Archive pour le 24.04.2011

Foutaises ! Foutaises ! Inoubliable Marie-France Pisier

dimanche 24 avril 2011

« Foutaises ! Foutaises ! » Elle le disait avec une incroyable désinvolture, une insolence teintée de snobisme, et un charme indescriptible. C’était dans Souvenirs d’en France d’André Téchiné (1975), un film à voir et à revoir tellement il était vivant et vibrant, chronique familiale et provinciale autour de ses mythes et ses figures. Téchiné se plaçait sous la double influence de Brecht et de Roland Barthes, B&B, faisant preuve d’un don pour le typage de ses personnages, leur donnant une profondeur romanesque tout en se tenant à la bonne distance. Marie-France Pisier avait déjà joué dans Paulina s’en va, le premier film de Téchiné (avec Bulle Ogier), avant de poursuivre cette complicité dans deux autres de ses films : Barocco (avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu), puis Les Sœurs Brontë où elle jouait le rôle de Charlotte, tandis que les deux Isabelle, Huppert (Anne) et Adjani (Emilie) complétaient un casting de rêve. À travers cette collaboration féconde avec Téchiné, Marie-France Pisier fut identifiée à une actrice antinaturaliste, adepte de la composition et travaillant son jeu et son langage en les calant sur une certaine idée de la mise en scène. Ce qu’on appelle dans le jargon cinéphile la « modernité ».

Ses débuts au cinéma se firent sous la bénédiction de François Truffaut. Il déniche la jeune fille, alors âgée de 18 ans, lors du casting de son court-métrage Antoine et Colette, qui faisait partie du film à sketches intitulé L’Amour à vingt ans. Truffaut s’est en effet laissé convaincre de tourner une suite des Quatre Cents Coups, renouant avec son personnage fétiche Antoine Doinel, alias Jean-Pierre Léaud. « Marie-France Pisier, disait Truffaut, avait cette désinvolture des filles nées après la guerre et qui entrent dans les endroits sans dire ni Monsieur ni Madame. Moins d’humilité que les aînés mais plus de courage, plus de vaillance, et ils attendent davantage de la vie. Marie-France Pisier était très intéressante, sa voix irritait beaucoup de gens, moi, je l’aimais parce qu’elle avait beaucoup de réalité. C’est un des personnages les plus réels que j’aie eux sur un écran » (Entretien avec Agathe Godard, Vingt Ans, 3 janvier 1973). Le court métrage se tourne en toute liberté, avec beaucoup d’improvisation, Truffaut se sentant euphorique après le succès de Jules et Jim. Surtout, la famille de Colette est au fond l’antithèse de celle des Quatre Cents Coups, harmonieuse et gaie. N’oublions pas que c’est un des thèmes « truffaldiens » : trouver une famille d’accueil… Je me souviens de la scène tournée salle Pleyel, où Doinel assiste à un concert des « Jeunesses musicales de France », l’œil sans cesse attiré par la jolie Colette qui, de profil, mâchonne le collier qu’elle porte au cou. Magnifique scène d’un coup de foudre muet, et sans retour. Sans oublier les scènes en famille chez les parents de Colette, avec Rosy Varte la mère, et François Darbon le beau-père. Réplique dans la bouche de Marie-France Pisier : « Question : où est-on mieux que dans sa propre famille ? Réponse : partout ailleurs ! » Et Léaud-Doinel de rire de l’audace de cette jeune fille libre et insolente dont il est amoureux.

Marie-France Pisier a incarné cette vitalité, cette insolence et cette modernité durant toute sa carrière d’actrice. Elle est née sous ce signe, dont il était impossible de se débarrasser. Bien des années plus tard, Truffaut encore lui fit appel à Marie-France Pisier pour réaliser le dernier épisode de la saga Doinel : L’Amour en fuite. Truffaut n’aimait pas beaucoup ce film, sans doute le trouvait-il disparate et pas assez homogène. Il a tort car c’est au contraire un film très moderne, marqué par la psychanalyse ou par l’autoanalyse : toute la vie d’Antoine Doinel se trouve ici analysée, décortiquée, recomposée dans le mouvement même du récit, avec des retours en arrière, ses points de vue différents voire opposés qui se recoupent et s’entrecroisent, tout en participant de la fiction construite comme un puzzle amoureux. Et puis, comment oublier cette longue scène où Doinel, qui travaille comme correcteur dans une imprimerie, voit revenir un fantôme : Monsieur Lucien (Julien Bertheau), l’amant de sa mère (entraperçu, place de Clichy, dans Les Quatre Cents Coups, sous les traits de… Jean Douchet). Une scène au bistrot où Doinel et Monsieur Lucien sont face à face, suivie d’une autre au cimetière Montmartre, sur la tombe de la mère d’Antoine : « Ta mère était un petit oiseau, au fond c’était une anarchisteUne anarchiste ? Je n’ai jamais pensé à ma mère comme à une anarchiste, Monsieur Lucien. » Cimetière Montmartre, là justement où Truffaut est enterré, depuis octobre 1984. Mise en abyme, film dans le film, poupées russes. Scénario du remords, où Truffaut se réconcilie avec sa mère, bien des années après. Marie-France Pisier revenait dans ce dernier épisode, avocate et amoureuse (du libraire interprété par Daniel Mesguich), femme moderne, réprimandant vertement Antoine Doinel à cause de ses mensonges. Elle avait été associée au scénario de L’Amour en fuite, avec Suzanne Schiffman et Jean Aurel, Truffaut aimant bien le duo qu’elle composait avec Jean-Pierre Léaud.

Il faudrait évoquer la longue carrière de Marie-France Pisier, ses films avec Rivette (Céline et Julie vont en bateau), Robert Hossein, Tacchella (Cousin Cousine), Eduardo de Gregorio (Sérail), Luis Buñuel (Le Fantôme de la liberté), Alain Robbe-Grillet, Raoul Ruiz (elle seule pouvait incarner une irrésistible madame Verdurin dans Le Temps retrouvé, adapté de Proust), Yves Boisset (Le prix du danger), Andrzej Zulawski (La Note bleue), plus récemment Manuel Poirier (Marion) ou Christophe Honoré (Dans Paris). Et tant d’autres films et téléfilms. Elle joua également dans L’As des As, aux côtés de Belmondo, le film réalisé par Gérard Oury – je me souviens d’une polémique virulente dans la presse, du fait de l’échec relatif d’Une chambre en ville de Jacques Demy, sorti le même jour. Ce qui n’empêcha pas Marie-France Pisier de tourner dans Parking, deux ans plus tard, du même Demy. Elle décida avec audace de passer à la réalisation en adaptant elle-même son roman Le Bal du gouverneur, récit autobiographique qui laisse un très bon souvenir. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de voir son second, Comme un avion, qu’elle tourna en 2002. Marie-France Pisier fut aussi de tous les combats contemporains, pour la libération des femmes, l’avortement libre, l’abolition de la peine de mort… Elle était de son temps avec un naturel et une évidence qui la rendaient sympathique et proche, amicale. Je ne m’en remets pas d’avoir appris ce matin, par le coup de fil d’une journaliste, son décès dans le Var, où elle a une maison. Certaines morts arrivent parfois comme une délivrance. D’autres sont choquantes et inacceptables.

——————————————————————-

La Cinémathèque française organise une soirée en hommage à Marie-France Pisier, le jeudi 9 juin 2011, à partir de 19h30. Tous ses amis sont invités. Il y aura des prises de parole, et la projection de deux films : Antoine et Colette de François Truffaut + Les Soeurs Brontë de André Téchiné. Venez nombreux !