Tati, nom d’une pipe !

Jacques TatiLa pipe de Monsieur Hulot fait sacrément débat. La polémique est lancée, depuis que Pierre Assouline, dans Le Monde 2 (« Censurer tue » n°269, du 11 au 17 avril 2009) s’est le premier insurgé contre le fait que l’affiche apposée dans le métro parisien présente une photo de Monsieur Hulot censurée, c’est-à-dire sans sa pipe.Revenons aux faits. Macha Makeïeff, qui est la commissaire (avec Stéphane Goudet) et la scénographe de l’exposition qui se tient actuellement à la Cinémathèque française (jusqu’au 2 août) avait conçu une belle affiche en couleur. La photo est tirée de Mon Oncle. On y voit Monsieur Hulot sur son Solex, pipe à la bouche, portant son imperméable et son chapeau, tout l’attirail du personnage dessiné et incarné par Tati, et derrière, hilare, le petit Gérard, le neveu de Hulot.Cette photo ne fait de mal à personne, elle est la quintessence de l’univers de Tati, ludique, en mouvement. L’affiche fait l’unanimité. Tout fonctionne : le graphisme, l’inscription du nom TATI, le titre « deux temps trois mouvements ». Comme pour chacune de ses expositions, la Cinémathèque noue de nombreux partenariats afin de toucher le public le plus large. Métrobus est un de nos partenaires privilégiés. Lorsque nous présentons notre campagne de promotion avec ce projet d’affiche, il ne vient à l’idée de personne que cette pipe de Monsieur Hulot pourrait poser problème. D’autant que Hulot ne fume pas. Jamais on ne le voit allumer sa pipe. Et puis, au moment où il s’agit de conclure notre accord avec ce partenaire essentiel, patatras : le service juridique rechigne, on nous demande de revoir notre copie. Macha Makeïeff, qui n’est pas à court d’argument, imagine dans un premier temps de mettre à la place de la pipe une inscription : « Ceci est une pipe », clin d’œil au fameux tableau de Magritte. Dans un deuxième temps, elle opte pour dessiner, à la place de l’objet interdit, une sorte de moulin à vent qui convient au style de Tati. Il n’empêche : l’affiche posée sur les murs du métro et les avants de bus parisiens n’est pas la même que celle dont nous faisons usage sur nos différents supports de communication. La même photo, il s’agit d’un photogramme, figure sur la couverture du très beau catalogue édité par Naïve.La pipeSans sa pipe, Hulot n’est plus tout à fait Hulot. Elle ajoute au côté lunaire du personnage. Censuré, alors même qu’il ne fume pas. Hulot n’est pas si bête : comment peut-on imaginer qu’il fume en conduisant son Solex, avec son neveu derrière lui ? Néanmoins, la loi Evin doit s’appliquer : il faut gommer cette pipe. On plaide, rien n’y fait. Il s’agit bien d’une censure administrative qui s’exerce au nom de la loi anti-tabac du 10 janvier 1991, dite « Loi Evin » du nom du ministre de la Santé de l’époque. Le hic, c’est que tout le XXe siècle risque ainsi d’être censuré. De Churchill à De Gaulle, en passant par Pompidou, Hitchcock, Godard, Simenon, Jacques Prévert, Gainsbourg, le « Che », Welles, Humphrey Bogart ou Malraux, toutes les grandes figures intellectuelles, politiques ou artistiques sont ou seront, un jour ou l’autre, victimes de cette loi d’airain. Sartre en fit les frais en 2005 lorsque la Bibliothèque nationale de France organisa une belle exposition à l’occasion du centenaire du philosophe. La cigarette que l’écrivain avait entre les doigts avait disparu. Redessiner une photo en lui ôtant un de ses éléments, c’est de la censure. Le droit d’auteur en est atteint. Ce geste rappelle de mauvais souvenirs, par exemple quand Staline faisait gommer la figure de Trotski des photos montrant les dirigeants bolchéviques, dans les années vingt. Les exemples sont très nombreux. La censure de la pipe de Tati est plus moderne, plus « soft » : c’est pour le bien du plus grand nombre qu’elle s’exerce. Mais c’est prendre le public pour plus bête qu’il n’est, comme s’il ne faisait pas la différence entre l’emblème de Monsieur Hulot et le fait de fumer et d’en faire l’apologie. Venez visiter la belle exposition à la Cinémathèque, vous y verrez une grande pipe blanche de cinq mètres de long dessinée par Macha Makeïeff, qui figure au centre de l’exposition. Jacques Tati tel qu’en lui-même.

