Roger Vailland et le cinéma

Lundi 29 octobre à la Cinémathèque : soirée exceptionnelle consacrée à Roger Vailland, dont on célèbre cette année le centenaire. Organisée avec la Maison des écrivains et de la littérature, grâce à l’enthousiasme de sa directrice Sylvie Gouttebaron. Et avec la complicité de Marie-Noël Rio, ayant droit de Roger Vailland.

Le thème de cette soirée : « Roger Vailland et le cinéma ». Mais d’abord, qui connaît Roger Vailland de nos jours ? Pourquoi est-il moins lu ? Son oeuvre romanesque aurait t-elle perdu de son aura ? Il en fut question, lors d’une petite table ronde à laquelle participaient Marie-Noël Rio, Philippe Garbit (de France Culture, auteur d’un passionnant ouvrage d’entretien avec Elisabeth Vailland : Drôle de vie (JC Lattès), qui reparaît à l’occasion du centenaire de l’écrivain, et François Leterrier, le réalisateur des Mauvais coups, tourné en 1961, avec Simone Signoret, Alexandra Stewart, Reginald Kernan et Serge Rousseau. Les mauvais coups demeure sans doute le plus beau film adapté d’un roman de Vailland. François Leterrier évoqua sa collaboration avec Roger Vailland de manière très intéressante, de même que le choix de Signoret pour incarner le personnage de Roberte. Je signale, en passant, que Les Mauvais coups a été édité en DVD (chez Pathé Classique). Film à voir ou à revoir.

Roger Vailland est né en 1907. À vingt ans, il fonde à Reims, avec ses amis René Daumal et Roger-Gilbert Lecomte, le Grand Jeu, un mouvement littéraire très original, radical sur le plan littéraire, proche des surréalistes, inspiré de Rimbaud, attiré par les expériences limites. À Paris, ces jeunes gens très excités se rapprochent des surréalistes, de quelques années leurs aînés. Mais cela ne prend pas. Vailland commence sa carrière dans le journalisme, avec de devenir romancier. Et puis, la Résistance, la drogue et l’alcool, les voyages au long cours, les femmes, le jeu, l’engagement politique au sein du Parti communiste, la prise de distance après les événements en Hongrie de 1956. Il écrit, entre autres : Drôle de jeu, Les mauvais coups, Beau Masque, 325 000 francs, La Loi (prix Goncourt en 1957), La Fête et pour finir La Truite, son dernier roman paru en 1965, l’année de sa mort, qui sera adapté en 1982 par Joseph Losey (avec Isabelle Huppert et Jeanne Moreau).

Vailland et le cinéma. Comme tant d’autres écrivains, Vailland fut bien sûr tenté par le cinéma. Après guerre, il collabore avec Louis Daquin (une adaptation de Bel-Ami de Maupassant), mais surtout avec Roger Vadim. Trois films : Les Liaisons dangereuses, Et mourir de plaisir, puis Le Vice et la vertu. Avec René Clément (Le Jour et l’Heure), Alberto Lattuada (La Novice), Jules Dassin (qui adapte La Loi, avec Yves Montand, Gina Lollobrigida). François Leterrier évoqua sa jeunesse en khâgne, son admiration pour Roger Vailland, l’écrivain engagé. Pour sa génération, Vailland incarnait l’un des deux versants de l’engagement politique et romanesque, l’autre étant André Malraux.

Pour ouvrir la soirée, un très beau document provenant de l’Ina : un extrait de la fameuse émission « Lectures pour tous », qu’animait le génial Pierre Dumayet. Celui-ci recevait sur son plateau Vailland, au moment de la sortie de son roman La Fête (paru en 1964 chez Gallimard). L’entretien est dense, d’une grande sincérité ; Vailland refuse la problématique de l’autobiographie romanesque, dans laquelle tente de l’enfermer Dumayet. Ce dernier insiste, tente de le contourner. Et Vailland, « le visage comme un bec », délivre un propos passionnant sur la notion de « fête », exercice de souveraineté en amour. Relire ce roman, La Fête, dont Didier Sauvegrain lut ensuite, de manière incroyablement juste, un chapitre, pour notre très grand plaisir. C’est un des derniers chapitres du roman, quand Duc, le personnage central et le narrateur de La Fête, s’apprête à rejoindre Lucie, la jeune femme qu’il veut séduire, la femme de son jeune ami Jean-Marc. Elle est dans le train, il roule dans sa D.S. Ils ont rendez-vous à Mâcon. Ils vont à la fête. Pour Vailland Duc va à l’amour. Comme il va à la vie. Comme il allait, bien des années auparavant, à son vice. Ou à la révolution. Ou encore au surréalisme…

Alexandra Stewart, Philippe Collin, qui fut l’assistant de Leterrier sur Les Mauvais coups, et Leterrier lui-même, évoquèrent, avant la projection du film, le tournage, les relations parfois difficiles avec Simone Signoret, qui est sublime dans le film. C’est l’époque où Montand est loin d’elle, en Amérique. Avec une autre femme. Inutile de dire avec qui. Tout le monde connaît la légende. Cette conversation autour de Vailland aurait pu durer des heures, tant il y avait à dire sur cet écrivain devenu rare. Mais qu’il faut relire. Conseil d’ami.

