Jubilante Juliette

C’est sa saison : Juliette Binoche danse, fait l’actrice, dessine et se dessine, écrit et s’expose. Elle est sur tous les fronts. Au Théâtre de la Ville, pour une dizaine de jours (jusqu’au 29 novembre), dans un spectacle de danse avec Akram Khan. Cela s’appelle IN-I. Cette création, qu’ils ont tous deux conçue, a déjà été jouée à Londres et Bruxelles ; elle ira après Paris un peu partout dans le monde, à Montréal, Abu Dhabi, Sidney, Tokyo, Séoul, Shanghai et Pékin, puis New York. Grande tournée qui s’annonce triomphale.

J’étais mardi soir au Théâtre de la Ville lors de la générale. Salle pleine, beaucoup de professionnels, d’amis, etc. Accueil enthousiaste. IN-I dure à peine un peu plus d’une heure et on ne s’y ennuie pas une seconde. C’est comme une longue scène d’amour, un corps à corps entre Juliette Binoche et Akram Khan. Comme dans les scènes d’amour (au cinéma), il y a de la bagarre ou de la dispute, du jeu, de la mauvaise foi, un hommage au burlesque : je te repousse pour mieux t’attirer à nouveau dans mes bras. Akram Khan, danseur émérite, a à peu près la même taille que Juliette Binoche. Côte à côte, c’est troublant : le féminin et le masculin, face à face, ensemble, fusionnant dans un même geste, un même rythme, et un même corps. Émouvant de les voir se déplacer tels des alter ego, amants, ou frère et sœur, dansant, se tenant par la main, s’embrassant, se chamaillant, se repoussant pour mieux se jeter dans les bras. Bref : solidaires. Leurs corps se mêlent et s’entremêlent. Lui, le professionnel, épaule celle qui n’avait jusque-là jamais dansé. Juliette Binoche se donne à plein, on sent et l’on voit sa fougue, sa joie, son goût du risque. D’autant qu’en plus de danser, elle joue la comédie (en anglais) et chante. Ce qui émeut le plus c’est de la voir au bout d’une demi-heure de spectacle reprendre son souffle. De voir son cœur battre m’a donné la chair de poule. Allez-y, s’il reste encore des places. Cela en vaut la peine.  

À l’occasion de ce spectacle et de la tournée, Culturesfrance a imaginé un événement multiple autour de Juliette Binoche. JUBILATIONS. L’idée d’une rétrospective de ses films allait de soi. La Cinémathèque est très heureuse d’accueillir cet hommage à une actrice (jusqu’au 7 décembre : voir programme sur : www.cinematheque.fr) dont le parcours, depuis une vingtaine d’années, ressemble à un saut dans le vide. Lundi soir Juliette Binoche était à la Cinémathèque pour présenter Rendez-vous, le film d’André Téchiné qui la révéla au grand public en 1985. Très gaie, elle lut un texte qu’elle avait écrit le matin même, où elle parle de sa conception du jeu, de son amour de la rencontre, de sa manière très particulière de se mettre au service d’une cause : le film à faire. « Je suis un vase », finit-elle par dire, devant le public amusé et conquis. Elle est à la fois le vase et la fleur.

Rendez-vous n’a pas pris une ride. Ce film saisit au vol quelque chose de la jeunesse, ce moment où tout paraît galère et où, à force d’abnégation, la grâce qui est en vous finit par vous porter et vous transporter. C’est ce qui arrive à Anna, le personnage que jouait Juliette Binoche. Elle débarque à Paris, venue du Sud-Ouest, se trouve ballotée, humiliée, bafouée, par un jeune homme désespéré et suicidaire (Lambert Wilson en héros dostoïevskien). Elle l’aime, au point de le suivre dans sa descente aux enfers. Il meurt, réapparaît dans sa vie tel un guide méphistophélique. À son enterrement, elle croise un homme âgé, Jean-Louis Trintignant, qui va lui confier le rôle de Juliette dans la pièce de Shakespeare. C’est le début d’une vie, la récompense du destin. Au moment où l’on est au plus bas, le hasard fait qu’un homme mise tout sur vous. Au cinéma, il ne faut jamais décevoir le destin.

Une vingtaine de films composent cet hommage à Binoche. Elle a fait quelques rencontres décisives au cinéma : Leos Carax (deux films : Mauvais sang et Les Amants du Pont-Neuf), Michael Haneke (deux films : Code inconnu  et Caché), Jean-Paul Rappeneau (Le Hussard sur le toit), Kieslowski (Bleu), Louis Malle (Fatale), Chantal Akerman (Un divan à New York : j’ai un faible pour ce film), sans oublier Godard (Je vous salue Marie), Doillon (La Vie de famille), Danièle Thompson (Décalage horaire), Philip Kaufman (L’Insoutenable légèreté de l’être), Patrice Leconte (La veuve de Saint-Pierre) et Anthony Minghella (Le Patient anglais). Et, plus récemment, Cedric Klapisch (Paris), Amos Gitai (Désengagement), Hou Hsiao hsien (Le Voyage du ballon rouge) et Olivier Assayas (L’Heure d’été).

De ces rencontres, l’actrice aime à se souvenir. Sa manière à elle de le faire consiste à dessiner et peindre. Elle a réalisé des portraits de ces cinéastes qui l’ont choisie, à qui elle adresse aujourd’hui un texte, plus ou moins court, écrit à la main, très poétique et personnel. Chaque film est une rencontre qui a laissé des traces. Sur une double page d’un grand livre, Portraits In-eyes (coédition Culturesfrance et Éditions Place des Victoires), Binoche a mis côte à côte chaque portrait qu’elle a peint et des autoportraits d’elle correspondant aux moments et aux personnages qu’elle a interprétés. Il est rare qu’une actrice s’adresse ainsi et interpelle les réalisateurs avec lesquels elle a travaillé. Cela donne quelque chose de précieux et de fragile, une sorte d’exercice partagé né d’une expérience commune : la réalisation d’un film. Ces dessins seront exposés chez Artcurial (du 24 novembre au 8 décembre : 7, rond-Point des Champs-Élysées, 75008 Paris).

2 Réponses à “Jubilante Juliette”

  1. Vince Vint@ge a écrit :

    Vous oubliez, me semble-t-il, dans la filmographie de Juliette Binoche, un certain  » Marie « , signé Abel Ferrara. Film non négligeable, c’est tout de même l’auteur culte de  » Bad Lieutenant  » et du  » King of New York « , rien que ça.

  2. séférian a écrit :

    bonne année, Serge, et bravo pour votre blog ! CS