Cannes démarre en 3D

En direct de Cannes. 62è édition.Le Festival a démarré hier avec une soirée d’ouverture sobre. Mélange defantaisie (merci à Edouard Baer, drôle et élégant, qui a fait passer, mine derien, dans ses vannes et pirouettes quelques messages subliminaux plutôtlucides sur l’état du monde et sur la veste blanche du smoking porté parCharles Aznavour), et de gravité ou de dignité. Il revenait à Isabelle Huppert,as presidente of the jury, très classe et sereine, de dire enquelques belles phrases ce qu’est pour elle la quintessence du cinéma commeArt. Un art fait d’exigence et qui implique l’abandon et le don de soi, lecourage et la peur, le goût de l’enfance… La cérémonie d’ouverture était réussie.

Proposer à un film d’ouvrir leFestival n’est pas toujours un service à lui rendre. Il y a quelques bellescatastrophes dans les annales de Cannes… Il faut en général un film consensuelet susceptible de mettre les festivaliers dans la bonne humeur, avant lemarathon de douze jours et douze nuits qui les attend. Le choix de ThierryFrémaux, le directeur sélectionneur, s’est porté sur un film d’animation en 3D,Up (Là-haut), réalisé par Pete Docter et Bob Peterson pour le StudioPixar, filiale de Disney. Chaque spectateur s’est donc vu remettre une paire delunette rouge, permettant de découvrir un film plaisant mais assezmélancolique, dont les images en relief sont convaincantes, avec la terre vuedu ciel, les reliefs et les arrières plan hyper réalistes, une maison qui vole,des chiens qui jappent ou aboient, et autres animaux chers à Disney.

Up c’est l’histoire d’une vie, celle du jeune Carl dont le héros dans la vie est Charles Muntz, célèbre aventurier. Le début du film résume en une vingtainede minutes la vie de Carl, de 8 à 78 ans. La jeunesse, la rencontre avec safuture femme, leur vie sans enfants, la mort de l’épouse, le veuvage et lasolitude, le bouleversement immobilier atour de la vieille bicoque. Le tempspasse vite. Jusqu’au jour où quelqu’un frappe à la porte du vieux Carl, devenuacariâtre et taciturne. Le gosse se nomme Russell et il se propose d’aider lespersonnes âgées à traverser la rue ou à faire leurs emplettes, ce qui luivaudra une médaille. Sympathique, bonne bouille, mal foutu, un peu obèse,Russell va entraîner Carl dans une nouvelle vie. Stupeur ! Le scénario de Up se met à ressembler farouchement àcelui de Grand Torino, le dernier(splendide) Eastwood. Ou comment un vieil homme bougon et antipathique reprendgoût à la vie, au contact d’un corps étranger – le jeune Coréen du film de ClintEastwood, ici le jeune Russell dont l’origine ethnique est d’ailleursimprobable. Up est un film honnête etsage conçu pour les enfants. Chez Disney, la transmission se fait en sensinverse : ce ne sont pas les parents qui transmettent aux enfants lesbonnes valeurs familiales, à savoir le goût de la vie et du travail, le respectdes autres, la politesse, etc. Là ce sont les enfants qui insufflent auxadultes de l’énergie et de la fantaisie, le goût de l’aventure pour un derniervoyage à travers le monde. Ne serait-ce que pour ça, et pour voir une vieillemaison voler dans le ciel, le film mérite d’être vu (il sortira le 28 juillet).La salle hier soir l’a accueilli avec politesse, sans excès de générosité. Lefilm méritait meilleur accueil, ne serait-ce que pour l’audace de l’avoirréalisé artisanalement en 3D.     

Levé tôt ce matin pour aller voirle premier film en compétition : FishTank de Andrea Arnold (Grande-Bretagne). Mia est l’héroïne du film,adolescente de 15 ans, rebelle, mal dans sa peau, en guerre avec le monde,celui-ci se réduisant à l’appartement sordide où elle vit avec sa mère et sapetite sœur, aux filles du quartier avec lesquelles elle se bagarre, au coin oùvivent des gitans et leur vieille jument. Cinquante ans après la découverte desQuatre Cents Coups à Cannes, le« modèle Doinel » est encore en usage, avec un détour par le« modèle Rosetta » des frères Dardenne. Le scénario de l’adolescenceest inscrit en permanence dans l’histoire du cinéma. Caméra à l’épaule, cadrageréaliste, on suit Mia dans ses successives impasses. On se dit qu’elle estvraiment mal barrée, avec quand même à chaque fois une petite lueur d’espoir. Heureusementil y a la danse. Mia se déhanche et s’épanouit en écoutant de la musique.L’actrice qui interprète le rôle de Mia s’appelle Katie Jarvis, elle n’avaitjamais rien fait au cinéma jusqu’à ce film. La réalisatrice l’a repérée sur unquai de gare ans la région de l’Essex, lui a fait prendre des cours de danse.Casting judicieux, même si, honnêtement, Mia ne danse pas génialement. Sesrivales du quartier s’en sortent beaucoup mieux, c’est peut-être pour cela que Miaest en guerre ouverte avec elles. Même sa mère, avec qui elle entretient desrapports exécrables (insultes, mépris, haine) danse mieux. Katie Jarvis a dutempérament, elle est même jolie et gracieuse lorsqu’elle défait ses cheveux etlâche un petit sourire. La mère a un petit ami, Connor (interprété par MichaelFassbender, excellent), et la relation qui se noue entre Mia et Connor estassez prévisible. C’est d’ailleurs le problème du film (et de son scénario)d’être assez prévisible. Cela ne décolle pas. On sait par avance quelles sontles issues possibles pour que Mia s’en sorte, ou se donne une chance de vivreet d’être libre. Le problème, c’est que le spectateur va plus vite que lepersonnage. Le film ne lui donne pas cette chance.

Fish Tank fait partie de cette famille de films qui reposent sur uncontrat implicite entre le metteur en scène et son personnage : à celui-cid’exposer sa vie, ses difficultés, l’incapacité de s’insérer ou de faire partiedu monde, d’être dans une représentation vive et nerveuse de chaque situation,de dire à quel point il refuse le monde tel qu’il est ; au cinéasted’écrire le film par le biais de la mise en scène, d’ouvrir un horizon moral àson personnage pour qu’il s’en sorte. C’était le contrat entre Léaud/Doinel etTruffaut, celui entre Rosetta et les Dardenne. Là, j’ai le sentiment que lecompte n’y est pas.   

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