Archive pour le 5.09.2011

Hommage à Miss Shirley MacLaine

lundi 5 septembre 2011

C’est un immense honneur pour la Cinémathèque française d’accueillir Shirley MacLaine, en partenariat avec le Festival de Deauville qui la recevait hier. Alfred Hitchcock, répondant à François Truffaut, disait ceci : « Trouble with Harry était le premier film de Shirley MacLaine ; elle était très bien et je crois qu’elle n’a pas mal réussi par la suite ».

C’est un euphémisme.

En France, les cinéphiles vous ont adorée dans Some Came Running (Comme un torrent), réalisé en 1959 par Vincente Minnelli. Vous apparaissez, débarquant d’un bus, le rouge aux lèvres, la robe un peu fripée, à la suite de Frank Sinatra qui, ayant quitté le service militaire, revient à Parkman, Indiana, sa ville natale.

Vous étiez irrésistible !

D’emblée les spectateurs vous ont perçue comme une jeune femme moderne, libre, un peu paumée, avec votre sac à main en forme de lapin : une fille simple mais aimante et riante, ne sachant pas cacher un cœur d’or. Dès lors vous êtes devenue pour toujours la petite fiancée de l’Amérique. Même si la fin du film est tragique : c’est vous, qui êtes l’innocence même, qui payez pour les autres.

Vous êtes une actrice de comédie au talent incroyable : vous dansez, vous chantez, vous jouez à un tel rythme que l’on peut lire votre jeu sur votre visage où tout va à une vitesse folle. Mais il arrive parfois qu’une ombre passe, que votre personnalité change, se transforme, faisant basculer le film dans le drame.

L’année suivante, Billy Wilder vous a engagée pour jouer dans The Apartment (La Garçonnière, 1960), que nous avons choisi de projeter ce soir. Vous y êtes bouleversante, aux côtés de Jack Lemmon. À l’origine du film, Billy Wilder a raconté qu’il s’était souvenu de Brève Rencontre (Brief Encounter), réalisé par David Lean en 1945.

« C’est l’histoire d’un homme qui a une liaison avec une femme mariée et qui vient la voir à Londres par le train. Ils vont dans l’appartement d’un ami à lui. Je l’ai vu et je me suis demandé : “Et qu’arrive-t-il au gars qui doit coucher dans ce lit où ils ont fait l’amour ?” C’est un personnage intéressant. J’ai noté ça dans mon carnet, et j’ai aussi noté d’autres choses. Le héros de cette chose, c’est le type qui endure ça, il y a été amené par un mensonge. Un employé de sa compagnie lui dit qu’il a besoin de changer de vêtements, et il se sert de son appartement… et voilà.

J’ai repris le projet parce que nous venions de terminer Certains l’aiment chaud et que j’aimais tellement Lemmon. Certains l’aiment chaud, c’était la première fois que je travaillais avec Lemmon, et je me suis dit : “C’est lui. C’est le gars qui doit jouer le personnage”. Un peu ballot, comme on l’a dit, on le prend en pitié. Mais La Garçonnière, j’y ai pensé pendant des années avant que le projet soit vraiment activé. “Que va ressentir ce type qui couche dans le lit que les amants ont quitté ?” C’est vraiment comme ça que ça a commencé. J’ai pensé : “Ça va être censurable.” Mais j’ai gardé l’idée, et quand la censure s’est un peu relâchée on a pu faire le film. »

Vous êtes inoubliable dans The Apartment, dans le rôle de miss Kubelik – avec deux K. Votre prénom est Fran, vous êtes liftière, un poste subalterne dans la grande compagnie d’assurances dont le patron est Fred MacMurray (Jeff D. Sheldrake), et où travaille C.C. Baxter (Jack Lemmon). Souriante, toujours aimable avec le personnel qui prend l’ascenseur le matin pour aller au travail, et le soir pour retourner à la maison. Vous êtes amoureuse du patron, un homme marié et cynique, ce qui vous met dans un drôle d’état.

Billy Wilder dit de vous que « vous étiez une professionnelle, capable de jouer la comédie, mais aussi des rôles plus sérieux ». Dès qu’on vous aperçoit, on y croit, on a envie d’y croire. Une belle frimousse, la coupe de cheveux, le rire facile. La séduction opère d’emblée. Et vous êtes dans le rythme de la comédie, cette chose si importante dans les films de Wilder, comme dans ceux de Lubitsch, McCarey, Capra ou Mitchell Leisen.

Vous êtes surtout une actrice moderne, qui ne s’apitoie pas sur elle-même, même lorsque vous prenez une bonne dose de somnifères, dans un moment de détresse. Vous ne pleurez pas sur votre sort. C’est la raison pour laquelle ce film n’a pas vieilli. Et il est à la gloire des paumés, Fran Kubelik et C.C. Baxter, ceux qui n’ont pas droit au chapitre dans l’Amérique triomphante des grandes compagnies.

Billy Wilder a de nouveau fait appel à vous, cette fois pour incarner une Française dans Irma la douce. Cette fois encore avec Jack Lemmon comme partenaire. Ayant joué un tel rôle, celui d’une prostituée au grand cœur, il est normal que la France vous adopte et vous aime. Et vous remette aujourd’hui, des mains de Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, la Légion d’honneur.

Vous dîtes souvent avoir plusieurs vies. Dans votre vie d’actrice, vous avez rencontré des cinéastes d’envergure comme William Wyler, Frank Tashlin, Robert Wise, Don Siegel, Bob Fosse, Herbert Ross, Mike Nichols, Hal Ashby, Vittorio de Sica, entre autres. Et vous avez été la partenaire d’acteurs prestigieux comme Sinatra, Dean Martin, Jack Lemmon, Clint Eastwood, Robert Mitchum, Jerry Lewis, Peter Sellers ou Jack Nicholson. J’ai un souvenir très fort de Terms of Endearment (Tendres passions), réalisé par James L. Brooks, film pour lequel vous avez reçu l’Oscar en 1983.

Jouer la comédie, danser, chanter, travailler pour la télévision, réaliser des documentaires, sont autant de vies différentes. Ecrire des livres aussi, pour raconter votre vie de star ou pour partager vos idées ou vos croyances concernant la méditation spirituelle.

Nous sommes admiratifs de vous voir ainsi naître et renaître, d’une vie à une autre, avec ce regard souriant et gai, cette vitalité et ce talent. Sans doute êtes-vous une rebelle, quelqu’un qui échappe aux classements et aux codes, à l’ordre établi. Vous avez le don d’être libre et indépendante, fière de ce que vous êtes : une personne remplie de talents multiples. C’est pour cela que nous vous admirons, depuis si longtemps, et sommes si heureux de vous avoir parmi nous.