Jacques Doillon is back

Doillon is back (Le premier venu)

Quand ça va mal, lorsque le moral est bas, que tout ce qui provient du monde extérieur est sinistre ou médiocre, rien de mieux qu’un film, un beau film, pour vous remettre d’aplomb. Le nouveau Doillon, Le premier venu a des vertus incroyables, une sorte d’effet vitamine qui fait que tout d’un coup, le cinéma redevient un territoire magique, enfantin, fascinant, à vif. Des bons films, le cinéma (y compris français) n’en manque pas. Mais des films comme celui-ci sont rares. Très rares. Avec sa fragilité, sa fugacité, son caractère impulsif et vagabond, Le premier venu a tout du film hors normes, non prévu par le logiciel du cinéma français actuel. Il est vrai que Doillon, ces dernières années, s’est fait rare. J’avais beaucoup aimé son film précédent : Raja (2003). L’avant-dernier aussi : Carrément à l’Ouest (2000). Sauf que, de décennie en décennie, Doillon tourne moins. Mauvais signe, mauvais indicateur du cinéma français. Quelques chiffres.

Années 80 : Doillon tourne 9 films – entre La Fille prodigue (1980) et La Vengeance d’une femme (1989). Années 90 : 7 films – entre Le Petit criminel (1990) et Petits frères (1998).

Années 2000 : 3 films à ce jour, Carrément à l’Ouest, Raja et Le premier venu. Quelque chose, le système comme on dit, la machine à financer, à fabriquer, à diffuser des films, ne le considère plus en odeur de sainteté. Doillon est carrément contraint de faire la manche pour réaliser ses films. Mais, étant fier et valeureux, il se met de côté. Mange de la vache enragée en attendant des jours meilleurs. Au moment où la Cinémathèque française lui rendait hommage, en octobre 2006, je le voyais ruminant sa solitude, ayant beaucoup de peine à entrouvrir les portes d’interlocuteurs obligés : décideurs des chaînes de télévision, producteurs ou distributeurs. Le cinéma français a tort de passer à côté d’un cinéaste de cette trempe. Et puis, le miracle a eu lieu : Doillon a réussi à faire son film avec des bouts de ficelle. Mais ces ficelles sont si élégantes, et le récit s’entremêle de manière si envoûtante, que le spectateur n’y verra que du feu. Comme on dit qu’il y a des gens dépourvus mais dignes, Le premier venu est à mes yeux un film pauvre où tout est grâce.

Ce qu’il y a de magnifique c’est justement l’impulsion, le désir, la vitesse, le langage, avec lesquels une poignée de personnages jouent leur vie, leur destin, leur va-tout. Et nous entrainent avec eux. Comme souvent dans ses films, Doillon opère une combinaison bizarre entre le mouvement et le langage, le cinéma et le théâtre, imposant avec douceur et fermeté une mise en scène physique sur un territoire donné, un bout de lande où se joue une espèce de tête-à-queue entre quatre personnages, jeunes, deux hommes et deux filles, dans un chassé-croisé aventureux. Jeux de piste et sortie de piste. Il faut voir la délectation avec laquelle Doillon, grâce à une mise en scène tout en rythme, change d’aire, pour suivre au gré de leurs impulsions ses personnages. Debussy, qui égrène quelques notes d’un prélude, une Sérénade interrompue, à chaque changement de journée, a trouvé là son complice.

Doillon a le talent, le génie de dénicher de nouveaux acteurs. Clémentine Beaugrand, qui joue pour la première fois au cinéma (Camille dans le film) ne ressemble à aucun personnage féminin du cinéma français actuel. Plus vraie, un peu garçon manqué. Elle débarque (d’un train venu de Paris qui la dépose nulle part, au Crotois dans la Somme), déboule dans le paysage, mal attifée, à peine coiffée. Au fil des scènes, Camille devient irrésistible, indispensable, habitant le film de ses silences, de sa démarche, de son mystère. Celui à qui elle se colle, ne voulant pour rien au monde le lâcher, pour le sauver de ses propres pulsions négatives et, ce faisant, pour se sauver elle-même ou se donner une raison de vivre, ce « premier venu » donc, n’est autre que Gérald Thomassin, dont les connaisseurs du cinéma de Doillon se souviennent pour l’avoir découvert il y près de vingt ans dans un très beau film : Le Petit criminel. Gérald Thomassin (Costa dans le film) est une pile électrique, un acteur monté comme un ressort, une boule de nerfs, un être à vif. Il est exceptionnellement rare de voir un acteur français jouer comme le fait Thomassin. Enfantin et magnifique : un être désespéré, un petit caïd jouant chaque scène avec une intensité physique digne des plus grands acteurs américains. Costa revient chez lui sans le sou ; il n’a plus vu sa petite fille depuis trois ans. Vagabond, hors-la-loi. Le film va servir d’expérience, de mise à l’épreuve de ces deux jeunes gens, dans une relation où l’amour se mêle à la compassion, l’attirance au rejet.

