Votre blog est nul. Et vlan !

Lydia m’envoie un message lapidaire : Votre blog est nul. Et vlan ! Le propos est sans appel. Je le publie, espérant secrètement toucher Lydia, cette inconnue, par ma mansuétude. Tout en lui répondant ceci : il ne suffit pas d’affirmer un avis, aussi radical et définitif soit-il, pour qu’il soit juste. Le caractère sec, indiscutable, irrévocable du point de vue exprimé par Lydia, se retourne évidemment contre lui (contre elle). Mon blog n’est pas nul parce qu’il ne peut pas l’être : c’est moi qui l’affirme.

Pour critiquer une chose, mon blog par exemple, encore faut-il faire preuve d’une plus grande générosité que ces trois mots accolés : Ce film est nul. So what ! Critiquer c’est nécessairement fournir des arguments. Le fait que Lydia ne m’en fournisse aucun ne me facilite guère la tâche. Reprenons les choses à la base. Qu’en est-il de l’art de la critique ? Jean Douchet disait que la critique relève de l’art d’aimer. On peut rajouter : ou de l’art de ne pas aimer, de détester, voire de haïr. Ne pas aimer un film (ou mon blog), c’est aussi affirmer le regret de ne pouvoir l’aimer. Le cinéma est souvent fait d’amours déçus…

Tout cela tombe bien car je rentre d’Estoril où se tenait une sorte de séminaire sur la crise de la critique de cinéma. Le festival d’Estoril, créé par Paolo Branco, producteur franco-portugais et distributeur de films, en est à sa deuxième édition. Cette année, il a fait fort en invitant au jury Catherine Deneuve, J-M. Coetzee, Paul Auster, Julião Sarmento et Cristina Iglesias. Compétition, hommages à Bernardo Bertolucci, Tim Burton et Paul Newman. Exposition de photos de François-Marie Banier. En marge du festival, un colloque ou séminaire sur la critique, initié par Jean-Michel Frodon, directeur de la rédaction des Cahiers du cinéma. Plusieurs critiques parmi lesquels Jean Douchet (que l’on ne présente plus), Arnaud Macé, prof de philo et critique, Geneviève Troussier, qui anime avec passion le Café des Images à Hérouville-Saint-Clair, des critiques venus d’Espagne, d’Angleterre, d’Italie, de Tunisie et du Portugal. Certains travaillent dans des quotidiens, d’autres dans des hebdomadaires, ou encore dans des revues mensuelles. Ambiance très sereine et amicale, ensemble hétéroclite dont les points de vue convergent vers une sorte d’état des lieux. Oui, la critique de cinéma est en crise. Oui, ses valeurs sont à redéfinir, de même que ses pratiques. Oui, ses réflexes sont peu ou prou émoussés, sa crédibilité remise en cause par l’apparition de nouveaux modes de communication. Evidemment les blogs, évidemment Internet.

La fonction critique a plus de mal à s’exercer du fait de la multiplication des films, et plus généralement de la prolifération des images. Cette prolifération des images se double du caractère instantané de leur diffusion. Et de leur commentaire (via les blogs et les forums d’internautes). La révolution numérique qui bouleverse le mode de production et de diffusion des films, constitue une véritable secousse sismique dont il nous faut prendre la mesure et les effets. L’image nouvelle, numérique, inclut d’emblée, pour ainsi dire dès son origine, son mode de diffusion ou de communication. L’être-là des images n’est plus celui d’avant, n’implique plus un trajet ou un voyage : il est toujours déjà là, constitutif de l’image elle-même.

Changement de statut des images. Le cinéma pendant longtemps imposait un temps spécifique, entre le film (depuis sa conception, sa fabrication) et sa réception. D’abord par la critique, puis par les spectateurs. Changement d’époque. Ce qui est en grande partie « squizzé » dans cette mutation, c’est la place, c’est l’espace et c’est le temps autrefois dévolus aux intercesseurs ou aux « passeurs ». Et le critique, dans sa fonction traditionnelle, était et continue d’être un intercesseur entre le film et le spectateur. N’oublions pas qu’il a longtemps été le premier spectateur du film, avant le spectateur. Et qu’il a pour charge de transmettre un (premier) message dans le prolongement de cette vision première du film. Entre le moment où un film est exploité en salles (j’ose plutôt dire : exposé sur grand écran), et celui où il disparaît pour apparaître ailleurs, par exemple sur Internet (du fait du piratage généralisé), il se passe un temps qui ne cesse de se réduire. Comme si la vraie vie des films se déroulait ailleurs. Où ? Sur d’autres supports, et dans un autre espace-temps.

