Tout film gagne à être mexicain

« Tout film gagne à être mexicain » écrivait Jacques Audiberti. Il ne croyait pas si bien dire. Mercredi dernier, l’écrivain Carlos Fuentes était à la Cinémathèque, accueilli par une salle pleine, pour parler du cinéma mexicain. Avec à ses côtés Alejandro Gonzāles Iňărritu, le représentant le plus emblématique de la jeune génération de cinéastes mexicains. L’après-midi avait commencé par la projection de Babel, son dernier film réalisé en 2006. Iňărritu arrivait de Barcelone où il avait la veille achevé le tournage de son quatrième long-métrage, Biutiful (avec Javier Bardem). Cette discussion, animée par Ignacio Durān Loera, excellent spécialiste du cinéma mexicain, s’inscrivait dans le cadre d’une programmation originale qui nous a été proposée par Carlos Fuentes : « La littérature française dans le cinéma mexicain ». Chacun sait que le Mexique était à l’honneur cette année au Salon du Livre, qui s’est achevé mardi soir. Ce qui explique la présence à Paris de Carlos Fuentes. Mais ce dernier a toujours entretenu un lien de curiosité avec le cinéma, pas seulement le cinéma mexicain. Dans son propos, très vivant, il a maintes fois fait référence à son ami Luis Buňuel, dont la carrière mexicaine fut longue et prolixe. Carlos Fuentes mentionna les films majeurs de cette période mexicaine : Los Olvidados bien sûr, Susana, Subida al cielo ou La mujer si amor, et surtout El (en rappelant que Jacques Lacan projetait à ses élèves ce film qu’il concevait comme une sorte d’examen précis et parfait d’un cas de paranoïa). Luis Buňuel fit l’essentiel de sa carrière au Mexique (une vingtaine de films, la plupart jouant ou flirtant avec le mélo), avant sa période dite française. On aura très bientôt l’occasion de revoir tout Buňuel à la Cinémathèque, l’intégrale est prévue à partir du 10 juin 2009, certains de ses films ressortant en salle.

Carlos Fuentes revint aussi sur la période des années 40 du cinéma mexicain où les adaptations de romans illustres de la littérature française furent très à la mode. Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo), Victor Hugo (Les Misérables), Guy de Maupassant (Boule de suif), Emile Zola (Nana), Balzac, Daudet et d’autres encore. Jusqu’à La Chambre bleue de Georges Simenon (le film date de 2002 : La Habitación azul, réalisé par Walter Doehner – j’en profite pour rappeler que plusieurs cinéastes français caressèrent l’idée d’adapter ce magnifique roman de Simenon, y compris Maurice Pialat). Ces romans furent mis en images par des cinéastes adeptes du mélodrame. Fuentes rappela avec humour que ces romans étaient libres de droits, ce qui rendait plus facile leur adaptation cinématographique. Mais cela n’explique pas tout. Il y avait aussi un véritable engouement pour la littérature française du XIXe, qui apportait comme sur un plateau personnages et intrigues, que scénaristes et cinéastes mexicains prirent plaisir à travailler. J’ai été frappé par l’aisance et la capacité de synthèse de Carlos Fuentes qui, en une vingtaine de minutes, retraça le parcours du cinéma mexicain. Avec aussi humour et légèreté, ce qui n’empêche pas la précision. Il passa ensuite la parole à Alejandro Gonzāles Iňărritu, dont le propos ne fut pas moins précis ni passionnant. Si la jeune génération des Alfonso Cuaron, Guillermo Del Toro, Carlos Raygadas, Iňărritu, fut tentée de s’expatrier, c’est parce que le cinéma mexicain était, et il est encore, aux mains de quelques familles de producteurs et distributeurs qui l’étouffent et empêchent son développement et sa créativité. Le syndrome de l’archaïsme a longtemps pesé sur le cinéma mexicain, empêchant toute envolée. Les choses ont commencé à changer il y a moins d’une dizaine d’années. Prenant le relai du cinéma argentin, dont on sait à quel point il a fait preuve de créativité et d’audace ces dix dernières années (voir la génération des Pablo Trapero, Lucrecia Martel et autres), le cinéma mexicain est aujourd’hui en pleine bourre. C’est par la reconnaissance acquise dans les grands festivals internationaux que le cinéma mexicain a trouvé son salut, et qui fait aussi qu’il est pris en considération par les autorités publiques. Juste un chiffre qui prouve que l’effort est visible. 21 films produits en 2001. 70 en 2007. La part de marché du film mexicain sur son propre territoire demeure faible : 7,5%. Cela s’explique par la domination quasi sans partage des majors américaines. Hollywood n’est pas loin, et son attraction s’exerce ici bien plus qu’ailleurs.

La Cinémathèque a donc eu la bonne idée, soufflée par Carlos Fuentes, de programmer sept films adaptés de romans français. Le soir même, projection du Comte de Monte-Cristo, de Chano Urueta et Roberto Gavaldón, une adaptation littérale, très fidèle, du roman de Dumas.

Cette programmation s’installe jusqu’au 30 mars.Renseignement sur www.cinematheque.fr

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