Le rôle de la Cinémathèque

La Cinémathèque a changé d’échelle. Ses activités se sont multipliées. Et le public est au rendez-vous. Tout cela est lié à l’installation rue de Bercy. La programmation de nos trois salles, les ateliers et séances pédagogiques auprès des élèves, collégiens et enseignants du scolaire, les rencontres autour de cinéastes (la dernière en date : avec Sidney Lumet), ou de professionnels du cinéma, les expositions consacrées au cinéma (celle sur Sacha Guitry ouvre demain : il faut s’y précipiter !), l’ouverture de la librairie, etc. L’offre publique s’est accrue, suite logique au redéploiement de notre institution.

Certains directeurs de salles indépendantes parisiennes ont mal réagi à ce renouveau de la Cinémathèque. Ils nous reprochent d’exercer à leur encontre une concurrence déloyale en termes de programmation comme de politique tarifaire. Pour apaiser leurs craintes, nous avons entamé avec eux des discussions amicales visant à la mise en place de nouvelles règles en matière de location de films dont les droits de distribution leur appartiennent, même si ces films font partie des collections de la Cinémathèque. Nous ferons tout pour apaiser ces craintes, en partie fondées. Mais on ne fera croire à personne qu’elles datent de la réouverture de la Cinémathèque. Le processus de redéploiement des salles de cinéma parisiennes (en particulier vers les Halles ou vers Bercy), comme d’ailleurs dans la région parisienne et les grandes villes de province, a été lourd de conséquences. L’ancien public cinéphile n’est plus là où on le trouvait il y a dix ou quinze ans : il est aujourd’hui partout et nulle part, achète des DVD, regarde des films du patrimoine à la télévision ou sur internet, fréquente la Cinémathèque et les salles Art et Essai. Il va là où sa curiosité le guide. Moins fidèle, plus volatil. Mais toujours là ! Chacun sait que le développement des multiplexes a eu des conséquences très fortes sur le mode d’accès aux films. En général, au détriment des salles implantées dans les centres villes. C’est vrai, le Quartier latin n’est plus ce qu’il était… Au-delà de la nostalgie, il y a ce fait indiscutable : la Cinémathèque n’est pas, ne peut pas être et ne sera pas un obstacle au rayonnement de l’Art et Essai. Elle demeure ce qu’elle a toujours été : un musée du cinéma. C’est-à-dire un lieu qui montre le cinéma, tout le Cinéma, en partant des origines et en remontant le fil ou les fils de son histoire.

La grande majorité des films que programme la Cinémathèque ne sont plus en distribution. Ce sont des films qui appartiennent au « répertoire » mais qui ne circulent plus sur les écrans, y compris ceux classés « Art et Essai ». Ainsi, lorsque la Cinémathèque programme 45 films de Yasuzo Masumura (ce qu’elle a fait depuis le mois de septembre), seuls quatre d’entre eux sont encore en distribution. Nous faisons venir ces films de Masumura du Japon, nous en faisons les sous-titres et nous les programmons à raison de deux séances par film. Pour un public de curieux. Cela ne ressemble en rien à une exploitation commerciale. Parce qu’elle est un musée, la Cinémathèque programme des intégrales d’auteurs. Il en est ainsi de Sacha Guitry (à partir du 17 octobre, et pendant deux mois), dont les films plus connus sortent en même temps dans quelques salles d’Art et Essai et sont programmés sur des chaînes cinéphiles. Sans parler des films du grand documentariste anglais, Humphrey Jennings, inconnu des spectateurs les plus avertis et dont aucun film n’est en distribution.

A nos amis exploitants et distributeurs de l’Art et Essai, nous disons ceci : que la Cinémathèque redevienne un lieu vivant, attirant une nouvelle génération de spectateurs, ne peut être qu’un encouragement au renouveau d’un public fervent et curieux, susceptible de fréquenter aussi les salles de répertoire. Montrer Guitry ici donne envie de revoir Guitry ailleurs. C’est une logique positive, qui redonne au cinéma que nous aimons une visibilité.