Donc : prolifération des images, et instantanéité de leur diffusion. Ce qui se perd ou se dilue, c’est la distance critique. Entre l’écran, entre l’image et le spectateur, il n’y a plus d’espace de jugement, pour autant que cet espace inclue nécessairement du temps, un temps de solitude relative, nécessaire à l’exercice du regard. Il me semble qu’il y a de nos jours une crise de cet espace-temps, où se joue ce droit de regard. La prolifération et le caractère instantané de la diffusion des images nous enlèvent cette illusion qui a toujours existé, que le temps jouait pour chacun afin de permettre d’exercer un regard sur les films. Une image chasse l’autre. Effet de zapping généralisé. Le rôle, la place et le discours de la critique, nécessairement, s’en ressentent. Tout cela mérite réflexion et approfondissement.

Pour retrouver de la crédibilité, la critique doit s’efforcer de réinventer cet espace de jugement nécessaire à l’exercice du regard. Vaste programme. N’étant plus critique de cinéma depuis plusieurs années, je me suis permis d’intervenir, dans le cadre agréable du séminaire d’Estoril, en changeant d’axe. De nos jours le cinéma se décline, selon moi, selon diverses temporalités. S’il existe bel et bien un Temps du cinéma, celui-ci se conjuguerait de cette manière :

       le Temps de l’actualité : les sorties des films nouveaux le mercredi ;

       le Temps de l’édition des films en DVD (en général six mois après leur sortie en salle : films + bonus et commentaires) ;

       le Temps de la multidiffusion sur Canal+ et sur les chaînes thématiques ;

      le Temps Internet : courts-métrages, films expérimentaux, amateurs, etc., conçus directement pour être diffusés via Internet, sans oublier le phénomène du piratage ;

      le Temps des rétrospectives (cinémathèques, festivals), des hommages, des ressorties dans les salles de répertoire ;

      le Temps des festivals : lieux de découverte des films, créant ainsi une sorte de second marché parallèlement à l’Art et Essai ;

       le Temps des expositions, où le cinéma après être entré au Musée se confronte à son histoire, et à sa relation avec les autres arts (peinture, photo, vidéo) ;

Ce Temps du cinéma se divise ainsi en autant d’entrées possibles. Sans oublier un temps de la technique (la révolution numérique bouleverse ou transforme toute la chaine de fabrication des films), un temps économique, un temps de l’édition (livres, revues, etc.), un temps de la recherche universitaire, un temps de l’archive (indexation, création de bases de données, consultation de documents), qui ne se confond d’ailleurs pas avec un temps de la mémoire. Ces différentes couches ou strates définissent ce que l’on pourrait appeler le Temps Symbolique du cinéma. Soumis à la très forte pression de la révolution numérique, cette temporalité n’en constitue pas moins une espèce d’architecture spatio-temporelle dans laquelle la fonction critique doit s’efforcer de retrouver ses marques. Le cinéma a gagné parce qu’il est partout, mais sa victoire symbolique s’est construite sur un éparpillement ou un éclatement né de la prolifération des images et de la multiplication des supports. Victoire mais partielle, entraînant un éclatement de la sphère Cinéma. La question qui se pose à la critique consiste à reconstituer une articulation entre ces différentes temporalités, sachant que chacune dessine un spectateur ou un « consommateur » différent, qui ne formule pas ou plus la même demande envers le cinéma. Exprimer un goût, une certaine idée du cinéma continue d’être un enjeu majeur. Mais il n’est pas exclusif de notre relation avec ces différentes strates ou couches qui définissent aujourd’hui l’espace Cinéma. C’est une question que l’on se pose quotidiennement à la Cinémathèque, dans notre manière de concevoir notre travail de programmation, d’exposition, de consultation ou d’accompagnement éducatif. Comment faire de cet espace qu’est la Cinémathèque, un lieu où le cinéma se décline selon diverses temporalités, avec des passerelles ou des points de rencontres.

