Assigné à résidence

L’ « affaire Polanski » a pris un tour nouveau avec la libération imminente du cinéaste de la prison de Zurich. Ainsi en a décidé mercredi dernier le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Cette libération est assortie de conditions pour le moins draconiennes. Il s’agira donc d’une mise en liberté sous caution. Celle-ci n’est pas uniquement financière – Roman Polanski doit s’acquitter d’une caution de 4,5 millions de francs suisses (équivalent de 3 millions d’euros) – mais touche aussi à sa mobilité même : muni d’un bracelet électronique, le cinéaste sera contraint à la réclusion à l’intérieur de son chalet de Gstaad, en attendant les futures péripéties judiciaires.

Le dispositif sophistiqué et coercitif mis au point par la justice suisse s’inscrit dans une cruelle et cynique logique, qui se résume en deux mots : surveiller et punir. Qui ose encore en douter ? Et qui peut encore oser dire que Roman Polanski aura bénéficié de privilèges ou d’un traitement de faveur, du fait d’être cinéaste, artiste et mondialement connu ? C’est bien le contraire dont il s’agit, avec la mise au point de technique sophistiquée et ultra moderne, allant de la souricière (rappelons que Roman Polanski était l’invité officiel de la Suisse, pour recevoir un prix honorifique d’un festival de cinéma, que le ministre de la Culture helvète l’attendait au bas de la passerelle de l’avion tandis que le ministre de la Justice opérait de son côté pour le cueillir et l’emprisonner), jusqu’au contrôle électronique. Le sort infligé à Polanski fait penser à ces temps archaïques où l’homme était pris au piège de sa propre liberté, enfermé à l’air libre mais très étroitement surveillé. Le même scénario, avec changement d’époque : d’un ghetto à l’autre… À peu près tous les films de Polanski ont pour thème cette dimension absurde du monde réel, cette angoisse et cette peur de l’homme d’être prisonnier. Aujourd’hui la réalité rattrape l’imaginaire, avec ce scénario macabre mis au point par la Suisse. La prochaine séquence consistera sans doute dans le fait de le livrer à la justice californienne.

Au moment de Tess, en 1979, alors qu’il avait fui deux ans auparavant les Etats-Unis, craignant l’acharnement d’un juge, Polanski disait ceci : « Ma carrière était brisée quand j’avais mes problèmes avec la justice. Je me suis retrouvé au milieu d’un cauchemar. Je me suis dit : “C’est incroyable, tous mes efforts, toute ma vie, s’arrêtent comme ça…” J’ai compris beaucoup de choses alors, j’ai compris les gens qui découvrent tout à coup qu’ils ont un cancer et qui apprennent à vivre avec l’idée que c’est fini… Parce que j’étais lépreux… » [1]

Sur toute cette affaire, la personne qui s’est à mon avis exprimée avec le plus de retenue et d’élégance est Robert Harris, écrivain et coscénariste du film que Polanski a tourné ces mois derniers, dont il a terminé le montage et la postproduction depuis la prison où il est enfermé depuis le 26 septembre dernier à Zurich. Le nouveau film a pour titre The Ghost, adapté d’un roman de Harris. L’article de l’écrivain est paru le 1er octobre 2009 dans l’International Herald Tribune, et la revue de cinéma Positif a eu l’excellente idée de le publier (traduit en français) dans son numéro de novembre[2].

Robert Harris écrit ceci : « Je ne m’excuse pas de me sentir désolé pour lui. Le plaisir, presque pornographique, avec lequel ceux qui le critiquent savourent et racontent à nouveau les détails sordides de l’agression rend le cas difficile à considérer de manière rationnelle. Bien sûr, ce qui s’est passé ne doit pas être excusé, ni légalement ni d’un point de vue éthique. Mais Mme Geimer veut laisser tomber l’affaire, protéger sa famille, et les enfants de M. Polanski veulent le voir rentrer chez lui. Il n’est pas une menace publique. La procédure judiciaire initiale était opaque, c’est indéniable. Donc cui bono, comme disent les Romains – à qui est-ce ça profite ? ».


 

[1] Polanski par Polanski, Textes et documents réunis par Pierre-André Boutang, Chêne, 1986.

 

[2] « Pourquoi arrêter Polanski maintenant ? », Positif 585, Novembre 2009.

 

 

 

9 Réponses à “Assigné à résidence”

  1. Gould a écrit :

    Un message qui ne passera pas le filtre de vos contrôles mais bon, je tenais quand même à dire qu’encore une fois votre manifeste vous fait faire des parallèles plus que douteux (« d’un ghetto à l’autre… »).

  2. Fabrice Larcade a écrit :

    Visiblement le sarkozysme est plus contagieux que la grippe A. Maintenant voilà qu’après Bloch et Camus, on utilise Foucault pour justifier l’injustifiable et que j’aurais plutôt évoqué concernant une autre affaire qui est passée sous silence ici : celle de Marie Ndiaye (mais il est vrai qu’elle opère seulement dans le domaine de l’écriture et non du cinéma et que la liberté d’expression ne vous concerne pas plus que ce pauvre Frédéric Mitterrand).
    Vous jouez un jeu dangereux : celui de faire mine de croire que le peuple à soif de vengeance alors qu’il a juste soif de justice.
    Vous accusez les partisans de la justice de s’y substituer alors que vous rendez votre verdict.
    Cette rhétorique qui consiste à victimiser les puissants et assez en vogue en se moment dans la communication gouvernementale.
    Comme Klemperer, je pense que les bourreaux se reconnaissent à leur langue.
    Enfin, censurez censurez, les concaincus et les idiots pourront s’imaginer que l’impunité de la classe supérieure fait l’unanimité.