21 Réponses à “Tati, nom d’une pipe !”

  1. Gaumé Adrien a écrit :

    Monsieur,
    Vous dégoupillez habilement tous les arguments susceptibles de nourrir la polémique, sauf un. Que ne vous est-il venu à l’idée de vous passer des services de Métrobus et de revoir votre plan comm’ afin de ne pas pénaliser l’esprit de l’oeuvre que vous prétendez promouvoir ?
    En bonus collatéral, que ne formule-t-on le même parallèle entre les tunnels publicitaires qui phagocytent les débuts de séance, en lieu et place des programmes courts d’antan ? La publicité a gagné suffisamment de terrain, pour que la Cinémathèque ne lui en cède pas davantage!

  2. Tatiphile a écrit :

    Bonjour,

    Merci pour ce beau texte, Hulot est vraiment dangereux. Cette photo est limite, absence de casque pour les deux, l’enfant n’est pas sanglé dans un siège aux normes… Ont-ils seulement respectés le feu rouge, la ligne droite, le sens interdit… en plus, ils ont l’air heureux, c’est peut-être cela le plus indécent. Le monde d’aujourd’hui est un hommage permanent au talent de ce cinéaste hors norme. Tatiphile depuis toujours, j’apprécie les flâneries du regard et des oreilles dans cette belle exposition.

  3. jean claude Parravano a écrit :

    Otez cette pipe que je ne saurai voir !
    J’ai dabord cru à un poisson d’avril, c’était oublier que les limites de la bêtise n’ont d’égale que les profondeurs abyssales…
    Ainsi Tati présente un danger pour notre santé. Lui qui observait silencieux, critique mais sans méchanceté notre société de consommation…Le péril sanitaire (qu’il sagisse de notre mental ou de notre physique) ne viendrait t-il pas quotidiennement de ce qu’engendre notre société ?

  4. Arnaud Lacaze-Masmonteil a écrit :

    Moi je dis top-là ! Faisons au plus vite disparaître des affiches et des écrans tous les représentations des vices exutoires de notre société : la drogue, puis le tabac, puis l’alcool, puis le sexe…
    Rendus enfin à notre médiocre réalité, sans plus d’échappatoires possibles, il ne nous restera plus qu’à regarder en boucle notre insondable ennui…

  5. Pascale a écrit :

    Nom d’une pipe, les ourlets du pantalon de mon oncle sont-ils politiquement corrects, dévoilant du même coup une paire de chaussettes qui fait insulte au bon goût?

  6. unevilleunpoeme a écrit :

    Tati, je ne connais pas, mais puisque vous dites que c’est bien, je vais aller me renseigner.

  7. mitch a écrit :

    Je regrette vivement qu’une seule projection de Mon Oncle en français soit programmée et que les 3 projections soient concentrées sur une seule semaine… C’est bien mal traiter ce chef-d’oeuvre absolu du cinéma français que de nous infliger deux fois la version anglaise et de plus ne pas nous laisser le temps de choisir sur un laps de temps plus long, comme c’est le cas pour les autres films du cycle. Est ce que l’oscar obtenu doit il obligatoirement nous priver de la langue française ? je trouve cela choquant très choquant même. Je suis triste.

  8. marielle issartel a écrit :

    La pétition lancée par l’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des Droits de l’Homme contre la censure de la pipe de Monsieur Hulot par Métrobus et son remplacement par une « ridicule hélice jaune » (au nom d’une application de la loi Évin considérée par Claude Évin lui-même comme déraisonnable), semble aller de soi. Atteinte au droit d’auteur, règne stérilisant du politiquement correct dans le domaine de l’art et de la culture… l’affaire est claire.
    Mais en y regardant de plus près sur ce blog, on apprend que c’est Macha Makeïeff elle-même, commissaire de l’expo, qui a planté l’hélice jaune dans la bouche de Monsieur Hulot en lieu et place de la pipe que Métrobus voulait effacer. Soi-disant par dérision… dérision de quoi ?
    Je pense que cette information devrait figurer sans équivoque dans les textes de soutien qui affirment que l’ajout est de la SNCF-RATP. Vous devriez alerter les rédacteurs de la pétition.
    En tout état de cause demeure la question : doit-on accepter la censure ?
    Il existe des cinéastes qui, censurés par une chaîne sur une séquence d’un film qui fait débat, préfèrent se passer de la diffusion et de leurs droits d’auteurs plutôt que de laisser la censure les commander. La Cinémathèque n’a pas de tels enjeux personnels et aurait pu s’offrir ce luxe élémentaire. Pour moi, il aurait été plus cohérent de refuser la censure de Métrobus et de leur retirer le budget, tout en communiquant sur le sujet et en exigeant de pouvoir afficher comme prévu.