On peut dater cette victoire (culturelle) du cinéma au moment où celui-ci célébra son centenaire : 1995. S’est alors institué un effet globalement « rétroviseur » : le cinéma s’est retourné sur sa propre histoire, pour commencer à mettre un peu d’ordre dans son patrimoine. Là-dessus est arrivée la révolution numérique, qui le contraint à se projeter en avant, à prendre des risques et à modifier en profondeur les processus de fabrication et de diffusion des images. Double effet conjugué : retour en arrière et bond en avant. D’où un sentiment relatif de schizophrénie. Le souci de mémoire se confronte simultanément à une forme d’amnésie née de la transformation numérique. A suivre.

P.S.: Je recommande d’aller sur un site internet pour découvrir une revue de cinéma en ligne. Son titre: Spectres du cinéma, numéro un, automne 2008. http://spectresducinema.blogspot.com

Critiques, analyses, et un très long et passionnant entretien avec Charles Tesson, sur les revues de cinéma. A lire.

 

14 Réponses à “Votre blog est nul. Et vlan !”

  1. najehsouleimane a écrit :

    c’était en 1992 et je n’avais encore jamais entendu quelqu’un s’exprimer sur le cinéma avec une telle passion, une telle émotion. raconter comment il en est venu, déjà enfant, à ne pas concevoir de métier, hors de la salle d’un cinéma. Parler du premier film qui l’a marqué à Tunis: « La Strada » de Fellini qu’il avait vu avec ses parents et qui l’avait terrifié (il avait 4 ou 5 ans à l’époque). Bref, je venais de mettre un visage sur le nom de mon critique préféré du temps où il était encore aux « Cahiers du cinéma ». Depuis que Serge Toubiana est à la Cinémathèque, mon plaisir est énorme de voir qu’il a repris l’écriture sur le cinéma via son blog. Même s’il n’a jamais tout à fait arrêté d’écrire sur le cinéma (livres, etc). Alors, désolée, qui que vous soyez, mais ce blog n’est pas nul, parce que celui qui le signe est un grand monsieur…

  2. Julien B. a écrit :

    Bonjour Monsieur Toubiana,

    Je vous rassure, votre blog n’est pas nul, loin de là, mais s’il prend parfois un peu trop l’allure d’une chronique nécrologique eu égard au nombre d’hommages posthumes publiés. On prend plaisir à lire vos analyses, vos positions et à suivre votre parcours du Japon aux USA.
    En ce qui concerne la crise de la critique, vous semblez grosso modo chercher sa source dans l’éclatement de la temporalité du cinéma et dans la multiplication des supports de diffusion. En somme, le cinéma est partout, tout le temps, et l’espace critique en souffre nécessairement. Soit.
    Mais ce qui me frappe en tant que jeune lecteur (j’ai un peu plus de trente ans), c’est aussi le manque un peu désespérant de critiques phares, éminents, et qui ont le don de vous donner l’envie d’aller voir un film – même difficile d’accès – toutes affaires cessantes rien qu’en publiant un papier ou en parlant à la radio (je ne parle pas de la télé où les critiques de cinéma ont tout juste l’espace nécessaire pour émettre un avis lapidaire et formaté). On cherche en vain aujourd’hui dans les revues les Daney, les Bory, les Truffaut ou une génération de critique de la trempe de celle qui officiait aux Cahiers au début des années 80 (avec Chion, Assayas, …).
    Pour combler ce manque, et si l’on a vraiment envie de lire des personnes capables de nous faire aimer le cinéma, on est donc face à une alternative :
    – à nouveau relire ou écouter les interventions des « grands » critiques (Tout Daney est en passe d’être publié, quelques unes de ses émissions de microfilms sont disponibles, quel plaisir … ) ce qui ne nous aide malheureusement pas beaucoup pour comprendre le cinéma actuel,
    – chercher sur internet des forums, des blogs de personnes véritablement passionnées qui, si elles ne sont pas professionnelles, écrivent des choses parfois beaucoup éclairantes et intéressantes que dans les revues officielles qui ont tendance à se fossiliser.
    Pour moi, si la critique « professionnelle » est en crise, c’est parce qu’elle n’a plus l’autorité de nous donner des référents solides pour comprendre où l’on en est dans ce magma permanent d’images dans lequel nous baignons quotidiennement.