La Cinémathèque, c’est aussi autre chose. Des collections, des appareils, une bibliothèque du film. La collecte permanente de tout ce qui touche à l’histoire du cinéma et « la fabrique » des films. Le « non film », formule étrange qui définit les éléments les plus divers qui concourent à la réalisation des films (du scénario à l’affiche, en passant par les éléments de décors, costumes, appareils, etc.), a lui aussi pris une nouvelle dimension. C’est plus manifeste encore depuis la fusion récente intervenue entre la Bifi (Bibliothèque du film) et la Cinémathèque, au début de cette année 2007.

Un exemple particulièrement intéressant concerne les archives de Louis Malle. Celui-ci de son vivant avait commencé à confier à la Cinémathèque une partie de ses documents. A sa mort survenue en 1995, sa famille décida de confier à la Bifi la totalité des archives du cinéaste, nombreuses et très diverses (scénarios annotés, correspondances, etc. : plus de 1000 boîtes d’archives !). Les équipes de la Bifi ont alors entrepris un passionnant travail de classement, de catalogage, d’indexation. Ce travail est aujourd’hui achevé. La Cinémathèque est heureuse de mettre ce « Fonds Louis Malle » à la disposition des chercheurs, des étudiants et des professionnels du cinéma. C’est une de nos missions, et non la moindre, de recueillir les archives de cinéastes, de techniciens, de professionnels du cinéma. Pour en faire le meilleur usage auprès du public. La semaine dernière, dans la soirée du 9 octobre, Costa-Gavras, président de la Cinémathèque, avait convié quelques amis à l’intérieur de l’Espace Chercheurs de la Cinémathèque, à l’occasion de la mise en ligne de ce Fonds Louis Malle. Autour de lui, Justine Malle (fille du réalisateur), Vincent Malle (frère de Louis Malle), Pierre Billard, auteur d’une remarquable biographie (chez Plon), Renato Berta (directeur de la photographie de Au revoir les enfants et de Milou en mai), Catherine Demongeot (la Zazie du métro), Sylvette Baudrot, qui fut scripte sur Zazie dans le métro, et d’autres encore, eurent le loisir de circuler parmi les nombreux documents qui constituent ce fonds Malle. Pour le consulter, je vous renvoie sur le site : cineressources.bifi.fr

Justine Malle et Catherine Demongeot

Justine Malle, Costa-Gavras et Renato Berta

7 Réponses à “Le rôle de la Cinémathèque”

  1. Alban a écrit :

    Ne voyez pas dans ce message une attaque personnelle, il est adressé à tous les responsables de la culture en France. Aussi, je vous interpelle, et au nom, je l’espère, de beaucoup de cinéphiles de province, de l’inégale répartition de la culture en France, et notamment cinématographique. En effet, si j’ai beaucoup de considération pour le travail accompli par la Cinémathèque française pour ces expositions (ayant vu celle sur l’expressionisme allemand, je ne peux que féliciter le travail fait), sa programmation, je déplore, toutefois, le fait que l’accès à la connaissance cinématographique, tant par son coût que par le choix des films proposés, ne se limite qu’à la région parisienne, et par chance à de très grandes villes de province.

    En voyant The Dreamers (le film de Bernardo Bertolucci), je me suis dis que si, en 68, Langlois voulait montrer tout le cinéma (tous les genres, tous les films…), est-ce qu’en 2008 bientôt (soit 40 ans après), l’intérêt n’est-il pas de montrer tout le cinéma à tous ?

    L’Histoire du cinéma est commune à tous, il faut, dès lors, qu’elle soit partagée et accessible à tous.

    Votre réflexion sur l’ancien public cinéphile (deuxième paragraphe) et son éclatement par le biais des divers moyens de propagation de la culture cinématographique est très intéressante (dvd, télévision, internet) ; cependant, les salles obscures ne remplaceront en rien lesdits moyens, la plus belle façon de voir un film reste la salle de cinéma !

    Aussi, je reprendrais votre formule : « Elle demeure ce qu’elle a toujours été : un musée du cinéma. C’est-à-dire un lieu qui montre le cinéma, tout le Cinéma, en partant des origines et en remontant le fil ou les fils de son histoire », et j’espère qu’un jour sera rajouté « à tous partout en France » puisqu’à en croire sa dénomination, la Cinémathèque n’a pour but d’officier qu’en France. Triste idée que de donner une identité à une institution qui a pour but de faire connaître un art universel. La cinémathèque est universelle !

