Olivier Assayas : un livre de et sur le cinéma

Un livre de et sur le cinéma vient de paraître et je me fais une joie d’en parler. L’auteur est Olivier Assayas, cinéaste et ancien critique. Le titre : Présences, écrits sur le cinéma, chez Gallimard. L’ouvrage est (intelligemment) préfacé par Laurence Schifano, qui enseigne le cinéma à l’université. Joie d’en parler parce que ce livre respire un air de liberté incroyable à chacune de ses 400 pages. Il s’agit bien sûr d’un recueil de textes critiques d’Assayas, la plupart provenant de sa « période Cahiers du cinéma », soit les années 1980-1985. Cet ensemble se trouve enrichi d’autres écrits sur le cinéma, qui jalonnent la trajectoire d’Olivier Assayas depuis Désordre, son premier long métrage, réalisé en 1986. Assayas, au fond, a toujours écrit, avant sa « période Cahiers », pendant et après. Non seulement sur le cinéma mais également sur la peinture (sa première vocation) et sur la musique (c’est un fin connaisseur du rock). Trois domaines dont il a fait son territoire, public et privé. Au milieu de l’ouvrage figure un texte inédit, remarquable de lucidité et de clarté, sorte de « bilan d’étape », l’expression n’est pas très heureuse mais dit bien de quoi il s’agit : où le cinéaste revient sur son passé, sa trajectoire, son passage au sein de la rédaction des Cahiers, fait le va-et-vient entre ses douze ou treize films, fait part de sa réflexion aujourd’hui, dans un style direct et alerte, fluide, sans masquer les périodes noires, la perte de confiance ou les malentendus. Je recommande chaudement la lecture de ce livre, car il détonne dans son écriture et sa visée. Quoique cinéphile (je sais qu’il n’aime pas le mot, car il recouvre trop de fétichisme), Assayas ne s’enferme dans aucun dogme, s’évertue dans chaque texte à faire vibrer un regard au présent qui ose interroger le cinéma dans sa dynamique, son écriture et sa mise en scène. Dans les années 80, Assayas a écrit sur Visconti, Fassbinder, Eastwood (il fut le premier à défendre Eastwood aux Cahiers, dans un texte pertinent sur Honkytonkman), Scorsese, De Palma, Skolimowski, Samuel Fuller, George Lucas, et bien sûr sur le cinéma asiatique dont il fut avec Charles Tesson l’un des premiers, l’un des pionniers, à prendre toute la mesure. Sans oublier Godard et Truffaut, sur qui il est sacrément pertinent.

Godard et Truffaut, justement. Les cinéastes qui écrivent sur le cinéma, sur leur propre démarche artistique, ne sont pas si nombreux. Assayas s’inscrit dans la lignée des auteurs de la Nouvelle Vague qui ont tous écrit avant de réaliser des films. La plupart ont continué à écrire après avoir réalisé leur premier film. C’est le cas des deux cités, et de Rohmer. On ne revient pas là-dessus. Dans la génération plus récente Assayas fait figure de rareté. Chez lui l’écriture est une nécessité, une démarche intime, littéralement de mise au point. Tous les cinéastes sont amenés à faire le point. Peu ont recours à l’écriture, qu’elle soit critique ou sous forme de journal. A ce titre Assayas est un exemple. J’ai connu Olivier en 1980. Une amie commune, Sylvaine Sainderichin, m’avait demandé de rencontrer un jeune homme désireux d’écrire aux Cahiers du cinéma. La rencontre eut lieu dans un café de la place des Vosges. J’ai immédiatement proposé à Olivier d’écrire sur des films. Il faut dire que 1980 fut une année charnière dans l’histoire des Cahiers. C’est l’année où Marguerite Duras réalisa un numéro spécial, Les yeux verts, avec la complicité de Serge Daney, Pascal Bonitzer, Charles Tesson et François Regnault : un cadeau magnifique. Jamais un numéro des Cahiers ne s’est autant vendu dans toute l’histoire de la revue. Sans parler du prestige né de la complicité avec Duras. 1980 est aussi l’année où nous décidâmes, avec Daney, de créer le nouveau Journal des Cahiers, 16 pages insérées au milieu de la revue fourmillant d’informations, de brèves, de chroniques les plus diverses. La revue repartait enfin dans une grande aventure et nous avions besoin d’élargir les rangs de la rédaction.