    Cordialement,

    Julien B.

  3. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Julien B., merci d’avoir réagi. Je vous répondrai demain, c’est promis. Je suis pressé, car je pars pour Le Caire, pour participer à un hommage à Youssef Chahine. A très vite. S.T.

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Julien, vous répondez vous-même à la question que vous posez. En l’absence de « repères », il faut chercher soi-même, se faire une opinion. L’espace critique est lui aussi « éclaté », disséminé; il faut donc se frayer un chemin. Cela a toujours été le cas, même du temps de Serge Daney.
    C’est vrai, j’écris souvent sur les disparus. C’est mon côté « Chambre verte ». En parlant de Pollack, Chahine, et., ou de personnages comme Louella Intérim, je prolonge de manière illusoire une sorte de dialogue amical. Je défends l’idée qu’il ne faut jamais oublier: Marco Ferreri, Maurice Pialat, Truffaut, Doniol, Christian Bourgois, Pierre-André Boutang… A chacun j’ai le sentiment de devoir quelque chose, une partie de moi-même.
    Cordialement, Serge T.

  5. Lyon-Caen a écrit :

    Bonjour Serge,

    De passionnants propos sur la critique… Les 7 temps du « Temps de la critique », en particulier.
    Mais une chose me titille les parcourant : « les films expérimentaux ». Ils apparaissent dans la seule catégorie qui, à mes yeux, ne les concerne pas, et toujours dans cette idée des 7 temps, on ne les retrouve que là, comme s’ils n’étaient pas visibles en festival, ou peu visibles en salle… C’est bien sûr faux (car ils ne sont pas « conçus directement pour être diffusés via Internet », pourquoi donc ?), puisque par ex. la Cinémathèque y propose une excellente tribune (Nicole Brenez). Posons la question : où voir des films expérimentaux, sur le net, qui ne seraient pas récents, mais faisant partie d’une autre histoire du cinéma (non pas celle des cinémathèques, mais une plus officieuse) ?
    Où voir Un chant d’amour, sinon en salle ? Ou en DVD ? Outre You tube ?
    Pourquoi donc y vois-je, à travers ce classement, une certaine volonté de marginaliser ces films – ou de passer à côté volontairement ? Il n’y a pas de cinéma expérimental dans les rétrospectives ou dans les musées tels que Pompidou ? Mais on se demande plutôt : où parle-t-on de cinéma expérimental sur le net (à part chez Johanna Vaude) ?
    Puisque cette catégorie (qui, vous serez d’accord, n’en est pas une) relève des histoires du cinéma, de leurs écritures ; mais aussi touchent aux « éditions DVD », aux « rétrospectives » dont vous parlez, ou bien au « Temps des expositions »… pourquoi seulement dans le « Temps internet » ?
    Question subsidiaire et intéressée : à quand une éventuelle expo sur un sujet en rapport avec les avants-gardes (sans oublier l’actualité Dennis Hooper) ?
    Bien à vous. Merci.

  6. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Gilles,
    Vous avez raison, le cinéma d’avant-garde trouve et doit trouver sa place sur d’autres supports, et dans d’autres espaces que le seul internet. Ma « classification » laissait à désirer, imprécise. Vous évoquez à juste titre les programmations régulières de Nicole Brenez à la Cinémathèque. Ce cinéma a aussi sa place à Beaubourg, en lien avec les aventures plastiques les plus diverses. Ou dans les galeries d’art, ce qui est de plus en plus souvent le cas. Merci de contribuer au débat.
    amitiés, S.T.

  7. Samy a écrit :

    Mr Toubiana, ne pensez-vous pas que le cinéma est mort, je parle du vrai cinéma, celui qui fait rêver, celui qui rend meilleur et qui rapproche les gens. Le cinéma d’aujourd’hui est un cinéma qui sépare et qui cloître les gens chez eux. Cordialement. Samy.

