Conversation avec Alain Cavalier

J’ai mis longtemps à convaincre Alain Cavalier d’accepter l’hommage que lui rend depuis jeudi la Cinémathèque française en programmant jusqu’au 9 mai tous ses films. Il hésitait, repoussait à plus tard, ou bien faisait le mort. La forme ne lui convenait pas, ou ce n’était pas le bon moment. Comme c’est l’homme le plus courtois que je connais, il ne me disait pas non, craignant de me faire de la peine, mais repoussait à plus tard. Il fallait faire preuve de patience.

Un jour, je l’ai invité à déjeuner dans un bistrot proche de la Cinémathèque, le Cartouche Café, où nous avons désormais nos habitudes. Et l’affaire s’est faite : non pas une rétrospective, encore moins un hommage, mais une conversation. Surtout, éviter l’embaumement. Voilà, je veux être là, présent tous les jours, présenter chacun de mes films aux spectateurs, en faire la préface. D’ailleurs, je souhaite m’installer durant douze jours dans une chambre d’hôtel à Bercy, comme si j’étais un visiteur étranger. Top là !

Jeudi soir, Alain Cavalier a présenté devant une salle comble Martin et Léa, un film bouleversant qu’il a réalisé en 1978, puis La Rencontre (1996), deux films qu’il avait choisis de mettre en vis-à-vis, ou plutôt en regard, parce que ce sont deux films sur la rencontre amoureuse, pour inaugurer cette « conversation ». Jusqu’au 9 mai, le public a rendez-vous quotidiennement avec le cinéaste. Il s’agit bien de montrer l’œuvre intégrale d’Alain Cavalier, films et suppléments, bonus, petits films se présentant sous forme de messages, de préfaces ou de commentaires. Alain Cavalier prend la parole avant chaque projection (justement, pour « préfacer » ses films), dialogue après, et assiste au fond de la salle aux projections, ce qu’il ne fait jamais d’ordinaire. Une chance pour les spectateurs de la Cinémathèque ! Du coup, cette « rétrospective » est devenue un acte vivant, j’ose dire militant, en effet une conversation « non stop » avec le public, une manière originale de revisiter l’œuvre, d’évoquer le passé en en parlant au présent.

Je n’étais pas le seul à remarquer combien Alain Cavalier était ému en rejoignant le devant de la salle, après la projection de Martin et Léa. Bouleversé d’avoir revu ses deux acteurs magnifiques, Isabelle Ho et Xavier Saint-Macary, un vrai couple dans la vie, interprétant les personnages principaux du film, morts tous les deux quelques années plus tard, en pleine jeunesse. Le couple est bouleversant dans le film, lui un peu gauche, maladroit, elle souveraine dans sa beauté sombre. Ce qui traverse le cinéma d’Alain Cavalier, c’est la manière incroyable qu’il a de filmer l’intime. A la fin de Martin et Léa, Isabelle Ho est enceinte, Xavier Saint-Macary caresse avec douceur son ventre rond, plein d’une fille à venir. L’intime inclue le rapport amoureux bien sûr, mais aussi le rapport aux objets, à la nature, à l’infiniment petit (voir La Rencontre, celle d’Alain Cavalier avec Françoise Widhoff).

En acceptant d’être présent à la Cinémathèque, Alain Cavalier a émis un autre vœu, celui de réaliser chaque jour un film court, avec sa petite caméra numérique dont il ne se sépare jamais, et de le « poster » sur le site internet de la Cinémathèque. Je vous invite à vous rendre sur le site www.cinematheque.fr Vous y découvrirez les premiers « messages » que nous envoie le cinéaste. Comme des cadeaux.

Hier, le film d’une minute et douze secondes qu’il nous a offert, revêt pour moi une valeur sentimentale, et surtout symbolique incroyable. Voilà, c’était un jour de juin 2005. Nous étions à peine installés dans le bâtiment de Frank Gehry, 51 rue de Bercy. La Cinémathèque était encore inachevée, nous préparions activement l’ouverture au public, prévue pour fin septembre 2005. Alain Cavalier m’avait dit qu’il serait heureux de visiter les lieux, encore vides. Je l’avais convié et l’avais amené jusqu’à l’entrée de la salle Henri Langlois, celle-là même nous étions 400 à l’applaudir jeudi soir. La salle était à peine achevée, les fauteuils bleu nuit installés, la cabine prête à projeter des films. Mais aucun n’avait encore était projeté, et aucun spectateur ne s’était encore assis dans cette salle. Le lieu était vierge de toute image. Alain Cavalier s’est mis dans l’entrebâillement de la porte, il n’a pas voulu pénétrer dans la salle, ce qui aurait sans doute été pour lui une sorte de sacrilège. Il m’a demandé s’il pouvait filmer. Évidemment ! Et il a filmé, juste une minute, la salle noire, puis éclairée, tandis que nous murmurions notre enthousiasme, complices. C’est la première image, l’acte de baptême de la salle Henri Langlois. Un moment sacré. Allez voir sur www.cinématheque.fr Un vrai cadeau !