7 Réponses à “Roger Vailland et le cinéma”

  1. schmitt a écrit :

    Louis Malle a eu aussi à un moment de sa carrière des projets de films avec Roger Vailland, qui, hélas ne se sont pas concrétisés.
    Au cours de mes recherces, j’ai même appris que Louis Malle, à la mort de Roger Vailland, avait racheté sa maison de Bourg en Bresse afin qu’ Elisabeth Vailland puisse continuer à y vivre (en effet, faute de moyens, la maison aurait dû être vendue).
    Merci pour cette belle page.
    aude-marguerite schmitt

    Je n’ai pas connaissance de ces projets cinématographiques avec Louis Malle. J’ai pourtant lu la (bonne) biographie de Malle signée Pierre Billard (« Le rebelle solitaire », chez Plon) : il n’y est guère question de projet avec Vailland. Ce que vous dites à propos de la maison de Meillonnas m’avait été confirmé, ce qui prouverait que Malle et Vailland se connaissaient. Mais Elisabeth Vailland n’en fait pas mention dans son ouvrage: « Drôle de vie » (JC Lattès). Cette piste reste donc à creuser. Serge Toubiana

  2. Jacques Monge a écrit :

    Bonsoir la Cinémathèque !
    Juste un grand merci pour la soirée d’hier autour de Vailland. Ce fut un privilège que d’y assister, et de revoir le film de Leterrier. Quel film !, 45 années plus tard… (j’avais 17 ans). A quand une programmation du Roi sans divertissement ?
    Serge Toubiana a interrompu Leterrier alors qu’il allait nous dire pourquoi Resnais, qui avait envisagé le projet, l’avait « vite abandonné ». Je n’en dors plus de ne pas le savoir ! Voudriez-vous m’établir un contact avec François Leterrier, que je puisse le lui demander? Et le remercier du Roi, auquel je dois mon admission à l’Idhec, sur la question évidente : « Le rôle de la couleur dans ce film ». Bonjour.

    Fort cordialement,
    Jacques Monge

  3. jean-pierre Bodeux a écrit :

    peut-on conserver quelque espoir de voir un jour diffusé le téléfilm 325 000 francs, ainsi que le court métrage de Louis Daquin, récemment projeté à la Maison des métallos ?

    Merci

  4. Serge Toubiana a écrit :

    La télévision publique aurait dû programmer le téléfilm de Jean Prat, 325000 Francs, en hommage à Roger Vailland. Elle n’y a sans doute pas penser… Quant au court métrage de Louis Daquin, qui travailla avec Vailland à l’adaptation des Frères Bouquinquant et de Bel-Ami (de Maupassant), j’avoue ne pas connaître ce court métrage. Pouvez-vous m’en dire plus ? Merci et bonne année! S. Toubiana

  5. Dominique Hasselmann a écrit :

    Bonjour ! Très intéressant, même si cela date déjà de presque un an.
    Je me suis demandé pourquoi vous n’aviez pas cité (mais cela a sans douté été relevé lors de la soirée qui fut consacrée à Roger Vailland et le cinéma) le film Beau Masque, de Bernard Paul, avec Gaby Sylvia (1972) : si le réalisateur a su transposer le roman, il est sûrement à voir (mais existe-t-il en DVD, je n’en ai pas l’impression…).
    Félicitations en tout cas pour votre programmation de la Cinémathèque… En septembre et octobre 2008 (j’ai noté la soirée Easy Rider en présence de Dennis Hopper).

  6. Bernard Tellez a écrit :

    Qui se souvient de Roger Vailland aujourd’hui, qui a lu ses livres, qui peut les lire encore aujourd’hui. « Dans cinquante ans, écrivait-il, le monde entier sera communiste, mais sous un autre nom ». Il décrocha tard le portrait de Staline. De la crise qui s’en suivit, il y a gagné en écriture, dans son style, son art d’écrire. Trop tôt disparu. Roger Vailland m’a marqué comme écrivain, par son talent.

  7. Bernard Tellez a écrit :

    Roger Vailland:  » L’ancien monde achève de se désagréger… Mais c’est toujours la guerre, bien sûr… »
    Ce qui me chaud essentiellement, c’était l’idée qu’il se faisait du BolchevicK, avant 56, ce qu’il considérait comme l’homme nouveau…
    On en sent déjà les prémices dans »‘Les possédés » de Dostoïevski, je me trompe peut-être, que je considère comme un roman de l’échec. Le réalisme de Dostoïevski ! Seul Malraux, je pense, ceux touchés par l’existentialisme, Camus et Sartre, créateur de ce mouvement de pensée, on su entrevoir par leur ouverture de compas, leur vécu, ce que pouvait être le monde de leur époque, qui préparait celui d’aujourd’hui. Les technologies ont changé, mais pas l’homme, inclus dans le monde actuel, celui dans lequel il continue de vivre, plus abject, après la période hitlérienne et stalinienne. S’il convient d’être compréhensif, pour une remarque sans consistance, d’avoir le temps de relativiser…

    « La truite », roman de Vailland, n’a rien à voir avec le film de Losey… Qu’est devenue Frédérique? Qu’elle résiste, qu’elle tienne, qu’elle continue de jouer au bowling à l’arnaque avec Galuchat ? Mais pour quoi faire?