Devoir de mémoire

Nous avons appris avec tristesse la disparition de Renée Lichtig, le 16 octobre dernier. Cette figure attachante était depuis toujours une amie de la Cinémathèque française, dont elle était membre d’honneur du conseil d’administration. Pour ceux qui ne l’ont pas connue, Renée Lichtig était, avec sa sœur Lucie, une des pionnières ayant œuvré aux côtés d’Henri Langlois, contribuant grandement au rayonnement de la Cinémathèque. Elle avait été chef-monteuse de metteurs en scène comme Jean Renoir, Robert Parrish, Nicholas Ray, Claude Jutra ou Étienne Perrier, parmi autres. À la Cinémathèque, responsable du Département des collections films, elle a mis son savoir-faire au service de la restauration des films, reconstituant de nombreux chefs-d’œuvre. Par exemple, aux côtés d’Erich Von Stroheim : Wedding March (La Symphonie nuptiale), ou encore le Casanova de Volkoff. Elle a également contribué à l’essor des collections « non film », faisant don récemment de ses archives, ainsi que celles de sa sœur Lucie et son frère José, disparus quelques années avant elle. Depuis sa retraite en 1993, Renée Lichtig a continué de participer aux activités de la Cinémathèque française. Ses obsèques auront lieu aujourd’hui même, au cimetière du Montparnasse.

Des personnes disparaissent, et emportent avec elles leurs souvenirs et leur mémoire. Cela concerne chacun, dans sa famille, avec ses amis, et dans sa vie. S’agissant du cinéma, il y va aussi d’une mémoire vive, ayant trait à l’histoire du cinéma : histoire des films, mais aussi histoire de leur conception, de leur fabrication, de leur diffusion. La révolution numérique qui est en marche risque de tout bousculer sur son passage. Les métiers évoluent en raison des bouleversements techniques ou technologiques. Certains professionnels du cinéma, on serait tenté de dire : tous les professionnels du cinéma, sont et seront confrontés à cette évolution rapide, inéluctable, qui modifie sensiblement la chaîne de fabrication des films. La Cinémathèque a eu l’idée de mettre sur pied un Conservatoire des techniques cinématographiques. L’initiative en revient à Laurent Mannoni, historien du cinéma (il a écrit l’an dernier une Histoire de la Cinémathèque française, parue chez Gallimard), qui veille passionnément sur la très belle collection d’appareils de la Cinémathèque française. Conserver toutes ces machines, caméras, appareils magiques liés à la captation et l’enregistrement des images et des sons, et à la projection, a du sens. A condition d’en faire usage. Alors, un Conservatoire des techniques cinématographiques : de quoi s’agit-il ? Il s’agit de raconter l’Histoire du cinéma sous l’angle de ses techniques, de ses machines et appareils souvent mises au point par des pionniers, des inventeurs hors pair. Au moment où le numérique arrive, il est temps de se pencher sur les évolutions marquantes ou signifiantes qui ont bousculé le cinéma dans ses écritures ou ses styles. Laurent Mannoni a fait appel à des universitaires, des chercheurs, des techniciens, des directeurs de la photographie, et d’autres encore. Font partie du conseil d’orientation de ce Conservatoire, des personnes qualifiées, je pense à François Ede (directeur de la photographie et cinéaste, l’homme qui, il y a quelques années, avait découvert que Jacques Tati avait tourné Jour de Fête en couleur), à André S. Labarthe, à Pierre Lhomme (un des plus grands directeurs de la photographie du cinéma français), à Jean-Pierre Neyrac (des Laboratoires Neyrac), à des universitaires, et d’autres encore. Bientôt ce Conservatoire sera en mesure de développer de nouvelles initiatives. Séminaires sur l’histoire technique du cinéma, conférences mensuelles (à partir de janvier 2008) à la Cinémathèque, sur tel ou tel appareil, tel ou tel machine ayant trait à la fabrication des œuvres cinématographiques. La mémoire du passé fait encore partie de notre présent. Il est vital, me semble-t-il, de la garder, d’y veiller. C’est un des rôles de la Cinémathèque.

Triple lanterne de projection

2 Réponses à “Devoir de mémoire”

  1. Marcelline Delbecq a écrit :

    Cher Monsieur Toubiana,

    Je viens de découvrir votre blog, et avec lui la nouvelle de la disparition de Renée Lichtig. Je rentre d’une année à New York, départ qui m’avait empêchée de la rencontrer à l’époque. C’est à la suite de la lecture d’un entretien sur sa vie, toute entière dévouée au cinéma, que j’étais entrée en contact avec elle. Par courrier d’abord, lettre à laquelle elle avait répondu par un coup de fil extraordinaire. Je lui avais demandé si je pouvais l’enregistrer, consigner sa mémoire de cinéma encore vive, sa vie dans l’ombre et la lumière. Nous avions laissé le temps passer, et lorsque je l’ai recontactée, sentant l’imminence de mon départ aux Etats-Unis, elle ne se souvenait déjà plus de notre échange. Mais quand je lui ai mentionné la lettre qu’elle avait reçue quelques mois plus tôt, elle s’était soudainement animée et se souvenait parfaitement de son contenu : de mon envie de la rencontrer pour écouter le récit de sa vie, de mon héritage cinématographique russe (Films Albatros) encore très mystérieux pour moi-même. Elle me dit cependant qu’elle était trop fatiguée et trop triste pour avoir de la visite, mais que nous nous rencontrerions plus tard.

    En partant à New York je me suis dit que je ne la rencontrerai jamais, et je ne me suis malheureusement pas trompée. La nouvelle de cette disparition est bien la preuve que si la mémoire flanche ou qu’elle n’est pas consignée, le passé le plus discret du cinéma disparaîtra en silence, tout comme l’argentique. Un hommage tel que le vôtre est la moindre des amorces de mémoire. Mon métier d’artiste est une (vaine ?) tentative de donner une existence contemporaine à ce qui n’est plus. La voix de Renée Lichtig à travers un combiné de téléphone continuera à faire écho, longtemps.

    Bien à vous,

    Marcelline Delbecq

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Chère Marcelline Delbecq, merci pour votre message. Renée Lichtig avait confié toutes ses archives à la Cinémathèque française, ainsi que celles de sa soeur Lucie. A travers ces documents, c’est tout un pan de l’histoire du cinéma qui est sauvegardé. Nous allons en prendre soin et d’une certaine manière, nous entretiendrons la mémoire de ces personnes dont le rôle a été essentiel auprès d’Henri Langlois. Cordialement, S. Toubiana