Mange de la vache enragée en attendant des jours meilleurs. Au moment où la Cinémathèque française lui rendait hommage, en octobre 2006, je le voyais ruminant sa solitude, ayant beaucoup de peine à entrouvrir les portes d’interlocuteurs obligés : décideurs des chaînes de télévision, producteurs ou distributeurs. Le cinéma français a tort de passer à côté d’un cinéaste de cette trempe. Et puis, le miracle a eu lieu : Doillon a réussi à faire son film avec des bouts de ficelle. Mais ces ficelles sont si élégantes, et le récit s’entremêle de manière si envoûtante, que le spectateur n’y verra que du feu. Comme on dit qu’il y a des gens dépourvus mais dignes, Le premier venu est à mes yeux un film pauvre où tout est grâce.

Ce qu’il y a de magnifique c’est justement l’impulsion, le désir, la vitesse, le langage, avec lesquels une poignée de personnages jouent leur vie, leur destin, leur va-tout. Et nous entrainent avec eux. Comme souvent dans ses films, Doillon opère une combinaison bizarre entre le mouvement et le langage, le cinéma et le théâtre, imposant avec douceur et fermeté une mise en scène physique sur un territoire donné, un bout de lande où se joue une espèce de tête-à-queue entre quatre personnages, jeunes, deux hommes et deux filles, dans un chassé-croisé aventureux. Jeux de piste et sortie de piste. Il faut voir la délectation avec laquelle Doillon, grâce à une mise en scène tout en rythme, change d’aire, pour suivre au gré de leurs impulsions ses personnages. Debussy, qui égrène quelques notes d’un prélude, une Sérénade interrompue, à chaque changement de journée, a trouvé là son complice.

Doillon a le talent, le génie de dénicher de nouveaux acteurs. Clémentine Beaugrand, qui joue pour la première fois au cinéma (Camille dans le film) ne ressemble à aucun personnage féminin du cinéma français actuel. Plus vraie, un peu garçon manqué. Elle débarque (d’un train venu de Paris qui la dépose nulle part, au Crotois dans la Somme), déboule dans le paysage, mal attifée, à peine coiffée. Au fil des scènes, Camille devient irrésistible, indispensable, habitant le film de ses silences, de sa démarche, de son mystère. Celui à qui elle se colle, ne voulant pour rien au monde le lâcher, pour le sauver de ses propres pulsions négatives et, ce faisant, pour se sauver elle-même ou se donner une raison de vivre, ce « premier venu » donc, n’est autre que Gérald Thomassin, dont les connaisseurs du cinéma de Doillon se souviennent pour l’avoir découvert il y près de vingt ans dans un très beau film : Le Petit criminel. Gérald Thomassin (Costa dans le film) est une pile électrique, un acteur monté comme un ressort, une boule de nerfs, un être à vif. Il est exceptionnellement rare de voir un acteur français jouer comme le fait Thomassin. Enfantin et magnifique : un être désespéré, un petit caïd jouant chaque scène avec une intensité physique digne des plus grands acteurs américains. Costa revient chez lui sans le sou ; il n’a plus vu sa petite fille depuis trois ans. Vagabond, hors-la-loi. Le film va servir d’expérience, de mise à l’épreuve de ces deux jeunes gens, dans une relation où l’amour se mêle à la compassion, l’attirance au rejet.

Comme toujours chez Doillon, pour être deux il faut être trois. L’autre, le voyeur, l’analyseur ou le catalyseur, qu’importe, est un jeune flic, Cyril (Guillaume Saurrel). Ami d’enfance de Costa. Mais lui a bien tourné – si l’on peut dire. Se joue alors une sorte de comédie de jeux de rôles, avec permutation, équivoque, sentiments, recherche d’une harmonie impossible et pourtant à portée de main.

Hier, lors de la projection en avant-première à la Cinémathèque, le public riait souvent. Car le film de Doillon est drôle, nerveux, intact dans sa visée romanesque. Allez-y, dès sa sortie le 2 avril. Vous m’en direz des nouvelles.