Hommage à Miss Shirley MacLaine

C’est un immense honneur pour la Cinémathèque française d’accueillir Shirley MacLaine, en partenariat avec le Festival de Deauville qui la recevait hier. Alfred Hitchcock, répondant à François Truffaut, disait ceci : « Trouble with Harry était le premier film de Shirley MacLaine ; elle était très bien et je crois qu’elle n’a pas mal réussi par la suite ».

C’est un euphémisme.

En France, les cinéphiles vous ont adorée dans Some Came Running (Comme un torrent), réalisé en 1959 par Vincente Minnelli. Vous apparaissez, débarquant d’un bus, le rouge aux lèvres, la robe un peu fripée, à la suite de Frank Sinatra qui, ayant quitté le service militaire, revient à Parkman, Indiana, sa ville natale.

Vous étiez irrésistible !

D’emblée les spectateurs vous ont perçue comme une jeune femme moderne, libre, un peu paumée, avec votre sac à main en forme de lapin : une fille simple mais aimante et riante, ne sachant pas cacher un cœur d’or. Dès lors vous êtes devenue pour toujours la petite fiancée de l’Amérique. Même si la fin du film est tragique : c’est vous, qui êtes l’innocence même, qui payez pour les autres.

Vous êtes une actrice de comédie au talent incroyable : vous dansez, vous chantez, vous jouez à un tel rythme que l’on peut lire votre jeu sur votre visage où tout va à une vitesse folle. Mais il arrive parfois qu’une ombre passe, que votre personnalité change, se transforme, faisant basculer le film dans le drame.

L’année suivante, Billy Wilder vous a engagée pour jouer dans The Apartment (La Garçonnière, 1960), que nous avons choisi de projeter ce soir. Vous y êtes bouleversante, aux côtés de Jack Lemmon. À l’origine du film, Billy Wilder a raconté qu’il s’était souvenu de Brève Rencontre (Brief Encounter), réalisé par David Lean en 1945.

« C’est l’histoire d’un homme qui a une liaison avec une femme mariée et qui vient la voir à Londres par le train. Ils vont dans l’appartement d’un ami à lui. Je l’ai vu et je me suis demandé : “Et qu’arrive-t-il au gars qui doit coucher dans ce lit où ils ont fait l’amour ?” C’est un personnage intéressant. J’ai noté ça dans mon carnet, et j’ai aussi noté d’autres choses. Le héros de cette chose, c’est le type qui endure ça, il y a été amené par un mensonge. Un employé de sa compagnie lui dit qu’il a besoin de changer de vêtements, et il se sert de son appartement… et voilà.

J’ai repris le projet parce que nous venions de terminer Certains l’aiment chaud et que j’aimais tellement Lemmon. Certains l’aiment chaud, c’était la première fois que je travaillais avec Lemmon, et je me suis dit : “C’est lui. C’est le gars qui doit jouer le personnage”. Un peu ballot, comme on l’a dit, on le prend en pitié. Mais La Garçonnière, j’y ai pensé pendant des années avant que le projet soit vraiment activé. “Que va ressentir ce type qui couche dans le lit que les amants ont quitté ?” C’est vraiment comme ça que ça a commencé. J’ai pensé : “Ça va être censurable.” Mais j’ai gardé l’idée, et quand la censure s’est un peu relâchée on a pu faire le film. »

Vous êtes inoubliable dans The Apartment, dans le rôle de miss Kubelik – avec deux K. Votre prénom est Fran, vous êtes liftière, un poste subalterne dans la grande compagnie d’assurances dont le patron est Fred MacMurray (Jeff D. Sheldrake), et où travaille C.C. Baxter (Jack Lemmon). Souriante, toujours aimable avec le personnel qui prend l’ascenseur le matin pour aller au travail, et le soir pour retourner à la maison. Vous êtes amoureuse du patron, un homme marié et cynique, ce qui vous met dans un drôle d’état.

Billy Wilder dit de vous que « vous étiez une professionnelle, capable de jouer la comédie, mais aussi des rôles plus sérieux ». Dès qu’on vous aperçoit, on y croit, on a envie d’y croire. Une belle frimousse, la coupe de cheveux, le rire facile. La séduction opère d’emblée. Et vous êtes dans le rythme de la comédie, cette chose si importante dans les films de Wilder, comme dans ceux de Lubitsch, McCarey, Capra ou Mitchell Leisen.

