Archive pour le 28.11.2009

Assigné à résidence

samedi 28 novembre 2009

L’ « affaire Polanski » a pris un tour nouveau avec la libération imminente du cinéaste de la prison de Zurich. Ainsi en a décidé mercredi dernier le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Cette libération est assortie de conditions pour le moins draconiennes. Il s’agira donc d’une mise en liberté sous caution. Celle-ci n’est pas uniquement financière – Roman Polanski doit s’acquitter d’une caution de 4,5 millions de francs suisses (équivalent de 3 millions d’euros) – mais touche aussi à sa mobilité même : muni d’un bracelet électronique, le cinéaste sera contraint à la réclusion à l’intérieur de son chalet de Gstaad, en attendant les futures péripéties judiciaires.

Le dispositif sophistiqué et coercitif mis au point par la justice suisse s’inscrit dans une cruelle et cynique logique, qui se résume en deux mots : surveiller et punir. Qui ose encore en douter ? Et qui peut encore oser dire que Roman Polanski aura bénéficié de privilèges ou d’un traitement de faveur, du fait d’être cinéaste, artiste et mondialement connu ? C’est bien le contraire dont il s’agit, avec la mise au point de technique sophistiquée et ultra moderne, allant de la souricière (rappelons que Roman Polanski était l’invité officiel de la Suisse, pour recevoir un prix honorifique d’un festival de cinéma, que le ministre de la Culture helvète l’attendait au bas de la passerelle de l’avion tandis que le ministre de la Justice opérait de son côté pour le cueillir et l’emprisonner), jusqu’au contrôle électronique. Le sort infligé à Polanski fait penser à ces temps archaïques où l’homme était pris au piège de sa propre liberté, enfermé à l’air libre mais très étroitement surveillé. Le même scénario, avec changement d’époque : d’un ghetto à l’autre… À peu près tous les films de Polanski ont pour thème cette dimension absurde du monde réel, cette angoisse et cette peur de l’homme d’être prisonnier. Aujourd’hui la réalité rattrape l’imaginaire, avec ce scénario macabre mis au point par la Suisse. La prochaine séquence consistera sans doute dans le fait de le livrer à la justice californienne.

Au moment de Tess, en 1979, alors qu’il avait fui deux ans auparavant les Etats-Unis, craignant l’acharnement d’un juge, Polanski disait ceci : « Ma carrière était brisée quand j’avais mes problèmes avec la justice. Je me suis retrouvé au milieu d’un cauchemar. Je me suis dit : “C’est incroyable, tous mes efforts, toute ma vie, s’arrêtent comme ça…” J’ai compris beaucoup de choses alors, j’ai compris les gens qui découvrent tout à coup qu’ils ont un cancer et qui apprennent à vivre avec l’idée que c’est fini… Parce que j’étais lépreux… » [1]

Sur toute cette affaire, la personne qui s’est à mon avis exprimée avec le plus de retenue et d’élégance est Robert Harris, écrivain et coscénariste du film que Polanski a tourné ces mois derniers, dont il a terminé le montage et la postproduction depuis la prison où il est enfermé depuis le 26 septembre dernier à Zurich. Le nouveau film a pour titre The Ghost, adapté d’un roman de Harris. L’article de l’écrivain est paru le 1er octobre 2009 dans l’International Herald Tribune, et la revue de cinéma Positif a eu l’excellente idée de le publier (traduit en français) dans son numéro de novembre[2].

Robert Harris écrit ceci : « Je ne m’excuse pas de me sentir désolé pour lui. Le plaisir, presque pornographique, avec lequel ceux qui le critiquent savourent et racontent à nouveau les détails sordides de l’agression rend le cas difficile à considérer de manière rationnelle. Bien sûr, ce qui s’est passé ne doit pas être excusé, ni légalement ni d’un point de vue éthique. Mais Mme Geimer veut laisser tomber l’affaire, protéger sa famille, et les enfants de M. Polanski veulent le voir rentrer chez lui. Il n’est pas une menace publique. La procédure judiciaire initiale était opaque, c’est indéniable. Donc cui bono, comme disent les Romains – à qui est-ce ça profite ? ».


 

[1] Polanski par Polanski, Textes et documents réunis par Pierre-André Boutang, Chêne, 1986.

 

[2] « Pourquoi arrêter Polanski maintenant ? », Positif 585, Novembre 2009.