Trois jours à Tétouan

Trois jours à Tétouan, au Maroc. Je n’y étais pas retourné depuis 1988. Le Festival International du Cinéma Méditerranéen en est à sa seizième édition. Mais il existe depuis 1985, créé à l’initiative du ciné-club local, une association de cinéphiles dont je retrouve plus de vingt ans après certains visages. Le temps a passé mais la passion du cinéma demeure. Ahmed El Housni, qui déjà dirigeait le ciné-club de Tétouan, est aujourd’hui directeur du festival. En 1988 j’étais venu avec Jean-Pierre Limosin et Lucas Belvaux, qui tous deux présentaient leurs premiers films. De cette année date le véritable tournant du festival, devenu celui du cinéma méditerranéen. Le Festival a grandi, la ville aussi. Nous sommes logés à une trentaine de kilomètres de Tétouan, dans un de ces luxueux hôtels qui longent la mer. Je regrette cet isolement car Tétouan mérite le déplacement. Les rues sont grouillantes de monde, les terrasses remplies (d’hommes exclusivement), l’architecture de style andalou, la médina magnifique avec ses ruelles tortueuses et son marché très fourni. La soirée d’ouverture a eu lieu samedi soir dans une des salles de la ville, L’Espagnol, magnifique salle à l’ancienne. L’autre salle où sont programmés les films, le Cinéma Avenida, est aussi belle, de style andalou, 700 places. Mais elle est, dit-on, menacée de fermeture. C’est une des plaies du Maroc, ce manque cruel d’écrans. Environ 70 sur tout le territoire, alors qu’il en faudrait bien davantage. Mon ami Tahar Chikhaoui, qui a fait le voyage depuis Tunis où il enseigne le cinéma à l’Université, anime un ciné-club et exerce son travail de critique, se montre plus alarmiste encore sur son propre pays, qui ne compte à peine qu’une dizaine d’écrans. Soirée d’ouverture avec tapis rouge et vedettes, discours officiels interminables. Claudia Cardinale, à qui l’on rend hommage, est souriante et généreuse et le public lui réserve un accueil très chaleureux.

Dimanche après-midi, visite de la Cinémathèque de Tanger. Dans le quartier du Grand Socco, elle est installée dans un cinéma ancien, Le Rif, construit en 1938 et réhabilité il y a trois ans. Sa directrice, Yto Barrada, artiste et photographe, est intarissable lorsqu’elle évoque cette belle aventure collective, qui a mobilisé beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Avec fierté, elle me fait visiter les deux salles de cinéma (300 et 50 places), le centre de documentation, la petite salle de montage, le café qui donne sur la place et où se donne rendez-vous les jeunes tangérois branchés et les cinéphiles. La façade art déco est splendide, ce lieu a du charme, une âme, on s’y sent bien. Deux films par jour, des projections pour le jeune public, des liens avec les instituts culturels français et espagnol installés à Tanger. Yto Barrada a développé aussi le concept d’artistes en résidence, qui viennent de toute part et séjournent quelques mois à Tanger pour y faire œuvre de création. Elle prépare une programmation ambitieuse des films tournés à Tanger – il en existe des centaines, depuis Morocco de Sternberg, jusqu’à Mission à Tanger de André Hunebelle, en passant par Monsieur Arkadin de Welles, Un thé au Sahara de Bertolucci (adapté d’un roman de Paul Bowles, qui était citoyen de la ville), The Naked Lunch de David Cronenberg, Loin d’André Téchiné, etc. Sans parler des films de cinéastes marocains : El Chergui de Moumen Smihi, Le Grand voyage de Mohamed Abderahmane Tazi, Mektoub de Nabil Ayouch ou Tresses de Jilali Ferhati. Ouverte en 2007, la Cinémathèque de Tanger a besoin de soutien. Le CCM (Centre du Cinéma Marocain) a aidé l’entreprise à l’origine à hauteur de 2,5 millions de dirhams (soit 250 000 euros) et discute actuellement du principe d’une subvention sur trois ans. Mais ni la Commune Urbaine de Tanger ni la Région ne sont encore de la partie. Or, ce lieu a besoin d’un soutien pérenne, pour continuer de fonctionner et d’animer une certaine idée du cinéma, entre présent et passé, dans cette ville cosmopolite et très fréquentée.

Lundi matin, j’ouvre le colloque international organisé à la Maison de la culture de Tétouan sur le thème de la critique. A mes côtés, Tahar Chikhaoui (Tunisie), Michel Cerceau (France) et Hammadi Guerroum (Maroc). Nos interventions se recoupent sur plusieurs points, entre autres celui de renouveler les fondements d’une critique ouverte et curieuse, à même de distinguer les œuvres nouvelles du tout-venant. Le débat se poursuit dans la cour. Discussions passionnées qui témoignent d’une certaine vitalité du cinéma au Maroc. Intéressant de noter que ce pays produit chaque année une quinzaine de longs métrages. C’est un fait relativement nouveau que d’assister au développement d’une cinématographie nationale dans un pays arabe. Le Maroc montre un peu l’exemple et c’est déjà ça. Le système d’aide sélective mis en place permet à de jeunes cinéastes de faire leurs films. Il reste à consolider cette industrie naissante par la création de nouvelles salles, la mise en place d’un fonds de soutien permettant aux réalisateurs d’entreprendre plus facilement leur film suivant, aider la distribution qui demeure fragile, mieux contrôler la billetterie et bien sûr freiner le piratage des films qui fait ici des ravages. Mais quelque chose est en train de bouger au Maroc, et cela peut faire du bien au cinéma.       

    

6 Réponses à “Trois jours à Tétouan”

  1. samia harrar a écrit :

    Tahar Chikhaoui a raison de s’alarmer. A Tunis, en plein centre-ville, un cinéma a été remplacé par une boutique de vêtements, et les rares salles qui résistent encore, baillent aux corneilles. C’est comme si le cinéma était déjà mort et enterré.

  2. Gilles a écrit :

    Le festival du cinéma d’auteur de Rabat posait déjà cette terrible question en 2008 : Quel avenir pour le cinéma maghrébin ? Et de pointer le premier problème : la désertification en termes de circuit de distribution, réduisant ainsi la possibilité pour le public d’accéder aux films, alors que la production progresse, en qualité et en quantité.
    http://www.evene.fr/cinema/actualite/festival-cinema-rabat-maroc-independant-bollywood-1469.php

  3. PHILCO a écrit :

    Telle est la conséquence d’une politique qui est très laxiste en matière de piratage des films, même de ceux qui sont tournés dans les studios de Ouarzazate, ce qui est pour le moins paradoxal, et de la facilité avec laquelle les chaînes cryptées sont également piratées. Difficile de créer une vraie éducation cinéphilique minimale pour la viabilité de salles avec une telle concurence. A la limite, seule la multi salle du Megarama de Casablanca est rentable… par les spectacles de musique hall ou concerts que sa grande salle permet.

  4. Vince Vint@ge a écrit :

     » Trois jours à Tétouan « , ça sonne comme du Paul Bowles !

  5. Serge Toubiana a écrit :

    J’ai hésité entre ce titre et un autre: Sois belle et Tétouan…

  6. David a écrit :

    un blog intéressant