Mario Monicelli, bon pied bon œil.

Né en 1915, Mario Monicelli a donc 93 ans. Fière allure, droit et sec. Il a tourné encore récemment (Le rose del deserto, en 2006), preuve d’une vitalité physique et artistique qui ne se dément pas. Son œuvre est généreuse et diverse, une soixantaine de films couvrant tous les genres, avec un don particulier pour la comédie. Ses films les plus connus : Le Pigeon bien sûr, mais également : La Grande guerre (1959), Nous voulons les colonels (1973), Un bourgeois tout petit, petit (1977), la série des Brancaleone (avec Vittorio Gassman en héros fanfaron et grotesque), Les Camarades, Casanova 70, Mes chers amis (1975), Caro Michele (1976), Les Nouveaux monstres (coréalisé avec Dino Risi et Ettore Scola), Rosy la bourrasque (avec Gérard Depardieu, 1980). En l’accueillant mercredi soir à la Cinémathèque, j’ai cité quelques propos de lui très émouvants. Parlant de sa jeunesse (il est né à Viareggio), Monicelli dit ceci :

« Les farces muettes, Charlot, l’image qui bouge dans la salle obscure bourrée de gens qui crient, qui rient, et moi qui ne sais pas ce qui est vrai, ce qui est fabriqué, pris de l’envie de sortir du noir pour entrer dans l’écran… C’est un souvenir évidemment très lointain mais totalement inoubliable. Je n’étais qu’un gosse de six ans, ma mère m’envoyait au cinéma. J’ai compris confusément que je pouvais participer à ce spectacle, qu’il y avait quelque chose à faire avec ça. Et puis j’ai commencé des études de lettres et d’histoire. » 

Mais le cinéma a vite attiré ce jeune homme dans ses filets. Dès 1935, Monicelli réalise un premier long métrage en 16 mm : I ragazzi della via Pal. Puis il devient assistant, scénariste, collabore à une quarantaine de scénarios : des comédies, des mélodrames, des films d’aventure. Il réalise son second premier film en 1949, avec son ami Steno : Au diable la célébrité, une série de sketches, des comédies bien sûr.

La rencontre avec l’acteur comique Toto sera décisive, pour l’un comme pour l’autre. On ne compte plus les films qu’ils ont entrepris ensemble : Toto cherche un appartement, Gendarmes et voleurs, Toto et les femmes… Toto, Alberto Sordi, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Nino Manfredi, Gian Maria Volonte, Giancarlo Giannini… Mais aussi des actrices merveilleuses : Anna Magnani, Sofia Loren, Claudia Cardinale, Marina Vlady, Elsa Martinelli, Monica Vitti,… Tous ces grands acteurs et actrices ont été les complices indispensables de Monicelli. Certains ont été révélés par lui, d’autres ont vu leur carrière évoluer grâce à lui, Gassman et Vitti vers le style comique, Alberto Sordi au contraire vers un jeu plus dramatique.  

Avec Pietro Germi, Luigi Comencini, Dino Risi, Ettore Scola, Mario Monicelli a incarné ce que l’on a appelé la « Comédie à l’italienne ». Un genre à lui seul qui a fait le tour du monde. Monicelli en parle très bien, avec intelligence et humilité :

« On n’a rien inventé du tout, l’essence du genre est dans la commedia dell’arte et le goût pour la comédie, dans les gènes italiens. On s’est trouvé là, au bon moment, c’est tout. Le cinéma avait besoin de bonne humeur, le spectateur d’un peu de divertissement, ce dont il avait été privé jusqu’à la Libération. Revenir à la comédie bourgeoise qui existait avant la guerre n’était plus possible, le néo-réalisme avait balayé la forme et remué le fond, le cinéma était descendu dans la rue, il avait rendu compte d’un climat immédiat, nous étions pris naturellement dans cette réalité-là. Pour moi, et c’est venu à l’esprit d’autres que moi, il devenait évident qu’il fallait trouver l’idée d’amuser sur les mêmes sujets en évacuant la part de gravité qui commençait à lasser le public. D’où la nécessité absolue de distraire, de donner une dimension populaire à des thèmes qu’on n’aurait jamais osé traiter à la légère jusque-là : ruine, trahison, l’indigence des populations, l’ignorance, la lâcheté, les préjugés, le sauve qui peut… Raconter sur le ton de la comédie les faiblesses ou les désarrois d’un homme ordinaire dans l’Italie des années difficiles, c’était aussi l’occasion de régler quelques comptes au passage. La comédie est d’une efficacité rare pour tout faire passer, d’autant que l’Italien, par nature, aime à se moquer de lui-même. Cette réponse à l’aspiration des spectateurs s’est traduite immédiatement par un accueil formidable. » (Extrait d’un entretien avec Mario Monicelli, par Anne de Gasperi, paru dans la revue de la Cinémathèque de Nice, Ciné Nice, numéro 16).

Monicelli dit très bien ce que fut l’importance de la comédie à l’italienne : une manière détournée, toujours grinçante et proche de la farce, de regarder en face l’Italie de l’après-guerre, celle des années 50 et 60 durant lesquelles le pays s’est reconstruit. En revoyant ses films, comme ceux de Risi ou de Germi, nul doute que nous avons un portrait vivant et contrasté d’une société en pleine évolution : les mœurs, la religion, le sexe, la famille, la politique, la vie en société, tout y passe.

Il y eut un moment inoubliable l’autre soir à la Cinémathèque, lorsque Claudia Cardinale, présente dans la salle, monta sur scène pour embrasser celui qui lui confia son premier rôle au cinéma en 1958, il y a tout juste 50 ans. C’était dans Le Pigeon, avec Gassman, Mastroianni, Renato Salvatori et Toto. Monicelli raconte que ce film modifia le cours de sa vie. Grâce au succès international du Pigeon, on le prit au sérieux comme cinéaste.  

Samedi 22 mars, Mario Monicelli sera à la Cinémathèque pour une Leçon de cinéma  (14h30, salle Henri Langlois). Un moment rare à ne pas manquer.

 

Une Réponse à “Mario Monicelli, bon pied bon œil.”

  1. nicolas saada a écrit :

    J’ai eu la chance d’interviewer Monicelli l y a vingt ans, pour une radio libre: je lui ai demandé ce qu’il faisait pour le jeune cinéma italien. « Beaucoup de choses, je fais beaucoup de choses pour le jeune cinéma italien », me répond-il. Et je lui demande : »Quoi? ». Réponse de Monicelli : « Je vieillis, merde ! ».