Interdit d’interdire.

Mauvaise nouvelle ! Persepolis, le film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (succès populaire en France, et partout dans le monde où le film est sorti) est interdit au Liban. La raison invoquée par la Sûreté générale est que le film dénigrerait la République islamique d’Iran. Atteinte à l’image de marque d’un régime qui n’est lui-même pas ce qu’il y a de plus tolérant.

Ce qui est clair dans cette affaire, c’est ceci : la question de juger d’une œuvre artistique relève au Liban d’une instance coercitive, pour ne pas dire policière : la Sûreté générale. Il revient donc à celle-ci d’avoir un avis sur un film, sur une pièce de théâtre ou sur un lire. La Sûreté générale au Liban dispose-t-elle de lecteurs, de spectateurs avisés et neutres, bons connaisseurs du cinéma ? On n’en sait rien. On conviendra que tout cela n’a rien de très rassurant. Comme toujours, la censure prend les œuvres au pied de la lettre. Pour elle tout film, livre, œuvre est porteur d’un message, donc susceptible de faire de la propagande (pour qui ?), de se confondre avec un discours politique (pour quelles idées, quel parti ?), et à ce titre relève d’une censure possible.

Bande dessinée adaptée au cinéma, Persepolis est en quelque sorte le journal intime de Marjane Satrapi, dans lequel elle rend compte avec humour et distance, et à la première personne, de ce qu’était la vie quotidienne d’une fillette ou d’une adolescente, et de sa famille, à l’époque du Shah, puis sous le régime des mollahs. Drôle, mais en fait pas si drôle que ça. A moins que l’horreur soit drôle… Si l’on en croit les censeurs libanais, ce film s’il était autorisé à sortir dans les salles, porterait atteinte à l’image de marque d’un pays ami : l’Iran. Le ministre de la culture libanais, M. Tareq Mitri, a déclaré au Monde qu’il se battrait pour faire lever cette interdiction aussi bête qu’absurde. On l’y encourage fermement, on compte sur lui, en espérant qu’il parviendra à interdire cette interdiction.

Flash-back. Difficile de ne pas évoquer l’appel récent au boycott du Salon du livre à Paris, sous prétexte que le pays invité était Israël, représenté par une quarantaine d’écrivains de renom (Amos Oz, David Grossman, Aharon Appelfeld…). Plusieurs pays arabes –dont le Liban – avaient appelé au boycott du Salon, de même que des associations d’écrivains arabes, confondant la culture d’un pays avec son régime politique.

Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde actuel. Méchant symptôme : ce fantasme, y compris chez des écrivains ou des hommes de culture, de faire la police, d’interdire, de boycotter, d’exercer le droit de vie ou de mort sur des œuvres. En bref, de refuser, d’empêcher tout dialogue. Que ce soit au Liban avec Persepolis, ou à Paris avec le refus de participer à un salon aux côtés d’écrivains parce qu’ils ont la nationalité israélienne, on a à faire à la même bêtise, au même dogmatisme, au même obscurantisme. Au même refus d’ouvrir une fenêtre sur le monde.       

Post-scriptum. Vendredi 28 mars. Selon un communiqué de l’AFP, je cite : « Les autorités libanaises sont revenues jeudi sur la décision d’interdire la diffusion du film d’animation Persepolis, après de vives critiques dans les milieux politiques et culturels, a annoncé la Sûreté générale dans un communiqué. La Sûreté générale, qui avait interdit le film, a précisé que c’est le ministère de l’Intérieur, dont elle dépend, qui « a décidé d’autoriser la diffusion du film au Liban. » Bonne nouvelle pour Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. On a aussi compris que le ministère de l’Intérieur et la Sûreté générale, au Liban, pouvaient ne pas être sur la même longueur d’onde… 

7 Réponses à “Interdit d’interdire.”

  1. najehsouleimane a écrit :

    Cher Serge Toubiana, à mon très humble avis, on ne peut pas comparer ce qui s’est passé, par rapport au boycott du Salon du livre de Paris, à l’interdiction du film: « Persepolis » au Liban. L’interdiction ayant été levée, et c’est tant mieux – taxer d’obscurantisme et de bêtise l’attitude des écrivains et éditeurs arabes, parce qu’ils ont choisi de ne pas participer au Salon du livre, à cause de la présence d’auteurs israéliens, c’est se tromper sur le fond de la question. Parce que lorsque l’on précise par ailleurs, qu’Israël a été invité à l’occasion du soixantième anniversaire de sa création, cela veut dire que c’est bien un Etat, donc une politique que l’on a invitée, avant tout autre considération. Cela n’a strictement rien à voir avec une quelconque hostilité envers des écrivains, dont certains, de par leurs oeuvres et leurs prises de position courageuses, envers la politique de leur pays, sont autrement respectables, et proches de nos coeurs. Amicalement.