Vous êtes surtout une actrice moderne, qui ne s’apitoie pas sur elle-même, même lorsque vous prenez une bonne dose de somnifères, dans un moment de détresse. Vous ne pleurez pas sur votre sort. C’est la raison pour laquelle ce film n’a pas vieilli. Et il est à la gloire des paumés, Fran Kubelik et C.C. Baxter, ceux qui n’ont pas droit au chapitre dans l’Amérique triomphante des grandes compagnies.

Billy Wilder a de nouveau fait appel à vous, cette fois pour incarner une Française dans Irma la douce. Cette fois encore avec Jack Lemmon comme partenaire. Ayant joué un tel rôle, celui d’une prostituée au grand cœur, il est normal que la France vous adopte et vous aime. Et vous remette aujourd’hui, des mains de Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, la Légion d’honneur.

Vous dîtes souvent avoir plusieurs vies. Dans votre vie d’actrice, vous avez rencontré des cinéastes d’envergure comme William Wyler, Frank Tashlin, Robert Wise, Don Siegel, Bob Fosse, Herbert Ross, Mike Nichols, Hal Ashby, Vittorio de Sica, entre autres. Et vous avez été la partenaire d’acteurs prestigieux comme Sinatra, Dean Martin, Jack Lemmon, Clint Eastwood, Robert Mitchum, Jerry Lewis, Peter Sellers ou Jack Nicholson. J’ai un souvenir très fort de Terms of Endearment (Tendres passions), réalisé par James L. Brooks, film pour lequel vous avez reçu l’Oscar en 1983.

Jouer la comédie, danser, chanter, travailler pour la télévision, réaliser des documentaires, sont autant de vies différentes. Ecrire des livres aussi, pour raconter votre vie de star ou pour partager vos idées ou vos croyances concernant la méditation spirituelle.

Nous sommes admiratifs de vous voir ainsi naître et renaître, d’une vie à une autre, avec ce regard souriant et gai, cette vitalité et ce talent. Sans doute êtes-vous une rebelle, quelqu’un qui échappe aux classements et aux codes, à l’ordre établi. Vous avez le don d’être libre et indépendante, fière de ce que vous êtes : une personne remplie de talents multiples. C’est pour cela que nous vous admirons, depuis si longtemps, et sommes si heureux de vous avoir parmi nous.

11 Réponses à “Hommage à Miss Shirley MacLaine”

  1. Berger a écrit :

    Hommage à la Cinémathèque
    Si Mme MacLaine est une rebelle, la Cinémathèque, elle, ne l’est pas.
    La Cinémathèque, elle, n’échappe assurément pas à l’ordre établi. La Cinémathèque, elle, en reléguant le bas peuple entassé en fond de salle, contribue à ramper devant l’ordre quasi monarchique de ce monde de privilèges qui étale sa graisse et sa bêtise aux bonnes places. La cinémathèque, elle, n’est pas libre ni indépendante en ne prévenant pas ses clients qui ont attendu plusieurs heures qu’ils trouveront dans la salle (qu’ils payent) des zones interdites. La Cinémathèque, elle qui plastronne et bouffonne de vagues pseudo-engagements, qui programme tant de beaux esprits en les admirant, n’est pas inoubliable. En rendant aujourd’hui ma carte d’abonnement, j’oublie la Cinémathèque. La Cinémathèque manque décidément d’élégance. La Cinémathèque fait semblant de diffuser une culture de la liberté, tout en se vautrant devant le triste pouvoir des crétins qui règnent sans partage. La Cinémathèque n’est pas belle ni rebelle, c’est une triste et veule bouffonne. Ciao. Restez donc entre vous en bêlant vos admirations.

  2. serge toubiana a écrit :

    Je veux bien me considérer comme un de ces « crétins qui règnent sans partage ». Toutefois, il est regrettable que vous vous considériez vous-même comme un « client ». Sachez que la Cinémathèque n’a pas de clients mais un public. Il est triste que vous n’en fassiez plus partie…