    PS : Exaspéré, vous êtes surement à recevoir tant de messages semblables à celui-ci, mais c’est, parfois, en se plaignant que l’on fait bouger les choses ! Le passé nous l’a prouvé.

  2. Serge Toubiana a écrit :

    Cher Alban,

    Vous avez raison, le cinéma et la culture cinématographique ne sont pas répartis de manière égalitaire sur tout le territoire. Il y a des raisons et elles sont nombreuses. Pour ce qui est de la Cinémathèque, qui est en effet « française », elle ne peut programmer des films que dans son périmètre, c’est-à-dire à l’intérieur de son bâtiment. Car elle n’a pas les autorisations nécessaires pour le faire ailleurs. La programmation d’une cinémathèque n’est pas d’ordre commercial, mais culturel : celle d’un musée du cinéma. Il existe heureusement plusieurs lieux en régions où le cinéma que vous aimez et que nous aimons trouve sa place : les salles Art et Essai qui font un travail de programmation remarquable, les salles dites de Recherche (souvent à la pointe du combat cinéphilique), les cinémathèques, comme celle de Toulouse qui fait un travail remarquable, ou encore l’Institut Lumière à Lyon présidé par Bertrand Tavernier, et d’autres, à Nice, Saint-Etienne, Rouen, Grenoble, Nancy, etc. Vous posez un problème important, et il n’existe que des solutions partielles. Je suis évidemment d’accord avec vous pour dire que rien ne vaut la découverte d’un film en salle, sur un grand écran. Le DVD ou et la télévision, c’est autre chose, et cela vient toujours comme un complément de la salle.

    Amicalement,

    Serge Toubiana

  3. Alban a écrit :

    Je vous remercie grandement de m’avoir répondu. Habitant Angers, je constate les efforts faits pour permettre la diffusion de la culture cinématographique sur l’ensemble du territoire, que ce soit par la salle d’art et d’essai « les 400 coups » (salle dans laquelle vous avez participé à des rencontres avec le public, me semble t-il) que par l’association du festival premier plan qui font tous deux un travail formidable.

    Je comprend parfaitement les impératifs culturels de la cinémathèque en tant que musée du cinéma. Il serait en effet dommage que la programmation soit dicté par la logique commerciale. Je souhaiterais plus amplement comprendre les problèmes rencontrés par la cinémathèque au sujet des autorisations (sujet que vous abordez). Si celle-ci sont administratives, il est alors posé la contradiction entre le discours du politique pour la diffusion de la culture et l’impossibilité pour les acteurs contribuant à la promotion de la culture de la diffuser!

    Aussi, pour finir une touche positive, étant en pélerinage à la cinémathèque ce week-end, je félicite les personnes ayant contribué à l’exposition Sacha Guitry, travail remarquable sur la vie et le travail de cet artiste.

  4. Fred a écrit :

    « Nous faisons venir ces films de Masumura du Japon, nous en faisons les sous-titres et nous les programmons à raison de deux séances par film. »

    Dommage que je ne puisse pas mettre en gras la phrase « nous en faisons les sous-titres »… Il faut voir comment le sous-titrage électronique des films est traité à la Cinémathèque Française ! Fait en interne ou payé une misère à des non professionnels (étudiants ou autres), il est généralement d’une qualité médiocre : contresens à foison, connaissance de la langue de départ approximative, maîtrise du français fautive (conjugaison, orthographe, ponctuation, fautes d’accord), sous-titres non relus, amateurisme global du sous-titrage… C’est un métier, que diable ! Faire effectuer ce travail par des personnes non qualifiées est un manque absolu de mépris :

    – Envers les personnes qui ont participé au film et dont on montre l’oeuvre : réalisateur, scénariste, acteurs…

    – Envers le public, certaines personnes n’hésitant pas à se plaindre après les projections (voire pendant !). Difficile de suivre un film quand on doit passer du temps à tenter de comprendre des sous-titres sans queue ni têtes, bourrés de fautes, d’absurdités, avec des mots qui manquent… Un bon sous-titrage est censé se faire oublier, et non signaler son existence par ses défauts.

    – Envers la profession de traducteur et d’auteur de sous-titres. Engagerait-on quelqu’un n’ayant jamais touché à des bobines de films comme projectionniste ? Cette entreprise contribue à la dévalorisation de la profession de sous-titreur dans l’esprit du public, qui ignore généralement que ce sont des amateurs qui font le sous-titrage à la Cinémathèque.