  9. Le Martinet a écrit :

    pourquoi ne pas retirer du Louvre toutes les toiles de maîtres dont le thème est la Tabagie (la toile de Le Nain intitulée la Tabagie, la toile intitulée “le fumeur” de Joos van Graesbeck, la toile intitulée “le fumeur accoudé à une table” de David Teniers, la toile intitulée “intérieur d’une tabagie” de Adriaen Brouwer, pour ne citer que les plus connues).
    Ces ayatolahs anti-tabac pourraient aussi sommer les éditions de BD de supprimer la pipe du Capitaine Hadock dans la collection des Tintin, ou de celle de Monsieur Prunelle dans la collection de Gaston Lagaffe, voire faire retirer de toutes les bibliothèques de France et de Navarre toutes les BD de Tintin, de Gaston Lagaffe ou de Rubric à Brac de Gotlieb !
    Si on craint tant pour notre santé, quand s’occupera-t-on de la suppression des charcuteries, des frites trop riches en graisse, tout aussi responsables en maladies vasculaires.
    Assez de ces ayatolahs, de ces frustrés arbitraires qui veulent imposer leur moralité psycho-rigide … qu’ils nous fichent la paix et qu’ils s’occupent de leurs fesses … mais il y a dans ce domaine beaucoup à faire pour ces pauvres malheureux dictateurs anti-tabac, anti-tout.

  10. Serge Toubiana a écrit :

    Réponse à Mitch : « My Uncle » est un film de Jacques Tati, version internationale de « Mon Oncle ». « Mon Oncle » (version originale, donc française) repassera en juin. Il n’y a rien de choquant dans tout cela. Désolé. S.T.

  11. Serge Toubiana a écrit :

    Réponse à Marielle Issartel. Les choses en effet sont claires : c’est à la demande de Métrobus que nous avons proposé une version différente de l’affiche de Tati. On aurait pu refuser et se passer de l’affichage métro et bus. Cela n’a pas été mon choix, et je ne le regrette pas. Cette campagne aura servi à montrer l’absurdité et le danger d’une application aussi restrictive de la loi anti-tabac. C’est déjà ça. Quant à faire la morale sur ce qu’il faut ou ne pas faire… c’est un autre débat. S.T.

  12. Romy a écrit :

    Au lieu de remuer du vent sur un débat vieillot et sans grand intérêt, pourquoi la Cinémathèque française reste-t-elle étonnamment silencieuse dans le cadre du débat sur la loi Hadopi ? C’est pourtant, il me semble, l’un des rôles d’une telle institution de s’impliquer dans des débats sur la diffusion d’un patrimoine artistique.
    Bien à vous.

  13. Question ?! a écrit :

    Bonjour,
    La version  » My Uncle » est une version simplement doublée de « Mon Oncle » ? Ou bien y a t-il eu un travail d’adaptation de modification effectué par le cinéaste en fonction du public Anglosaxon ? « My Uncle » est à voir ? en complément de « Mon Oncle » ?
    Avec mes remerciements

  14. marielle issartel a écrit :

    C’est clair sur ce blog, en effet, mais une autre version est racontée dans la pétition de la Ligue des droits de l’Homme qui court le web. Je ne suggérais qu’une rectification autorisée, mais bon. Demeurent les questionnements légitimes sur les choix face à la censure, qui sont le débat exactement. Pas que pour moi, apparemment.

  15. Serge Toubiana a écrit :

    Tati a supervisé lui-même la version internationale de « Mon Oncle », en travaillant la bande son de son film. On y entend des bouts de dialogue en anglais. « My Uncle » reçut l’oscar du meilleur film étranger en 1959. Pour plus de précision, consulter le DVD du film de Jacques Tati, dans lequel figure un documentaire de Stéphane Goudet, excellent spécialiste de Tati (et co-commissaire de l’exposition avec Macha Makeïeff), qui compare les deux versions du film. S.T.