  8. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Samy, difficile de vous répondre. Le cinéma à domicile ou sur son ordinateur, oui, ce cinéma-là sépare les spectateurs ou les divise. Mais il suffit d’aller voir un film en salle… Allez voir le film de Depardon, La Vie moderne, et vous constaterez que le cinéma peut encore créer du lien, même si ce lien est au fond imaginaire. Cordialement, S.T.

  9. Grégory Arkadin a écrit :

    Rejouer l’histoire,

    Refaire semblant,

    Feu illusoire

    D’un autre temps,

    Lueur cruelle,

    Clarté moqueuse,

    Folle étincelle,

    Triste et frileuse,

    Machine à rêve,

    Tu as bercé

    La vie sans trêve

    De nos aînés ;

    Or, laisse-nous,

    Las et inquiets,

    Reprendre goût

    Au monde épais !

    http://www.llrlc.com

  10. Jean-François a écrit :

    Critiques ? Avons-nous besoin des critiques pour nous donner envie d’aller voir des films, de lire des livres, d’écouter de la musique, de visiter une exposition ? Non, je ne crois pas.
    En fait, nous avons besoin de parler, d’échanger sur ce qui nous entoure et nous sollicite. Nous avons besoin de nous prémunir et de nous encourager, de choisir avec discernement. Cela est possible dans la communication et l’échange avec « l’autre » ; nous allons avoir envie de vivre ou de partager ces expériences : voir, lire, écouter… Recevoir un message, entrer en communication avec celui qui nous l’envoie (auteur, réalisateur, compositeur, acteur, interprète, artiste…), pour vivre au mieux ces rencontres, nous devons confronter nos expériences. Avec nos amis, notre famille, nos collègues (je suis bibliothécaire…), avec des professionnels de la critique aussi, mais pas seulement.
    Ces professionnels de la critique sont un maillon de cette chaîne d’échange, ils contribuent à la réflexion et au partage médiatique autour d’une oeuvre. Ils ne sont pas infaillibles, oublient parfois un succès populaire, tentent de nous engager dans des chemins tortueux, au risque de nous perdre, de nous décevoir, proposent des points de vue intelligents et référencés, absolument et nécessairement subjectifs (heureusement d’ailleurs), mais ils « ne sont que » complémentaires de tout ce qui se dire et se faire ailleurs (comptoir des cafés, blog, télévision, autour d’un bon repas, etc).
    Ils ne sont pas en danger de disparition, ils doivent cultiver leur érudition (ce qui fait leur différence et produit de la qualité) et continuer à sévir partout où on leur laisse des espaces de communication suffisant (exit la TV) : presse écrite, radio, Internet.
    Alors, avons nous besoin des critiques ? Oui, il est important qu’ils continuent faire partir de cette chaîne de communication autour des oeuvres artistiques.
    Merci à vous d’avoir lancé cette réflexion.
    Et un grand merci pour votre travail à la Cinémathèque, je viens d’y passer une semaine et votre équipe est formidable.

  11. BiBi a écrit :

    Le Cinéma ne peut mourir.
    Mais les hommes de cinéma, oui : Claude Berri.
    La mort lente : Marin Karmitz, donnant l’accolade à Little Nikos.