    Evidemment, cela coûte de l’argent d’engager des traducteurs professionnels : mais pourquoi ne pas se donner les moyens de présenter un travail de qualité, si l’on respecte le public ? Pourquoi traiter avec autant de désinvolture un aspect essentiel de la vision d’un film ? Autant ne pas passer de sous-titres, alors, comme le faisait Langlois dans sa vision romantique… Sauf que la technique existe aujourd’hui et qu’il n’y a plus d’excuses.

  5. Serge Toubiana a écrit :

    Lisant vos remarques concernant les traductions, je me dois vous fournir les éléments nécessaires au fonctionnement du sous-titrage à la Cinémathèque française.

    Une partie importante des films que nous programmons provient de cinémathèques ou distributeurs étrangers. Ces films arrivent en version originale non sous-titrée. Pour nos spectateurs, nous effectuons un sous-titrage électronique grâce au logiciel CINEO, de NAOTEK s.r.l., qui convertit les sous-titres à partir d’un format Word pour les envoyer sur un display à Led situé sous l’écran.

    La traduction d’un film se déroule de la manière suivante :

    – un télécinéma est fait à partir du film que l’on reçoit sur support DVD ;

    – envoi du DVD au traducteur ;

    – le traducteur doit effectuer la traduction entre 1 et 15 jours ;

    – le traducteur ne possède ni time code, ni relevé de sous-titre, il doit donc également effectuer une adaptation ;

    – relecture de la traduction par le service Programmation ;

    – transmission de la traduction à la société Scéna qui convertit les sous-titres au bon format ;

    – le repérage est affiné et corrigé sur le film.

    Nous sommes attentifs, depuis plusieurs années, à présenter quasi systématiquement les œuvres programmées avec un sous-titrage. Une telle décision a permis de faire découvrir à un plus large public des œuvres méconnues. Les limites budgétaires (353 films ont bénéficié d’une traduction électronique en 2006), couplées à la difficulté qu’il y a de traiter dans un délai très court les copies de certains films présentés, ne nous mettent pas toujours à l’abri de certains dysfonctionnements. Il peut s’agir d’un problème informatique, et en effet il arrive que quelques minutes d’un film défilent sans sous-titre. Ou qu’une traduction n’ait pas été vérifiée, faute de temps.

    Concernant la rétrospective Masumura, la plupart des traducteurs nous ont été conseillés par Fabrice Arduini (Maison du Japon) et travaillent régulièrement pour la société Titra. Beaucoup sont aussi professeurs de japonais.

    Sachez que nous poursuivons nos efforts pour offrir le meilleur service à nos spectateurs fidèles, dont vous faites partie.

    Serge Toubiana

  6. Maria Komninos a écrit :

    J’adhère totalement à la politique de la Cinémathèque. A la Cinémathèque de Grèce, nous sommes en train de déménager vers un nouveau site en périphérie d’Athènes. A cause d’un problème de locaux, il y a eu de sérieux manquements dans notre programmation, confiée à divers agents extérieurs. Le résultat : pas de réelle politique visant un public de vrais cinéphiles, comme c’était le cas auparavant, quand notre Cinémathèque fonctionnait toute l’année (ce sera à nouveau le cas à partir de 2008, une fois installés dans nos nouveaux locaux).

    Dans l’attente, nous organisons le 5° festival d’Avant-garde à Athènes en mai 2008, et gardons toujours la Cinémathèque française comme modèle d’inspiration.

    Maria Komninos
    Secrétaire générale
    Cinemathèque de Grece

  7. Djemaa Pascal a écrit :

    Bonsoir, Serge,
    Félicitations pour ce blog dans lequel le cinéma trouve toutes ses lettres de noblesse. Cette année aura été marquée une fois de plus à la Cinémathèque par de nombreux hommages. Bravo et merci pour tout ce que vous faites. Je n’oublie pas non plus qu’en 1977, l’infatigable Henri Langlois tirait sa révérence sans avoir pu réaliser tout ce qu’il voulait encore faire pour le cinéma.
    Je vous invite à venir découvrir mon blog sur lequel vous verrez mes ouvrages consacrés à Max Linder et Fernandel.
    Cordialement. Pascal Djemaa, journaliste.
    pascaldjemaa.over-blog.fr