Antonio Tabucchi, écrivain et cinéphile

En disparaissant hier, à l’âge de 68 ans, Antonio Tabucchi laisse un vide immense. Il était un grand écrivain, un grand écrivain contemporain qui rendait compte à sa manière, c’est-à-dire sur le mode poétique et fictionnel, de l’état du monde. De notre monde. Il écrivait et son écriture avait valeur d’engagement. C’est en étant pleinement un écrivain contemporain qu’il s’engageait. Les passions et les querelles du monde ne lui étaient pas étrangères, il les prenait à bras le corps, ne voyant jamais les choses de haut mais vivant dans une perpétuelle confrontation intellectuelle, spirituelle et politique, avec les événements et le bruit du monde. Un grand écrivain, oui, à n’en pas douter. Dont l’œuvre littéraire, cohérente et intime (Nocturne indien, Requiem, Pereira prétend, Tristano meurt, Le temps vieillit…), continuera de vivre et de toucher de nombreux lecteurs à travers le monde.

Antonio Tabucchi était italien, né à Pise en 1943. Mais il avait élu domicile à Lisbonne où il rencontra sa femme, Marie-Josée de Lancastre, sa complice. Tabucchi vivait aussi à Paris, en Inde et ailleurs. Il voyageait et partageait son temps entre plusieurs villes, plusieurs pays, et plusieurs langues. C’était un homme multiple et pourtant cohérent, intègre. C’était un écrivain voyageur, qui écrivait en italien sa langue natale, parlait couramment portugais, français, anglais. Il avait ce don des langues, ce don d’être ici et ailleurs, de passer d’une langue à l’autre. Et d’y être à la fois le même et un autre. Il était Antonio Tabucchi, homme cultivé et charmant, mais aussi le double ou l’ombre de celui qu’il admirait et dont il avait fait le héros de son œuvre, Fernando Pessoa. Sa culture était immense, jamais cuistre, toujours élégante et offerte en partage à l’interlocuteur. Parler avec lui était un vrai plaisir démocratique. Car il savait écouter, vous écouter. Nous nous sommes croisés il y a quelque temps dans un aéroport, il rentrait chez lui, venant d’un pays lointain où il était allé faire des conférences, je me rendais à l’étranger pour le développement d’un projet.

J’aimerais dire qu’il fut aussi, et profondément, un cinéphile et un ami du cinéma. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, Nocturne indien par Alain Corneau, Requiem par Alain Tanner, entre autres. Le cinéma faisait partie de la culture profonde d’Antonio Tabucchi. Ce dernier était venu à plusieurs reprises à la Cinémathèque, répondant à notre invitation. Je garde en mémoire ce moment inoubliable d’un dialogue avec Manoel de Oliveira, le 3 juillet 2008. Moment d’une grande douceur et d’une grande délicatesse intellectuelle, où transparaissait chez Tabucchi l’intelligence poétique et l’admiration juvénile pour le maître, le vieux Manoel, natif de Porto. Leur dialogue avait commencé après la projection enchanteresse du premier film de Manoel de Oliveira, Douro, Faina Fluvial réalisé en 1931. Le passé, ce temps du cinéma muet que Manoel de Oliveira portait sur ses épaules de jeune cinéaste, le passé disai-je devenait du présent, par la magie des mots. Moment magique, que l’on peut retrouver sur internet, en allant sur le site de la Cinémathèque française. L’autre moment, plus récent, ce fut lors de la rétrospective consacrée à Alain Tanner, avec la présentation de Requiem. Au-delà de l’adaptation du roman de Tabucchi, le cinéma de Tanner est lié à cet écrivain et à son monde : même amour du Portugal – l’admirable Dans la ville blanche -, même recherche d’un lieu idéal (ce qu’on appelle l’utopie), et même présence parmi nous des fantômes.

Antonio Tabucchi était un être précieux.

— — —

— — —

Les commentaires sont clôts.