  3. Serge Toubiana a écrit :

    Vous pratiquez l’amalgame, et sur quel ton ! Que vient faire le « sarkozysme » ou la « communication gouvernementale » dans votre commentaire ? Qu’est-ce vous insinuez ? C’est vous qui êtes dans la rhétorique, et avec quelle prétention ! Si vous pensez que Roman Polanski appartient à la catégorie des « puissants », c’est que vous n’avez rien compris. S.T.

  4. Gould a écrit :

    Et si on (re)parlait de cinéma tout simplement?
    Encore une fois, chacun ses opinions, mais les sites de la cinémathèque française ne devrait pas servir de tribune pour ce type d’affaire qui relève du privé et non de la culture.

  5. Serge Toubiana a écrit :

    Je n’a aucun problème pour parler de cinéma, ce que je fais régulièrement dans mon blog. Je dirais même qu’il ne sert qu’à cela.
    Quant à l’affaire Polanski, elle relève bien évidemment de l’espace public. Un peu malgré nous, c’est vrai. S.T.

  6. Rédoine Faïd a écrit :

    « D’un ghetto à l’autre… »
    Ce genre d’endroits a traversé l’histoire et consommé de nombreux drames. Mais lorsque l’on prononce le mot « ghetto », on pense irrémédiablement à la barbarie nazie. Je me suis toujours méfié des personnes qui utilisent ce mot pour y faire des comparaisons n’ayant rien à voir avec un « ghetto ». Je trouve même que le procédé est indécent au vu du drame effroyable qu’il nous rappele. La première fois que j’ai entendu ce mot, c’était bien évidemment en relation avec le ghetto de Varsovie durant un cours d’histoire à l’école primaire. J’ai donc essayer de vous comprendre.

    Polanski naît en France au début des année 30. Ses parents décident de quitter Paris pour la Pologne, leur patrie d’origine. C’est un premier déracinement. Mauvais choix car à peine arrivés à Varsovie, ils se retrouvent dans la nasse hitlérienne. La famille Polanski est regroupée au ghetto de Cracovie. Roman évite la déportation grâce à sa mère. Celle-ci n’aura pas la même protection. Déportée, elle meurt à Auschwitz dans les conditions que l’on imagine… Le destin est parfois étrange. Quand bien même la famille Polanski serait restée à Paris, elle n’aurait sûrement pas échappée à une autre déportation. « Quoique que l’on fasse, personne n’échappe à son destin » (Ythzak Rabin). Il réussi à sortir du ghetto en trouvant refuge chez des familles catholiques de Pologne.

    La guerre finie, il est attiré par le cinéma. Ne serait-ce pas le meilleur moyen pour lui d’exprimer son dégout de l’espèce humaine et l’immense sentiment d’injustice qu’il nous a tellement fait ressentir dans « Le Pianiste » ? Après quelques succès cinématographiques en Pologne, il revient en France. Son cinéma est beaucoup basé sur l’étrangeté, l’humour noir et les relations humaines bizarres. Ses personnages vivent dans une solitude angoissante et stressante. Un maître du suspens. Un héritier d’Hitchcock?

    Son destin le rattrape avec l’assassinat de sa femme (enceinte) dans des conditions effroyables. Il fuit à nouveau et revient en France suite à l’affaire Samantha Geimer. Les démons nazis le hantent. Apatride, il se lance -après 30 ans de cinéma- dans la mise en scène du « Pianiste ». Retour aux sources thérapeuthiques ? Ce qui est certain, c’est que son destin ne le lâchera jamais : arrêté en Suisse comme un « dangeureux criminel », il se retrouve dans la cellule d’un quartier d’isolement (réservé essentiellement aux cadors du grand banditisme et autres terroristes). Il attend d’être assigné à résidence ( comme le furent les terroristes du GIA algérien en 1994 -mais avec beaucoup moins de zèle : aux véritables terroristes criminels, on leur avait mis à disposition une villa -au frais du gouvernement- avec juste un camion de CRS devant l’entrée. Polanski, les autorités Helvètes ont blindé les portes, installé des caméras de télésurveillance, une équipe des « RG » autour du chalet… Manque que la surveillance satellitaire!).

    Toute sa vie, Polanski a « cavalé ». Fuir et ne pas se rendre. Par « instinct animal »? Chose certaine: cela s’est passé dans la douleur. La « cavale », c’est un bannissement que nul ne prend en compte. Vous n’existez plus. Vous n’avez plus d’identité. Vous vous interdisez bien des choses, vous êtes votre propre géôlier. Au moyen-âge, le châtiment du bannissement venait juste après la peine de mort. Une véritable peine en soi.

    « D’un ghetto à l’autre… »
    En fait, Monsieur Toubiana, je trouve votre commentaire subtil, mais aussi très pertinent…

  7. Isabelle a écrit :

    Tiens, revoilà les prétentieux justiciers sans peur et sans reproche…
    Merci à vous, Mr Toubiana, qui sans pour autant censurer leurs propos, demeurez fidèle à vos idées.

  8. Gould a écrit :

    Switzerland is a country where very few things begin, but many things end.

    F. Scott Fitzgerald

  9. JAcques Richard a écrit :

    Mon cher Serge,
    Je ne suis pas toujours d’accord avec toi, mais là, j’adhère pleinement ce blog, et l’affaire Polanski est un cauchemar contemporain ignoble… signe des temps dits « modernes »… La réalité dépasse la fiction, la Suisse se disqualifie pour longtemps, et il est bien pénible de lire tous ces commentaires hurlant avec les loups, de Besson à Cohn-Bendit. Avec cette affaire quelque chose de nouveau vient d’avoir lieu dans notre Société, il faut y réfléchir profondément, car ça n’est que le symptôme d’un début.