Samedi 28 avril, Alain Cavalier présentera La Chamade à 19 heures, et L’Insoumis à 21h30.

Dimanche 29 avril, Vies à 19heures, Le Filmeur à 21h30.

Pour visionner les films réalisés chaque jour par Alain Cavalier, aller sur : http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/alain-cavalier-cinemathe.html

11 Réponses à “Conversation avec Alain Cavalier”

  1. Vince Vint@ge a écrit :

    Alain Cavalier ne fait rien comme tout le monde, c’est pour ça qu’il est précieux pour le cinéma français.

  2. Gould a écrit :

    Est-ce parce qu’A.Cavalier a tenu à être présent à chaque projection que les films ne passent qu’une seule fois? Dommage.

  3. serge toubiana a écrit :

    Oui, c’est ce qu’il souhaitait.

  4. CATHERINE GIRAUD a écrit :

    Ce sont encore de belles soirées qui nous ont été offertes, vendredi et hier soir (jeudi, hélas, séance complète) ; moments magnifiques d’intelligence, d’élégance et d’humour grâce à la présence généreuse d’Alain Cavalier dont je ne connaissais que La Chamade, sublime.

    Quel bonheur de découvrir Le combat dans l’île et l’Insoumis et l’on se demande comment il est possible de ne pas connaître ces films…

    En attendant la suite des ces conversations, attendues désormais impatiemment, merci !

  5. Frank AIDAN a écrit :

    Chers Messieurs TOUBIANA et CAVALIER,

    Quelle réjouissance, en ce temps de période électorale où les deux derniers candidats en lice tentent d’obtenir qu’un maximum de personnes pensent exactement la même chose au même moment (à la recherche du plus grand dénominateur commun), de croiser la singularité absolue d’Alain CAVALIER soit se penchant sur la vie d’untel ou d’untel avec un regard d’une égale intensité, parfaitement démocratique (que le sujet de tel segment de « VIES » (2000) soit un chirurgien réputé ou de tel autre segment, un modeste boucher, voire WELLES lui-même hyper présent encore qu’invisible à l’image) soit encore, donnant à voir son propre regard, ou se tirant le portrait face caméra par de savants effets de miroir qui paraissent pourtant la simplicité et l’évidence mêmes (« LE FILMEUR » (2005)). On est ici dans l’expression du plus petit commun dénominateur, certainement pas la volonté de plaire à tout prix au plus grand nombre, mais au contraire, celle d’être puis de rester soi quoiqu’il en coûte en termes d’indépendance (de production et de diffusion) et de réception par le spectateur (comme le disait AC hier soir, l’intimité réelle au cinéma dérange certains).

    Découvrant justement hier soir « LE FILMEUR » sur le très grand écran de la salle LANGLOIS, après avoir revu « VIES » une douzaine d’années après sa découverte, je me demandais tout au long de la projection – pas seulement cela, mais quand même – à quel courant cinématographique contemporain ou proche de nous pouvait bien appartenir Alain CAVALIER. À défaut de trouver une réponse si ce n’est celle d’un cinéma et, plus généralement d’une oeuvre, tellement « sui generis », l’on se pose très trivialement la question de savoir comment c’est fait. Drôles d’images au fond qui donnent autant d’importance à l’être aimé qu’à tel événement parfois historique (chacun à sa manière : le 11 septembre, la débandade de l’équipe de FRANCE en 2002 contre le SÉNÉGAL, la jupe conservée par la très prévoyante Monica…) ou à un… ver de terre dont la taille sur l’écran est au fond, par report d’échelle, celle d’un être humain dans la réalité. Sur le comment c’est fait de cet aspect de l’oeuvre, celle à la première personne, première réponse, CAVALIER est un diariste de la caméra attiré par la proximité, le gros plan et même le très gros plan, parfois l’infinitésimal. La meilleure métaphore de cette branche de l’oeuvre, c’est dans « VIES », le petit puits de lumière autour duquel s’affairent le Professeur POULIQUEN et son équipe, si petit puits que de temps à autre, l’artiste filme l’écran de télé donnant une image plus grande et dense, également précise et signifiante de ce qu’il y à voir dans le puits de lumière vers lequel notre oeil à nous se porte par réflexe, même si l’on sait que l’on n’y verra rien. Force centripète, aimantation, désir de voir, le cinéaste sait et nous le dit avec une finesse qui serait presque son chiffre, que c’est là que « ça se passe » mais que tout ne sera pas visible.

