Archive pour le 16.04.2009

Tati, nom d’une pipe !

jeudi 16 avril 2009

Jacques TatiLa pipe de Monsieur Hulot fait sacrément débat. La polémique est lancée, depuis que Pierre Assouline, dans Le Monde 2 (« Censurer tue » n°269, du 11 au 17 avril 2009) s’est le premier insurgé contre le fait que l’affiche apposée dans le métro parisien présente une photo de Monsieur Hulot censurée, c’est-à-dire sans sa pipe.Revenons aux faits. Macha Makeïeff, qui est la commissaire (avec Stéphane Goudet) et la scénographe de l’exposition qui se tient actuellement à la Cinémathèque française (jusqu’au 2 août) avait conçu une belle affiche en couleur. La photo est tirée de Mon Oncle. On y voit Monsieur Hulot sur son Solex, pipe à la bouche, portant son imperméable et son chapeau, tout l’attirail du personnage dessiné et incarné par Tati, et derrière, hilare, le petit Gérard, le neveu de Hulot.Cette photo ne fait de mal à personne, elle est la quintessence de l’univers de Tati, ludique, en mouvement. L’affiche fait l’unanimité. Tout fonctionne : le graphisme, l’inscription du nom TATI, le titre « deux temps trois mouvements ». Comme pour chacune de ses expositions, la Cinémathèque noue de nombreux partenariats afin de toucher le public le plus large. Métrobus est un de nos partenaires privilégiés. Lorsque nous présentons notre campagne de promotion avec ce projet d’affiche, il ne vient à l’idée de personne que cette pipe de Monsieur Hulot pourrait poser problème. D’autant que Hulot ne fume pas. Jamais on ne le voit allumer sa pipe. Et puis, au moment où il s’agit de conclure notre accord avec ce partenaire essentiel, patatras : le service juridique rechigne, on nous demande de revoir notre copie. Macha Makeïeff, qui n’est pas à court d’argument, imagine dans un premier temps de mettre à la place de la pipe une inscription : « Ceci est une pipe », clin d’œil au fameux tableau de Magritte. Dans un deuxième temps, elle opte pour dessiner, à la place de l’objet interdit, une sorte de moulin à vent qui convient au style de Tati. Il n’empêche : l’affiche posée sur les murs du métro et les avants de bus parisiens n’est pas la même que celle dont nous faisons usage sur nos différents supports de communication. La même photo, il s’agit d’un photogramme, figure sur la couverture du très beau catalogue édité par Naïve.La pipeSans sa pipe, Hulot n’est plus tout à fait Hulot. Elle ajoute au côté lunaire du personnage. Censuré, alors même qu’il ne fume pas. Hulot n’est pas si bête : comment peut-on imaginer qu’il fume en conduisant son Solex, avec son neveu derrière lui ? Néanmoins, la loi Evin doit s’appliquer : il faut gommer cette pipe. On plaide, rien n’y fait. Il s’agit bien d’une censure administrative qui s’exerce au nom de la loi anti-tabac du 10 janvier 1991, dite « Loi Evin » du nom du ministre de la Santé de l’époque. Le hic, c’est que tout le XXe siècle risque ainsi d’être censuré. De Churchill à De Gaulle, en passant par Pompidou, Hitchcock, Godard, Simenon, Jacques Prévert, Gainsbourg, le « Che », Welles, Humphrey Bogart ou Malraux, toutes les grandes figures intellectuelles, politiques ou artistiques sont ou seront, un jour ou l’autre, victimes de cette loi d’airain. Sartre en fit les frais en 2005 lorsque la Bibliothèque nationale de France organisa une belle exposition à l’occasion du centenaire du philosophe. La cigarette que l’écrivain avait entre les doigts avait disparu. Redessiner une photo en lui ôtant un de ses éléments, c’est de la censure. Le droit d’auteur en est atteint. Ce geste rappelle de mauvais souvenirs, par exemple quand Staline faisait gommer la figure de Trotski des photos montrant les dirigeants bolchéviques, dans les années vingt. Les exemples sont très nombreux. La censure de la pipe de Tati est plus moderne, plus « soft » : c’est pour le bien du plus grand nombre qu’elle s’exerce. Mais c’est prendre le public pour plus bête qu’il n’est, comme s’il ne faisait pas la différence entre l’emblème de Monsieur Hulot et le fait de fumer et d’en faire l’apologie. Venez visiter la belle exposition à la Cinémathèque, vous y verrez une grande pipe blanche de cinq mètres de long dessinée par Macha Makeïeff, qui figure au centre de l’exposition. Jacques Tati tel qu’en lui-même.