    BiBi a revu « Journal intime » de Nanni Moretti, qui dit sur sa vespa, tout du Cinéma, de ses enjeux, de ses Surveillants, de ses Censeurs. Il donne ses impressions…
    « Comment oublier cette balade en Vespa ? Comment oublier le film de Nanni Moretti s’ouvrant sur un homme en scooter noir ? «Sur ma vespa» est le premier des trois chapitres de « Journal intime » tourné en 1994. Il dure 27 minutes et quarante secondes. Pas de plus belles séquences sur une ville (Rome) que ces minutes et que ces quelques secondes.
    Nanni se balade en scooter, emprunte les chemins, serpente les rues en longs panoramiques. Rêveries d’un promeneur solitaire ? Non, pas tout à fait, parce qu’il «sera toujours avec peu de gens», parce qu’il gardera toujours sa «confiance en l’homme mais pas dans la majorité ». Il prend son temps pour dire que le temps presse : il y a urgence à dire qu’il déteste le film Henry, Portrait d’un serial killer de John MacNaughton, qu’il se désole d’une pitoyable et affligeante apologie du film. Le voilà qui s’arrête à Garbatella avant d’embrayer sur Casalpalocco : sinuosités, liberté de ton, fluidité des plans et des images. Il interpelle un résident du quartier sur sa jeunesse de 1961, piétinée, déniée. Nanni Moretti est en colère : sa rage est brève mais bien sentie. Il monte le ton contre l’omniprésence des « chiens de garde et des cassettes-vidéos » derrière les murs des villas-blockhaus. En voix-off et en images, Nanni dit ce qu’il aime, il aime les musiques conjuguées de Khaled («Didi »), de Leonard Cohen ( «I’m a Man ») et de Keith Jarrett ( le concert de Koln), il aime la danse (merveilleuse apostrophe en langue italienne de Jennifer Beals, héroïne de «Flashdance »). Et comment ne pas le rejoindre pour s’engager avec lui sur ces magnifiques panoramiques de quartiers romains (les prononcer, là encore, avec l’accent italien du réalisateur : Garbatella 1927, Village olympique 1960, Tufello, 1960, Vigne Nuove, 1987) ? Comment ne pas aimer ce rythme filmique tout en déambulations et en virages, le tout pris sans brusquerie. «Ce que j’aime faire aussi, c’est regarder les maisons, dit-il de son accent inimitable. Comme ce serait beau un film fait de maisons, de panoramiques sur les maisons ». Premier film où le décor – qui n’en est plus un – devient le corps du film.
    La ville revisitée, la ville et ses quartiers populaires d’antan, la danse, le cinéma à venir, le cinéaste Pasolini, fantôme en bordure d’écran : tout s’accumule. Comme ces Unes des journaux empilés sur l’assassinat du cinéaste de la Marge, de la Minorité.
    Plage du crime, plage du film en longs plan-séquences. Ce « Pasolini-Plage » est à rebours des sables brûlants de la Méditerranée. Sur les à-côtés, la lande est pelée, les roseaux sont vert pâle et au détour, juste derrière les barres de sûreté de la route, il y a un terrain de foot qui a la gale, il y a deux poteaux rouillés et une stèle mangée par le temps. Et encore juste derrière le vieux grillage, voilà Pasolini, toujours vivant, voilà toujours, en promesse entière, une certaine vision d’un cinéma rageur et enragé. “ Voilà, semble nous dire Nanni Moretti, des films vont se faire, des films vont venir : ils seront indestructibles”.
    Continuez de nous livrer vos impressions ici : BiBi y revient régulièrement.

  12. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Bibi, je partage votre engouement, votre passion pour ce film de Nanni Moretti, Journal Intime. J’ai revu il y a dix jours Palombella Rossa, d’un bout à l’autre. Je l’avais plus qu’aimé à sa sortie, je l’ai revu avec émotion (et j’ai ri, comme la première fois). Derrière l’humour, il y a l’incantation propre à Michele, et il y a aussi une douleur, un point de douleur qui m’apparaît plus évident qu’à l’époque. Etre seul, comme Moretti, et ressentir le pouls du monde: là est son génie propre. Merci de votre contribution. S.T.

  13. Rassoul Samy a écrit :

    Raconter le cinéma par le son, est-ce possible ? Transposer les émotions en images, en émotions sonores ; les faire partager avec un nombre important d’auditeurs qui, pour la plus part, ne sont jamais allés voir un film en salle et qui tissent des liens imaginaires avec les faiseurs d’images intervenants dans cet espace radiophonique qu’est « cinérama » de la radio algerienne. L’avis de mr Toubiana est utile à plus d’un titre. Cordialement. Samy.

  14. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Samy, je vous réponds oui : le cinéma par le son passe très bien à la radio. J’en ai fait l’expérience à plusieurs reprises en concevant diverses émissions sur le cinéma pour France Culture. Il se crée avec le film une sorte d’intimité assez mystérieuse, qui renvoie à l’univers sonore, à l’atmosphère ou l’ambiance du film. Et, loin de l’appauvrir, lui donne une dimension nouvelle et accueillante. S.T.