Archive pour le 11.06.2011

Adieu à Marie-France Pisier

samedi 11 juin 2011

Jeudi 9 mars, la Cinémathèque rendait hommage à Marie-France Pisier. Avant la projection de Antoine et Colette de François Truffaut, puis des Soeurs Brontë de André Téchiné, j’ai prononcé quelques mots, avant qu’André Téchiné ne prenne la parole pour dire des choses bouleversantes d’émotion et d’intelligence. Puis Jacques Bontemps, Pascal Bonitzer et Isabelle Huppert rendirent un vibrant hommage à Maris-France Pisier, évoquant son courage, sa douceur, sa générosité et son intelligence.

Les interventions sont disponibles sur le site :  www.cinematheque.fr

Voici le texte prononcé en ouverture de cette soirée.

Chers amis,

Nous sommes réunis ce soir à la Cinémathèque pour évoquer le souvenir de Marie-France Pisier, sa personnalité, sa beauté, son talent, son éclat et son mystère. Ses mystères. Il me revient de parler en premier comme je le fais souvent, trop souvent à mon goût, pour rendre hommage à nos chers disparus. Le cinéma avance, souvent à reculons. Plus il va de l’avant, comme un train dans la nuit, plus il laisse de côté des artistes, hommes ou femmes, qui nous ont éclairé le chemin.

Marie-France avait pris très jeune le train du cinéma. Elle avait été choisie, élue, pour être dans ce très beau film, Antoine et Colette de François Truffaut, aux côtés de Jean-Pierre Léaud, dont je salue la présence et respecte le douloureux silence.

Elle avait été choisie pour être le sujet du premier fantasme amoureux d’Antoine Doinel. Truffaut ne s’y était pas trompé : vous allez voir ou revoir les regards en biais du jeune Léaud, tout à la fois attiré et intimidé, aimanté par le magnifique profil, le troublant profil de cette jeune femme d’une incroyable beauté, d’une insolente beauté, mordillant la fine chaîne qu’elle porte au cou. Salle Pleyel, Colette est absorbée par la musique de Berlioz, tandis que le jeune homme n’a d’yeux que pour elle.

C’est le plus beau coup de foudre de l’histoire du cinéma !

Truffaut a conçu cette longue scène d’une intensité hitchcockienne en mettant en contrepoint la musique en action et le regard fixe de Léaud sur Marie-France. Beauté du suspense. Trouble amoureux. Il y avait de l’innocence dans ce regard, sans quoi la scène eut été désagréable. L’innocence de Doinel, la tristesse de son regard sur cette jeune fille à la fois proche et inatteignable. Et le sentiment aussi que cette jeune fille existe, qu’elle a sa vie propre et son rythme, et qu’elle est libre. Marie-France a toujours incarné ce sentiment de liberté. La liberté, c’est parfois difficile à vivre…

Oui nous n’avons eu d’yeux que pour Marie-France Pisier. Elle a dès lors envahi notre imaginaire, elle a incarné avec cette force intérieure, cette dissonance intime, ce décalage permanent, cette voix très musicale, sur lesquels elle a fondé son jeu, sa langue et ses apparitions dans des films, tant de personnages. Mais il n’y avait qu’une Marie-France, insolente et sans doute insatisfaite – mais comment savoir, comment deviner le mystère intime et profond de chaque être.

Elle était une actrice, un instrument sensible offert au regard des metteurs en scène. Il leur revenait d’aller chercher en elle et avec elle des facettes inédites, des regards intérieurs et des sentiments profonds, des éclats de vie mis au service de personnages. L’amour à vingt ans. Plus tard, l’amour en fuite. L’amour a toujours vingt ans – il ne grandit plus. Restons-en là, à ce stade où la vie n’est encore qu’un jeu, une fuite ou une poursuite. Un pari. Dans ce scénario-là, Marie-France a excellé. Elle a joué comme personne, elle a couru comme personne, plus vite que nous, intacte, solaire et lumineuse. Libre. Elle restera pour toujours ainsi.

Il y a dix jours, j’ai passé deux heures dans un café au bord de la Seine avec André Téchiné. Je tenais à montrer ce soir un de ses films, Les Sœurs Brontë dans lequel Marie-France joue le rôle de Charlotte, personnage grave, profond. Je crois, et André le pense aussi – mais lui était en première ligne – que Marie-France n’a jamais été regardée sous cet angle-là, comme dans ce film. Qu’elle n’a sans doute jamais exprimé ces sentiments là, avec cette profondeur là. Et peut-être cette douleur là. Nous parlions d’elle avec chaleur, lorsqu’André m’a dit ce mot qui m’a infiniment touché : « Elle a illuminé ma jeunesse ». Je ne crois pas qu’il y ait de plus bel hommage à faire à Marie-France que de répéter : oui elle illuminé notre jeunesse.

Actrice, scénariste, écrivain, cinéaste, intellectuelle, femme de son temps, active et engagée. Elle aura été tout cela à la fois, dans un tourbillon incessant qui donne le vertige.

Elle était aussi une femme mondaine et insolente, comme dans le sont les femmes dans les films de Sacha Guitry : je me souviens l’avoir vu jouer au théâtre des Amandiers dans Le Nouveau Testament, avec François Marthouret et d’autres partenaires, dans une mise en scène de Daniel Benoin. Elle y était comme chez elle. Cela ne dit pas tout d’elle. On ne résume pas une femme et une vie en quelques mots. Le reste n’est qu’incertitude. Mystère. Laissons-lui cette liberté. Cette ultime liberté.

J’adresse des mots très affectueux à Iris et Mathieu ses enfants ; à Thierry avec qui elle formait un couple uni et « glamour » ; à Evelyne sa sœur, à Gilles son frère, et à tous ses proches.