  3. Berger a écrit :

    Monsieur Toubiana, vous me faites regretter les guillemets que je n’ai finalement pas mis au mot « clients ». Je me doutais bien que, si réaction il y avait, c’est là-dessus que vous sauteriez à pieds joints. Cela étant, et compte tenu de l’expérience d’hier, je ne peux en tout cas pas me considérer comme élément de votre « public » puisque vous jouez un jeu privé (sans guillemets) et tenu secret jusqu’au fait accompli. La collusion avec les pouvoirs les plus répugnants, les discrètes forces de police habilement saupoudrées cà et là, l’organisation de la séparation en zones interdites ne me fait pas penser que vous êtes un crétin qui règne sans partage, mais plutôt que vous en êtes un des zélés et innombrables valets. L’institution dont vous êtes directeur général, au-delà du fait qu’elle soit publique ou privée, devrait juste assumer sa position et programmer moins de films engagés politiquement et célébrer autre chose que la liberté, les belles et rebelles actrices, l’insubordination et j’en passe… Il est triste, en effet, que je ne puisse plus venir à la Cinémathèque sans vomir, mais cette tristesse m’est toute personnelle. Je vous prie de bien vouloir vous asseoir sur la vôtre. Un « client » de moins, dix moutons de retrouvés ! À bon entendeur, monsieur le directeur général, et bien des choses à monsieur le ministre. Et vive les rebelles et la liberté !

  4. serge toubiana a écrit :

    On se passera de vous, et on n’en fera pas une affaire. Votre propos est absurde, débile sur le plan politique, et le cinéma n’y occupe pas la place qu’il mérite. Je suis fier d’avoir organisé, avec l’équipe de la Cinémathèque, cette belle soirée en hommage à Shirley MacLaine. Il y avait un spectateur mécontent, c’était vous. Et pour de mauvaises raisons.

  5. Gould a écrit :

    Les propos de Berger ne peuvent être cautionnés tant sur le fond que sur la forme.

    Moi même abonné depuis des années, je formulerai les choses différemment : la cinémathèque est victime de son succès, et les abonnés cibles collatérales (et ce n’est pas un hasard si, et saluons votre initiative, vous modifiez votre politique de réservation).

    En déménageant sur Bercy, la Cinémathèque a changé de stratégie, et de visage : moins chaleureuse, plus impersonnelle, plus consensuelle aussi, on sent bien que la machine commerciale est plus puissante. Nul ne peut vous reprocher que de chercher la rentabilité en programmant des événements largement relayés par les médias (paradoxe : il y a 5 ou 10 ans je doute qu’une rétrospective Mellville à Chaillot aurait-elle attiré autant? j’en doute).

    Alors, c’est quand même un paradoxe que de devoir aller payer sa place au MK2 de l’autre côté de la seine pour voir des Kubrick quand il faut faire la queue minimum 1h30 avant rue de Bercy. Sans nostalgie, je me dis parfois que l’absence du chat qui arpentait les couloirs de Chaillot n’est pas un hasard 😉

    Oui on peut se sentir privilégié lorsque vous nous permettez d’assister à ces soirées exceptionnelles, mais on a le droit également d’être frustré de rester aussi dehors parce qu’une majorité des sièges est réservé aux VIP ou « professionnels de la profession », lesquels ne mettent jamais ou très rarement les pieds à la Cinémathèque en temps normal.

    Malgré tout, et jusqu’à maintenant, pour la richesse de la programmation, les pépites à dénicher, les films à redécouvrir, certaines rencontres, je reste fidèle.

  6. serge toubiana a écrit :

    Vous avez le droit d’être nostalgique de Chaillot. Le problème est que nous n’y sommes plus. Et que nous n’y retournerons pas. Cela ne me gêne absolument pas qu’une rétrospective Melville attire davantage de spectateurs qu’il y a dix ans. Bien au contraire. Est-ce à dire que l’oeuvre de Melville aurait changé ? Je ne le pense pas. Concernant les films de Kubrick, la Cinémathèque les a programmés, chacun, à trois reprises. Et nous nous étions concertés avec Warner pour que les films soient visibles en salles. Il y avait la queue rue de Bercy, en effet. La Cinémathèque n’est pas et ne sera pas un « club privé », réservé à quelques-uns. C’est ainsi, et je m’y emploie. La froideur du lieu ? Vous n’étiez pas présent hier, lors de la venue de Nanni Moretti ? Il y a assez de témoins qui vous diront que l’ambiance était excitante, chaleureuse. Idem lors du passage de Shirley MacLaine ludi dernier.