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Vous avez le sens des nuances. Pour ma part, je ne vois pas de grande différence entre la censure et le désir de boycotter un salon du livre, fréquenté par des écrivains, des éditeurs et des lecteurs. Rêvons un peu: et si justement il revenait aux écrivains et aux artistes, d’où qu’ils viennent, de lever cet interdit ou ce tabou, et de braver les discours politiques officiels ? A propos d’Israël : si ce pays n’avait pas une littérature aussi riche, libre et multiple, jamais il n’aurait été convié en hôte du Salon du livre. N’inversons pas les priorités: d’abord la littérature, ensuite la politique… Amicalement. S.T.

  3. najehsouleimane a écrit :

    Rêvons un peu, vous avez raison; même si cela devient de plus en plus difficile. Moi aussi, je crois que si l’on y mettait de la volonté, entre êtres humains, de chair et de sang, de coeur et d’âme, il est possible de transcender réellement tous les antagonismes et les inimitiés. Mais certaines conjonctures sont tellement compliquées, qu’on a du mal parfois à se laisser aller à un optimisme, lequel, pour ma part, m’a valu de bonnes claques bien souvent, principalement sur la question israélo-palestinienne. Il n’empêche, cher Serge Toubiana, qu’il vaut mieux croire qu’il est possible que les intellectuels des deux bords changent la donne, et lèvent tous les interdits, que le contraire. J’ajoute aussi que je ne doute pas une seconde que le pays, Israël, ait été invité pour la richesse de sa littérature, pour sa liberté de ton, et pour sa diversité, et pas pour une autre considération, même si l’amalgame est possible, et compréhensible lorsque l’on ajoute dans la foulée, que c’est une manière d’acccompagner les célébrations du soixantième anniversaire de sa naissance. Bien amicalement. N.S.

  4. Serge Toubiana a écrit :

    Je ne sais pas si c’est possible entre les Etats, mais c’est possible entre vous et moi. Et cela me fait très plaisir. Alors, décidons d’y croire à une échelle plus grande. Qu’avons-nous à y perdre ? Amicalement. S. Toubiana

  5. najehsouleimane a écrit :

    Une fois, un grand rabbin m’a dit, alors que je lui posais une question sur la Thora, et sur ce qu’y était dit par rapport à la Terre Promise, en hébreu d’abord et en me trabuisant en français par la suite, qu’il y avait un passage où il était précisé : »Tu y éliras domicile, à condition qu’il y ait toujours devant tes yeux, ton frère Ismaiel ». J’ai trouvé ça très beau.
    Alors oui, j’ai de l’espoir… N. S.

  6. Lib. a écrit :

    Salut, juste pour vous mettre à jour.. La censure a décidé de revenir sur sa décision de censure du film PERSEPOLIS, après que sa décision ait provoqué des protestations généralisées partout au Liban. C’est, à mon avis, une pression politique venant d’Iran (via le Hezbollah) qui avait mené à cette censure puisqu’il paraît que le censeur n’avait même pas vu le film…! Mais ne croyez surtout pas que les Libanais se laissent faire aussi facilement !
    Il est aussi à signaler que le Liban est un pays qui, en dépit de cette censure arbitraire, reste un des exemples de démocratie dans la région et surtout d’ouverture d’esprit. Voilà, je tenais à spécifier cela pour que les internautes comprennent que cette décision de censure n’était qu’un acte isolé. Nous bénéficions au Liban, heureusement, d’une liberté de parole et de presse qui existe assez rarement dans cette région et même, des fois, dans certains pays occidentaux..
    Lib.

  7. Serge Toubiana a écrit :

    J’avais ajouté un post-scriptum sur mon blog, aussitôt que l’annonce de la levée de la censure nous était parvenue. Merci de votre réaction. S.T.