Olivier Assayas d’une certaine manière tombait pile. Jeune (à peine 25 ans), mais déjà doté d’une expérience, à la fois comme scénariste des téléfilms que son père, Jacques Rémy, écrivait pour la télévision (la série des Maigret, par exemple), mais aussi troisième ou quatrième assistant stagiaire, peu importe, de réalisateurs américains ou anglais – je crois qu’il avait travaillé en Angleterre sur un film de Richard Fleischer ou de Richard Donner -, ayant une connaissance du cinéma, surtout anglo-saxon, même si celle-ci ne recoupait pas exactement le « goût Cahiers ». Ce qui caractérise une période d’ouverture c’est justement l’envie de faire appel à d’autres sensibilités, à d’autres personnalités, à d’autres styles d’écriture. Voilà comment et pourquoi Assayas nous a rejoints. Ses textes étaient précis, bien écrits (il suffit de les relire, plus de trente ans plus tard : pas une ride !), à la fois personnels et lisibles par le plus grand nombre. Son passage aux Cahiers n’aura duré que quelques années, cinq ans à peine. Très vite Olivier nous a montré un de ses courts métrages, dont le titre continue de me laisser perplexe : Laissé inachevé à Tokyo. Je me souviens vaguement qu’il avait tourné en partie son film, avec Elli Medeiros, dans les jardins japonais de la Maison Albert Kahn… Il était clair qu’Assayas deviendrait cinéaste. Ce jeune homme brûlait d’impatience.Deux grands souvenirs de son passage aux Cahiers. 1982 : nous partons en petite équipe avec Olivier, Serge Le Péron et Raymond Depardon pour Los Angeles et y passer près d’un mois afin de réaliser un numéro spécial Made in USA. Aidés sur place par Bill Krohn et Lise Bloch-Morhange. Nous séjournons au Tropicana, un motel assez fameux aujourd’hui détruit. Expérience inouïe faite de rencontres, d’interviews, de voyages, de rendez-vous manqués (avec Cassavetes) et de rendez-vous réussis. Au même moment, Daney, Jean-Paul Fargier et Jonathan Rosenbaum, sont à New York pour rencontrer des cinéastes de la Côte Est. D’un côté comme de l’autre, nous en rapportons une multitude d’entretiens, de photos (bonheur de travailler avec Depardon), de textes, de notules, de brèves, de chroniques, de légendes. Le tout excédait largement la taille d’un numéro double de la revue. Aussi pris-je la décision d’en faire paraître deux : Made in USA 1, et Made in USA 2. Deux numéros « collector ».

L’autre souvenir c’est Made in Hong Kong. Nous sommes en 1984, j’ai l’intuition comme d’autres, mais nous n’étions pas si nombreux, que l’avenir du cinéma se joue en Asie. Plus précisément à Hong Kong. Les deux personnes qui me paraissent les mieux qualifiées pour faire cette plongée dans le cinéma de Hong Kong sont Charles Tesson et Olivier Assayas. Je les accompagne quelque temps, puis les laisse sur place afin qu’ils accomplissent ce voyage dans le cinéma asiatique marqué par des rencontres très fortes avec Tsui Hark, King Hu, Allen Fong, Ann Hui et d’autres, ce qu’on appelait alors la « Nouvelle Vague de Hong Kong ». De Hong Kong, Olivier Assayas se rendit à Taiwan pour y faire une des rencontres majeures de sa vie, celle avec Hou Hsiao-hsien. L’autre étant celle avec Edward Yang. De retour à Paris, nos deux reporters se mirent au boulot pour concevoir un gros numéro, sorte de bible enfermant à peu près toutes les données, informations, analyses sur cette cinématographie en pleine effervescence. Ce numéro des Cahiers Made in Hong Kong fut un relatif échec commercial, contrairement aux deux Made in USA. N’empêche qu’il sert aujourd’hui encore de référence. Ce que j’apprécie chez Assayas, c’est sa manière de voyager dans le cinéma, le sien et celui des autres, sans jamais poser sa valise. Il arpente ce monde imaginaire fait de croisements artistiques entre l’écriture et la musique, la peinture et la chorégraphie, sans cesse ouvert, toujours moderne. En parlant du cinéma il fait son autoportrait. En parlant de lui, il s’ouvre au cinéma. Ce livre s’en fait le témoin avec talent et délicatesse.