  16. Merçi a écrit :

    Monsieur,
    Merci pour votre réponse. Je vais donc faire ce que j’aurais déjà dû faire : rendre visite à cette librairie si riche. Et aller voir « My Uncle ».
    Un cinéaste dont on apprécie le travail devient un sorte d’ami que l’on retrouve, redécouvre, à différents âges de la vie, toujours avec plaisir…On croit connaître son oeuvre et puis un jour un autre aspect de son travail de créateur se révèle à la curiosité. Heureux étonnement qui éclaire, nuance, nourrit la réflexion. C’est pourquoi je viens à la Cinémathèque… découvrir et redécouvrir. J’apprécie même le court métrage renié, Gai dimanche, il nous offre la possibilité de voir le comédien de music-hall se diriger déjà vers autres chose…
    Un grand merci pour le travail que vous effectuez dans cette maison qui a beaucoup changé, mais semble avoir conservé une poétique bien à elle.

    Très cordialement

    Sophie

  17. Tinor a écrit :

    C’est curieux mais j’ai revu « Mon Oncle » il y a peu de temps et sincèrement je ne vois pas ce qu’on lui trouve. L’esthétique ancienne, l’histoire pas spécialement marrante. Je dois être obtus, mais là franchement, je ne vois pas. D’ailleurs d’une manière générale Tati me laisse de marbre au grand désarroi de mon épouse…

  18. Vince Vint@ge a écrit :

     » Ces ayatolahs anti-tabac pourraient aussi sommer les éditions de BD de supprimer la pipe du Capitaine Hadock dans la collection des Tintin, ou de celle de Monsieur Prunelle dans la collection de Gaston Lagaffe, voire faire retirer de toutes les bibliothèques de France et de Navarre toutes les BD de Tintin, de Gaston Lagaffe ou de Rubric à Brac de Gotlieb !  » (Le Martinet)
    Bien vu, puisque vous parlez de BD, j’attendais que vous évoquiez… Lucky Luke. A ses débuts, ce cowboy cool, créé par Morris, avait tout le temps un mégot entre les lèvres mais, avec le temps, on l’a remplacé, histoire de ne pas pas créer un mauvais exemple pour les ados, p’tits jeunes et autres pieds nickelés friands de lectures BD buissonnières, par, je crois, une p’tite fleur ou une brindille, plus clean et clinique – à vérifier.
    Par Toutatis, il arrive à Tati/Hulot ce qu’il arrive à Lucky Luke. Certes, on peut s’en plaindre, crier à la censure et à un hygiénisme écologique-boboïsant contemporain rasoir, mais on peut aussi, en quelque sorte, se réjouir que Monsieur Hulot soit une sorte de toon comme Lucky Luke, tellement cartoonesque, tellement burlesque, tellement ligne claire façon BD franco-belge qu’on en vient à revoir son image, à savoir son  » pictogramme  » afin d’imprimer une légende dont la réalité est quelque peu retouchée, à la pipe près.
    Cette interdiction, face à une  » icône « , est aussi révélatrice de la force de pénétration dans nos consciences et dans nos mémoires visuelles collectives de  » l’imagerie et du blason Tati « . Ce mec-là, en à peine 7 films, a créé des images-symboles, des  » cases  » filmiques, qui collent à la rétine, au même titre qu’un Eisenstein, Cocteau, Chaplin, Kubrick et autres Leone. Je trouve ça fascinant, et je lui tire mon chapeau. Bref, quantité n’est pas qualité et Jacquot le Trottant, avec ou sans pipe, l’avait bien compris.
    (Et puis, entre nous, toute cette histoire de pipe interdite autour d’un personnage au demeurant asexué, c’est plutôt caustique – même Bill Clinton, dans ses jours de fête, doit en être jaloux, ou… Hugh Grant !!!)

  19. Hamideddine Bouali a écrit :

    merci de rendre visite à mon blog où je cherche le bureau des objets trouvés (perdus dans les photos), la bague de Dati, la Pipe de Tati, le mégot de Sartre, un képi de gendarme, une montre…suivez le lien http://du-photographique.blogspot.com/

  20. Pacsou a écrit :

    Question qui a peu à voir. Quel est le type de chapeau de M. Hulot ? Quelqu’un en connaît-il le nom ?
    Effectivement, Hulot sans sa pipe, c’est comme tintin sans milou : impensable. Ce n’est qu’un accessoire et non un objet utile.

  21. bet365 a écrit :

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