Archive pour le 24.11.2008

Retour du Caire

lundi 24 novembre 2008

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Deux jours et trois nuits au Caire, à l’occasion du 32è Festival International du film. Le Festival du Caire est le plus important des festivals de cinéma se déroulant dans le monde arabe. Il faut mentionner le Festival de Carthage, qui se déroule tous les deux ans en alternance avec celui de Ouagadougou au Burkina Faso, et celui de Marrakech qui se tient en ce moment même. Mais Le Caire a une bonne longueur d’avance, qui tient à l’ancienneté et à la place qu’occupe le cinéma égyptien, de loin la cinématographie la plus féconde de tout le monde arabe. Longtemps le cinéma égyptien a conçu et fabriqué un cinéma de genre – la comédie égyptienne – qui s’est exporté sur toutes les rives d’Afrique, du Nord au Sud, en concurrence avec l’énorme production indienne. Les films chantés avec Farid Al Atrache, Oum Kalsoum et Abdelwahab, ont fait les beaux jours des salles de cinéma d’à peu près tous les pays du Maghreb, sans parler des pays d’Afrique noire.

Une rencontre avait lieu jeudi en fin de matinée autour du cinéma africain. Occasion de débattre de problèmes déjà anciens : pour quelles raisons le cinéma en Afrique a-t-il tant de mal à « décoller » ? Comment expliquer son isolement ? Quels sont les divers obstacles qui empêchent son développement ? Pourquoi une si cruelle absence de structures de production, de distribution, sans parler des salles de cinéma que l’on ne compte plus que sur les doigts des deux mains ? La réponse, côté Afrique francophone, est connue. Trop de dialectes différents empêchent l’expression artistique de s’épanouir. Les quelques films africains produits chaque année sont quasi invisibles, n’accédant plus aux rares salles africaines. J’ai rappelé la programmation, conçue début 2008 à la Cinémathèque : Africamania. Plus de 80 films venus d’une vingtaine de pays, avec un réel succès public. Et dit l’importance de sauvegarder la mémoire du cinéma africain, quand on sait les difficultés de
la Cinémathèque Africaine de Ouagadougou. Relancer l’intérêt ou la curiosité pour ces cinémas d’Afrique nécessite des efforts autrement plus fournis. La question est aussi politique : comment sensibiliser concrètement les pouvoirs publics africains au nécessaire développement de cinématographies locales ? Lors de cette matinée, des propos très critiques furent tenus à l’encontre de la politique de coopération développée par la France. L’aide occidentale entraîne une corruption morale, disait l’une des intervenantes allant jusqu’à parler de censure et d’autocensure. Tout n’est pas rose en effet. Mais je connais assez de cinéastes africains, et non des moindres : Souleymane Cissé, Idrissa Ouedraogo ou Abderrhamane Sissako, qui ne feraient pas leurs films sans le recours à des coproductions. Le problème plus crucial, me semble-t-il, c’est que cette aide diminue, se dilue, ou devient plus difficile à obtenir. Mais je ne crois pas qu’elle soit dans sa nature même corruptrice. Sinon, par quoi la remplacer ?

Une des réponses aujourd’hui provient de l’Afrique anglophone, de pays comme le Nigéria et l’Afrique du Sud, qui ont su développer leur industrie cinématographique par des moyens nouveaux, en misant à fond sur le cinéma numérique. Le Nigéria produit plusieurs dizaines de films par an, dont le budget est très bas, environ cinquante mille dollars en moyenne. Et les recettes vont jusqu’à tripler la mise de départ. Tournés à la va-vite, distribués directement en DVD, ces films ont gagné leur marché et commencent à s’exporter sur le continent africain. Bonne nouvelle. Tout n’est donc pas perdu pour le cinéma africain, mais le chemin est lent, si lent.

Cette discussion menée tambour battant (moins de deux heures pour aborder les problèmes que rencontre le cinéma africain) m’a donné l’occasion et le plaisir de rencontrer une personne remarquable : Naky Sy Savané, actrice née en Côte d’Ivoire et vivant depuis peu à Marseille. Actrice ayant joué dans quelques films africains (Bal poussière de Henri Puparc, 1988 ; Afrique, mon Afrique de Idrissa Ouedraogo, 1995 ; La Nuit de la vérité de Fanta Régina Nacro, 2004, ou encore Moolaadé de Sembene Ousmane, 2004), Naky Sy Savané a créé le Festival « Miroirs et cinémas d’Afrique » à Marseille, qui en est à sa troisième édition. Le festival attribue un « prix Sembene Ousmane », et Naky Sy Savané a l’intention de créer un « prix Youssef Chahine » lors de la prochaine édition. La Ville soutient son projet, mais du bout des lèvres. Elle recherche des appuis, du côté de la Région PACA ou du Département, ou encore du ministère des Affaires étrangères. Réfugiée en France avec son mari, Naky Sy Savané se bat comme un beau diable, avec le sourire et un grand calme intérieur, pour faire vivre la culture africaine. Elle a créé son théâtre, Afriki Djugui, installée 27 rue d’Anvers dans le 4è arrondissement à Marseille. Aucun salarié, que du bénévolat. Elle y joue actuellement une de ses pièces, Femmes déchirées, avec des actrices venues de divers pays d’Afrique. Elle a aussi créé un festival du conte pour faire vivre la culture africaine dans toute sa diversité. Un exemple à suivre (et à aider). Habillée dans son costume traditionnel, toute bariolée, lèvres peintes en bleu, souriante, toujours à la recherche de contacts, Naky Sy Savané profitait de son séjour au Caire pour visiter un orphelinat, et nouer des contacts avec les responsables du cinéma égyptien, dans l’idée de programmer des films de Chahine, entre autres, lors du prochain festival « Miroirs et cinéma d’Afrique ». Marseille qui sera en 2013 « Capitale européenne » ne devrait pas oublier cette dimension du Sud, et faire appel au talent de Naky Sy Savané.

Le 32è Festival du Caire était dédié à la mémoire de Youssef Chahine, décédé à la fin du mois de juillet dernier. Une soirée se tenait vendredi soir à l’Ambassade de France, avec la projection en plein air de Gare centrale, réalisé en 1958. Inspiré du néoréalisme italien, ce film tourné en quatre semaines dans la grande gare du Caire est impressionnant par sa mise en scène et son rythme. Chahine y joue un des rôles principaux, celui d’un boiteux demeuré portant un regard lubrique sur de jeunes et jolies femmes aguicheuses, dont le travail consiste à vendre clandestinement des boissons fraiches aux voyageurs, en évitant de se faire prendre par la police. La trame est par essence populaire, les dialogues vont bon train, le style est enlevé, la structure en forme de conte. Après la projection, à laquelle assistaient Colette Chahine (que son mari appelait Coco), Gabriel et Marianne Khoury, les neveux et coproducteurs du cinéaste, de nombreux acteurs de Chahine, plusieurs intervenants (parmi lesquels Jacques Lassalle qui, lorsqu’il dirigeait la Comédie-Française, confia à Chahine une mise en scène de Caligula, la pièce d’Albert Camus, Jean-Michel Frodon et moi-même). Douce soirée pour célébrer la mémoire d’un cinéaste dont l’œuvre a tant marqué le cinéma égyptien, contribuant à en faire connaître la vitalité et l’énergie de par le monde.