3 Réponses à “Olivier Assayas : un livre de et sur le cinéma”

  1. olmer a écrit :

    Les numéros collector des Cahiers MADE IN HK & MADE IN USA sont toujours en bonne place dans ma bibliothèque. ils ne savent plus faire ça aujourd’hui… Les rencontres chez Bogdanovich, Coppola (ah, la photo de la DS noire de Coppola, quel document !) et dans le ranch du fabuleux Budd Boetticher, c’était vraiment du bon journalisme. Quand j’ai fait mon 1er voyage à Los Angeles, je voulais descendre au motel Tropicana mais il avait déjà disparu…
    Serge, j’en profite pour vous remercier chaleureusement.

  2. Vince Vint@ge a écrit :

    Moi, une fois, j’ai revendu à Gibert/Paris (Saint-Michel) un hors-série des ‘Cahiers’ consacré à Godard, et je m’en mords encore les doigts.
    Je me souviens d’une couverture bleu pastel, je crois qu’on y voyait dessus un  » collage  » avec Belmondo dans ‘Pierrot le Fou’, les mains jointes de ‘Je vous salue Marie  » (?) et peut-être le visage féminin, à la chevelure dorée, de  » Nouvelle Vague « .
    Dans cet hors-série, il y avait un texte très beau, de Thierry Jousse, sur les fulgurances poétiques du  » Pierrot le Fou  » de Godard.
    Et, de nos jours, je recherche toujours ce spécial Godard, mais j’ai l’impression qu’il est désormais introuvable. D’ailleurs, peut-être quelqu’un pourrait-il me renseigner à ce sujet ?
    Je l’avais revendu à Gibert tout en le regrettant. Je me souviens au guichet, c’était un jeune homme filasse, ce jour-là je revendais bouquins et magazines, dès qu’il a eu entre les mains le hors-série des Cahiers/Godard (couve bleue), il l’a mis à part, le bougre, comme s’il le mettait de côté. Un étudiant en cinéma et/ou un cinéphile averti ? Allez savoir. A coup sûr, cela faisait un heureux au rayon Gibert & Co mais, moi, à l’inverse, j’avais déjà l’impression, désagréable, de faire une erreur en revendant ce numéro, car je me privais d’une précieuse lecture, pour éclairer JLG, au  » bénéfice secondaire  » d’une somme versée – en échange – revenant à une bouchée de pain, style 2 ou 3 euros. Quel con, Godard n’a pas de prix !!!

  3. luciano barbieri a écrit :

    leggo con piacere, che si parla molto di godard.
    so che era un grande regista. fece film con belmondo e delon.
    faceva parte della bella epoche. leggo di suoi libri introvabili e si ricorda l’innosservanza fatta da alcuni a suo tempo di venderne uno a poco prezzo, mentre adesso varrebbe molto di piu della cifra presa, in passato.
    bene ci credo, pero chiedo di sapere .
    se fosse mai possibile nella francia attuale : non vi sia un regista, emuliente di godard, della sua arte irrepetibile, il quale possa almeno imitarlo, visto il suo valore nel cinema d’autore. so per esperienza, l’irrealizzazione del successo passato di godard, ma essendoci oggi giorno tante nuove leve artistiche, si puo secondo il mio modesto avviso ricrearne nei fatti, almeno il criterio artitisco del grande regista. voi cosa ne pensate?