    Deuxième orientation : après avoir tourné et retourné pendant la projection du « FILMEUR », les milliers d’autres images vues, ce film fait penser à un chef-d’oeuvre, peu vu, mal vu, unique film de son auteur, « LA PUDEUR OU L’IMPUDEUR » d’Hervé GUIBERT. L’on se souvient que peu avant sa mort, en 1990, le grand écrivain s’était vu confier une caméra vidéo pour filmer… ce qu’il voulait, son quotidien, sa maladie, son corps, la mort au travail. Je n’ai pas revu le film depuis sa diffusion télé, mais je me souvient très bien que HG donnait un plan fixe d’une opération et que l’on retrouvait l’éclat vif et mystérieux du puits de lumière, aussi qu’il s’ingéniait à tourner seul (ou à donner cette impression) donc à jouer sur les plans fixes, les ouvertures suffisamment larges pour qu’il puisse ensuite, dans un second temps, entrer en toute quiétude dans le plan sans contrôler celui-ci au moment de sa réalisation à travers le viseur ou le petit écran de la caméra, etc. Mais surtout, la clé donnée rétrospectivement par GUIBERT sur le journal intime et filmé d’Alain CAVALIER est dans le titre et plus encore, dans la conjonction qui m’a intriguée pendant des années et que j’ai enfin comprise hier soir grâce au « FILMEUR ». Au fond, regarder autour de soi, scruter, aller vers, de l’oeil à l’être ou à la chose, le cas échéant, filmer, génère sans arrêt cette question de la pudeur ou de l’impudeur. Trop près, trop loin, pudeur/impudeur du filmeur, et la réaction du sujet conditionne sans cesse le regard de CAVALIER, mais jamais dans un sens univoque (la mère filmée en train de dormir qui se réveille soudainement et s’exclame en souriant : le plan s’achève aussitôt – la compagne souffre et manifeste son agacement causé par la caméra intrusive : le filmeur continue quand même à poser ses questions, etc).

    En dernière instance, il semble que le but d’Alain CAVALIER en filmeur, soit de créer un rapport dialogique avec le sujet filmé, être humain ou animal (il faut voir le bestiaire de ce film qui eût ravi André BAZIN), qu’importe, chacun dispose de son espace et de son temps, jouit souverainement du droit de s’exprimer ou de se taire, de rester dans le cadre ou d’en sortir. La poule, elle, a décidé de franchir le seuil.

    CAVALIER est décidément un très grand démocrate.

    Merci infiniment pour cette rétrospective et la généreuse présence d’Alain CAVALIER.

    Amitiés cinéphiles à tous deux.

  6. serge toubiana a écrit :

    Merci pour votre long message et vos compliments. C’est parce qu’il est démocrate qu’Alain Cavalier s’intéresse aussi à la politique. Comme en témoigne Pater, son dernier film, où il s’est mis dans la peau d’un président de la République. Rien que pour cela, je doute qu’il se désintéresse de l’actuelle campagne présidentielle. Mais je n’ai pas à parler pour son compte. Quant à moi, sachez qu’elle m’intéresse beaucoup, cette campagne finissante, et qu’elle interpelle aussi les cinéphiles…

  7. Vince Vint@ge a écrit :

    Frank AIDAN : « CAVALIER est un diariste de la caméra »
    Tout à fait, et vous ne manquez pas d’évoquer, pour ce genre qu’est « l’autofiction », « LA PUDEUR OU L’IMPUDEUR » d’Hervé GUIBERT. Mais juste une question Frank AIDAN, dans cette contrée-là, connaissez-vous le travail de Jonas Mekas ?

    Et deux questions pour Serge Toubiana :
    1) Savez-vous si Alain Cavalier suit le travail de Jonas Mekas ?
    2) Une rétrospective Jonas Mekas serait-elle possible à la Cinémathèque française ?
    (D’autant plus que l’artiste est encore vivant, ainsi on pourrait honorer son cinéma expérimental… en sa présence).
    Cdlt,
    VV

  8. Frank AIDAN a écrit :

    Cher Messieurs,

    En réponse rapide à la question de Vince, je dis que oui, mais en tant que lecteur fidèle depuis plus de trente années des CAHIERS aussi depuis vingt années de TRAFIC et fort peu en tant que spectateur. Il va de soi qu’une rétrospective de MEKAS serait la bienvenue et prendrait ainsi place dans l’aspect « pointu » de la programmation de la CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE (voilà quelques mois, dans ce même blog, j’avais eu l’occasion de décrire la summa divisio de cette programmation qui était alors quelque peu attaquée sur un flanc, celui des « paillettes » pourtant aussi séduisantes qu’indispensables).

    Alors, oui, mille fois oui, à MEKAS.

    Amitiés cinéphiles.

  9. Gilles a écrit :

    Bonjour Frank,

    Cela fait plaisir de vous relire.

    Je vous redonne mon mail car j’aimerais vous parler. N’hésitez pas à me laisser vos coordonnées (ce qui vous arrange).
    A bientôt.
    gilleslyoncaen@yahoo.fr

  10. Leymonie a écrit :

    Heureux qui observe son enseignement, il est magnifique

  11. cédric Nové-Josserand a écrit :

    cednj1@yahoo.fr
    Bonjour, qui pourrait me dire si il est possible de se procurer un petit court métrage où Alain Cavalier parlait de peinture, de portait avec tant de sensibilité !…qui, il y a une quinzaine d’années était disponible sur cassette vidéo vhs, je ne me souviens plus du titre de ce petit film !