Comme toujours chez Doillon, pour être deux il faut être trois. L’autre, le voyeur, l’analyseur ou le catalyseur, qu’importe, est un jeune flic, Cyril (Guillaume Saurrel). Ami d’enfance de Costa. Mais lui a bien tourné – si l’on peut dire. Se joue alors une sorte de comédie de jeux de rôles, avec permutation, équivoque, sentiments, recherche d’une harmonie impossible et pourtant à portée de main.

Hier, lors de la projection en avant-première à la Cinémathèque, le public riait souvent. Car le film de Doillon est drôle, nerveux, intact dans sa visée romanesque. Allez-y, dès sa sortie le 2 avril. Vous m’en direz des nouvelles.

8 Réponses à “Jacques Doillon is back”

  1. Antoni Collot a écrit :

    Qui nous dira la troublante et triangulaire histoire de ces images-là ? Ah ! du moins aucun spectateur n’a pu se vanter d’avoir dompté ce récit ; ils se sont réjouis pleinement ; le film s’est offert lui-même : ils se sont repus, ils se sont livrés aux magiques regards qui déchaînent, ceux de Clémentine Beaugrand et de Gérald Thomassin.
    Que peut-il raconter celui qui a vu hier les rivages du Premier venu ? Ces yeux nourris dans les dunes, les chambres d’hôtels, ces voix ardentes qui pourraient brûler la langue ?
    À 20h15, le 17 mars 2008, les regards, les voix, les fauteuils carmin, enfin tout ce qui pouvait faire face à l’écran blanc troué de petites valves, comme une peau, pour respirer, avait été mis au large. Le film commença, fit comme un sursaut de joie, et engloutit en un instant, dans la langue rare de Jacques, les spectateurs ravis, enlevés et élevés au-dessus de leurs fauteuils carmin, pris dans le tourbillon-Doillon.
    Sortis, ébaubis de joie-cinéma, le premier spectateur se demanda pourquoi il avait dû attendre cinq ans pour revivre ce cinéma-joie-là.

  2. Dominique Welinski a écrit :

    Serge, je suis d’accord, Doillon is back ! Pour notre plus grand bonheur, et dès la scène d’ouverture, les premiers dialogues, on sait qu’on va vivre un véritable moment de bonheur… Et c’est le cas, et on voudrait que ça dure encore et toujours. J’ai vu le film à Berlin et la salle entière était conquise. En sortant, nous étions au bord de la mer, il faisait beau et j’avais envie de parler à tout le monde, de partager ce grand bonheur. Courez-y tous dès les premiers jours, vous savez que la longévité n’est plus de mise pour les films indépendants comme celui-là.

    Merci Serge.

  3. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Dominique, Je pense comme toi et j’ai eu le même sentiment d’euphorie à la fin du film. Le Premier venu, 24ème film de Jacques Doillon, sort demain, mercredi 2 avril. Allez-y ! S.T.

  4. Frédéric Laglaive a écrit :

    Bonjour

    Merci pour le film de Doillon en avant-première. C’est étrange mais le fait de le voir à la Cinémathèque me l’a sans doute fait percevoir différemment; disons que j’ai tenté d’approfondir mon étonnement devant cette histoire qui n’en est pas une. J’ai enfin compris qu’il s’agissait d’abord d’une écriture et que Camille oscillait entre ses deux acolytes sans jamais vraiment prendre position définitivement. Le titre pourrait être « dans l’inconfort du non-choix » ? Evidemment les acteurs sont formidables mais essayons de dépasser cette dynamique irrésistible pour comprendre un peu ce qui se passe en face de nous. J’espère que le « grand public » ne boudera pas cette approche littéraire. Rien n’est moins sûr. Un excellent moment d’une grande sensibilité en tout cas !

  5. vl.ocka@seznam.cz a écrit :

    Bonjour,s’il vous plaît, je cherche comment joindre l’acteur français Gérald Thomassin… Connaissez-vous son agent ? Can you help me ? Merci beaucoup…

  6. Serge Toubiana a écrit :

    Je demande à Jacques Doillon comment joindre Gérald Thomassin. J’espère sa réponse au plus vite. S.T.

  7. Riboulet a écrit :

    Elève au lycée Voltaire dans les années 50, j’ai eu pour meilleur camarade Jean-Claude Doillon qui avait un frère Jacques. Je sais que Jacques Doillon a aussi été élève au lycée Voltaire. Se pourrait-il qu’il soit le frère du Jean-Claude que j’ai connu ? Si oui, j’aurais aimé savoir ce qu’est devenu Jean-Claude, ayant quitté Paris en 58, je l’ai perdu de vue.
    Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez transmettre cette bouteille à la mer à Jacques Doillon.
    Par avance merci.

  8. René Barbier a écrit :

    Bonjour. Je fus également un ami très proche de Jean-Claude (et de son frère Jacques que j’ai revu il y a maintenant plusieurs années). Mais j’ai également perdu leurs coordonnées. Avez-vous pu les obtenir depuis votre dernier message ? merci d’avance, éventuellement. Cordialement René Barbier