  7. Gould a écrit :

    Finalement, j’aurais donc mieux fait de me taire…

  8. Frank AIDAN a écrit :

    Messieurs,

    Prenant connaissance de cette petite polémique, je ne peux qu’être surpris par l’argument consistant à reprocher à son Directeur général d’avoir fait en sorte que la CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE devienne ce qu’elle est aujourd’hui : ancrée dans la tradition et à la pointe de la modernité, portant le cinéma d’hier comme celui d’aujourd’hui, mettant en valeur et en lumière des personnes du cinéma venant de branches fort diverses (réalisateurs, directeurs de la photo, scénaristes, producteurs… et bientôt l’un des trois plus grands critiques de l’histoire de cet art que nous aimons), mais aussi très connues ou presque inconnues et même tel studio ou courant, mouvement, etc. Cette politique me paraît notamment partir du principe que le cinéma marche sur deux jambes, qu’il est séduction et paillettes, mais aussi, esthétique et recherche, donc que l’on rencontre tout autant, dans cette même maison, KUBRICK, HITCHCOCK ou Juliette BINOCHE, qu’HANOUN, GHATAK ou le cinéma estonien, tel cycle pouvant bien sûr être à cheval sur les deux catégories.

    Et si tout cela plaît sans que pour autant l’essence même du projet « langloisien » – (tout) conserver et (tout) montrer – soit altéré, au nom de quel juste motif s’en plaindre ?

    En ce qui touche maintenant le traitement du public dénoncé par le premier mail de ces échanges, peut-on reprocher à la Direction de la CF d’inviter des personnes connues du monde du cinéma (c’est ce que je crois comprendre, je n’y étais pas) pour un hommage à Shirley MACLAINE, star internationale à la carrière pour le moins brillante ?

    Il reste l’argument du commerce et de l’affluence, de la stratégie commerciale qui viserait à obtenir cette affluence. Si l’on peut douter que le but de cette vénérable institution soit lucratif, l’on est parfois en effet, confronté à quelques effets de mode qui font cependant et aussi partie du cinéma.

    Et dans tout ça, au fait, qu’est devenu le chat ?

  9. serge toubiana a écrit :

    Je vous remercie pour ces propos apaisants, et qui rendent si bien compte du projet de la Cinémathèque.
    Quant au chat de Chaillot, il est mort de vieillesse, m’a-t-on dit récemment. Il n’a pas survécu au déménagement, peut-être…

  10. Gould a écrit :

    Je suis d’accord avec vos propos Frank.

    Je dis just qu’un peu moins de coterie aux détriment des fidèles, et des vrais amoureux du cinéma ou de la cinémathèque, ne ferait pas de mal.

  11. Tina a écrit :

    On peut reprocher que les ressentis, les émotions soient exprimés de manière virulente. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont été – à des degrés divers – ceux de beaucoup de spectateurs ce soir-là. En effet, l’attente était longue pour obtenir un ticket ; l’attente était longue avant que Ms. MacLaine n’entre sur la scène de la salle Langlois ; le public apprend alors que quelque chose de très intéressant se passait sur la mezzanine pendant qu’il attendait longuement : F. Mitterrand remettait une décoration à S. MacLaine, avec discours du premier. Grande frustration pour le public. Etait-il possible d’organiser différemment l’événement afin de ne pas induire de tels ressentis ? La remise aurait-elle pu avoir lieu sur la scène de Langlois, par exemple ?
    Sur l’entretien avec S. MacLaine : questions plutôt convenues ; heureusement, les réponses l’étaient moins. Dommage qu’il n’y ait pas eu plus d’interaction avec la salle : à mon sens, cela aurait été plus intéressant.

    Par ailleurs, il est difficile de reprocher à la Cinémathèque d’avoir une politique commerciale efficace. C’est un but louable que de faire venir le public pour découvrir le cinéma. A chacun, ensuite, de se saisir de pans de culture cinématographique. Personne ne pourra jamais empêcher l’effet bobo ; il y aura toujours un nombre de personnes qui viendront par effet de mode, parce qu’on en a parlé dans certains journaux ou sur certaines radios, et non par réel choix personnel (c’est le même processus avec les expos du Grand Palais : combien de visiteurs sont-ils de réels amateurs de peinture ? combien vont régulièrement dans un musée ou voir des expos ?). Mais parmi ces personnes, certaines seront touchées et reviendront par goût personnel. C’est ça qui compte.
    Le chat (Charlot, je crois ?) est mort avant le déménagement, si je ne me trompe.